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Jean-Yves Ossonce : Fin de la subvention pour les opéras de province ?

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Directeur de l’Opéra de Tours depuis 1999, seul chef d’orchestre (avec Guy Condette à Limoges) à un poste de ce type en France, Jean-Yves Ossonce a fait porter à la connaissance de tous les coupes budgétaires qui vont affecter le spectacle vivant par un communiqué de presse diffusé par l’AFP le 10 novembre dernier. Rencontre avec un homme révolté.

 

Directeur de l'Opéra de Tours depuis 1999, seul chef d'orchestre (avec Guy Condette à Limoges) à un poste de ce type en France, a fait porter à la connaissance de tous les coupes budgétaires qui vont affecter le spectacle vivant par un communiqué de presse diffusé par l'AFP le 10 novembre dernier. Rencontre avec un homme révolté. 

« Rien n'est réglé car rien n'a été arbitré »

ResMusica : , vous êtes le premier à être monté au créneau. Avez-vous des résultats de votre action ?

 : Pour ce qui concerne très spécifiquement l'Opéra de Tours, Jean de Saint-Guilhem, directeur de la DMDTS, a demandé par écrit le 19 novembre au préfet de la Région Centre d'inscrire une proposition de reconduction de la subvention 2007 pour 2008. Ce fax m'a été transmis par Renaud Donnedieu de Vabres le même jour. Pour les autres opéras, aucune annonce, aucune précision.

RM : La fin des soucis donc ?

JYO : Pas encore ! Rien n'est réglé car rien n'a été arbitré. La Direction Régionale des Affaires Culturelles risque, si elle suit la proposition de M. de Saint-Guilhem, de « déshabiller Pierre pour habiller Paul », d'enlever encore plus de crédits à d'autres structures ou d'autres secteurs, puisqu'on lui demande toujours, aux dernières nouvelles, de trouver 700 000 euros de coupes budgétaires en 2008, au titre des interventions de l'Etat en matière culturelle pour ce qui concerne la Région Centre.

RM : Cette proposition de reconduction de budget ne vient donc pas du gouvernement ?

JYO : Hier matin [NDLR : le 20 novembre] la Ministre de la Culture n'était pas au courant de cette initiative de la DMDTS : en réunion avec des directeurs de centres dramatiques dont celui de Tours, la question lui a été posée ; elle a semblé pour le moins « surprise ». N'oubliez pas que c'est une proposition, pas encore une action ou une décision finalisée, donc nous sommes aujourd'hui plus près d'un effet d'annonce. Opportun d'ailleurs, puisque le fax est arrivé quatre heures avant la réunion du Conseil municipal de Tours consacrée au débat d'orientation budgétaire, pendant lequel ce problème brûlant aurait sans doute été abordé de manière frontale…

RM : La voix des directeurs d'opéras a tout de même été entendue.

JYO : C'est un premier résultat des efforts conjugués de tous autour du devenir de cette maison : l'ex-ministre Renaud Donnedieu de Vabres, leader de l'opposition municipale en lice pour les prochaines élections, mais aussi les élus de tous bords, l'adjoint à la culture Jean-Pierre Tolochard qui a alerté la Réunion des Opéras de France dont il est vice-président, les députés, etc. Et je pense que la mobilisation de toutes les énergies, amplement relayée par la presse écrite ou parlée, par internet, par notre public, par les professionnels où qu'ils se trouvent, a largement concouru à ce premier résultat. Il nous a fallu presque deux semaines, d'ailleurs, preuve qu'il y avait bien un problème. Mais pas d'arbitrage final avant mi-décembre, comme la Ministre l'a annoncé. La Conférence budgétaire autour du budget du ministère pour ce qui concerne la Région Centre a lieu demain, et les arbitrages finaux sont encore à venir. Pour l'instant, et au plan national encore davantage, c'est le flou : le problème général des établissements lyriques n'est pas résolu. Officieusement la situation est catastrophique, officiellement rien n'est encore dit ou décidé. Ce n'est pas pour rien que presque toutes les organisations d'employeurs du spectacle vivant viennent de faire conférence de presse commune lundi dernier, et d'adresser une lettre ouverte au Président de la République, appelant à un « Grenelle » de la culture.

RM : Cette situation était-elle prévisible suite aux promesses de campagne de M. Sarkozy sur la culture avant les élections présidentielles ?

JYO : C'est un vrai « discours de l'accordéon » : entre la main droite et la main gauche du talentueux instrumentiste qu'est sans doute l'Etat, il y a contradiction terme à terme entre les promesses d'un passé pourtant très récent (la campagne électorale et le programme du candidat), et les actions actuelles. L'Etat tourne le dos à l'aménagement du territoire, il n'initie plus, n'encourage plus, n'accompagne plus les politiques culturelles locales. Il enlève des moyens là où il en promettait formellement de nouveaux, en demandant l'appui des acteurs culturels. Il est vrai que la lettre de mission adressée à Madame Albanel fait pratiquement l'impasse sur notre domaine, et que nous n'étions déjà plus en campagne. Pour le spectacle vivant le contexte est tendu depuis longtemps. Nous risquons maintenant, à compter de 2008, la suppression de productions, voire de structures.

RM : Aujourd'hui quel est l'avenir pour l'Opéra de Tours ? Pouvez-vous planifier la saison 2008/09 ?

JYO : Actuellement on ne sait rien ! L'Etat nous met devant le fait accompli. Tout est opaque, aucune certitude ne nous est donnée. Mon budget actuel me permet de boucler 2007/08 et je ne peux rien faire signer pour 2008/09, puisque officiellement j'ignore la reconduction, baisse ou suppression de la subvention d'Etat.

RM : Mais une saison se prépare longtemps à l'avance. Les dégâts vont être considérables.

JYO : Ils le sont déjà. La logique générale de l'Etat est annoncée : 50 millions d'euros d'économisés sur le secteur ! Presque tout va être au mieux fragilisé, des grandes scènes aux petites compagnies, car tout cela est interdépendant. L'Opéra de Tours a vu les débuts dans des rôles importants de beaucoup de grands artistes actuels, inscrits dans le circuit international, comme Natalie Dessay, Béatrice Uria-Monzon, Ludovic Tézier, Sylvie Valayre, Jean-Sébastien Bou, Mireille Delunsch et bien d'autres. Patricia Petibon a été choriste chez nous, avant d'y chanter le rôle de Lakmé. Olivier Py a réalisé entre Tours et Nancy sa première mise en scène d'opéra avec Der Freischütz en 1999. Tours a même créé en France le Tour d'Ecrou de Britten ! Nous sommes partenaires d'Henri Dutilleux et du Concours International de Composition qu'il préside, et nous créons des œuvres que nous commandons aux lauréats (un opéra de Claude Lenners il y a deux saisons, et des projets en cours, sans compter nombre d'œuvres symphoniques). La suppression de ces structures « humaines », où les artistes peuvent calmement éclore, chercher, et se développer, signifie la fin de l'émergence des talents, donc cela lèsera à très court terme les grandes scènes qui les accueillent ensuite. Et l'art lyrique n'est pas le seul concerné, c'est valable pour tous les arts du spectacle. Au moment où la France s'apprête à prendre la présidence de l'Union européenne, le gouvernement tourne le dos à un système culturel d'aménagement du territoire, cohérent depuis la Libération, fondé sur le partage des valeurs à l'échelle de la nation tout entière. Et ce forfait pourrait avoir lieu au moment même où cette logique est admirée et copiée par nos voisins, l'Espagne en tête…

RM : En plus des artistes, les premiers lésés seront les spectateurs. Avez-vous eu des témoignages à ce propos.

JYO : Bien sur ! Et sans arrêt. Les élus locaux sont aussi interpellés directement sur ce problème, du Maire de Tours aux députés d'Indre-et-Loire Jean-Patrick Gille et Marisol Touraine, qui ont déjà soumis questions écrites et courriers à la Ministre de la Culture.

RM : Est-il possible pour une maison comme Tours de rogner un peu plus son budget si les crédits, s'ils arrivent, sont à la baisse ?

JYO : Pas du tout, cela fait des années que nos budgets sont serrés au maximum. C'est cynique de penser cela, et ceux qui le laissent entendre sont soit malhonnêtes, soit incompétents. Nous sommes hélas déjà bien fragilisés. A Tours, les charges fixes (rémunération du personnel permanent, entretien des locaux, etc. ) représentent 65% de l'enveloppe budgétaire. C'est le coût incompressible d'un opéra de production en état de marche minimal, avec un orchestre non permanent, un petit cadre de chœurs de douze choristes, des ateliers décors et costumes, et un minimum d'encadrement artistique et administratif, ou aucune fonction n'est doublonnée. 35% vont donc à la production et à l'artistique. On ne peut pas faire mieux, nous sommes sans doute l'opéra qui redistribue et « fait voir et entendre » directement sur la scène le plus fort taux de deniers publics. La fourchette généralement admise dans les théâtres lyriques est plutôt au mieux de 70/30 (comme à Avignon), ou autour de 80/20 pour la plupart. On ne peut pas économiser sur ces 65% de charges fixes, à moins de licencier. Nous sommes donc « au taquet », comme on dit familièrement. Toutes ces annonces du Ministère sont faites sans concertation ni négociation, ni même information préalables. N'oublions pas que la prise de conscience quant au projet de suppression de la subvention d'Etat est le résultat d'une fuite, pas d'une déclaration officielle. La communication officielle est souvent embarrassée, brouillée par des chiffres contradictoires, et donne des réponses au mieux ambiguës : en tentant par exemple de nous faire croire au caractère « forcément momentané » d'un « gel » de 6% des crédits (pardon, « mise en réserve », dernière trouvaille sémantique), redistribué si, fin 2008, les dépenses n'ont pas excédé celles prévues par la Loi de Finances, l'Etat espère sans doute réussir à faire en sorte que l'exécution du budget pour la culture soit réalisée très nettement à la baisse, car il est évident que Bercy a l'intention de peser pour que ces crédits « mis en réserve » ne soient jamais versés. Cela s'est d'ailleurs produit fin 2006 pour plusieurs opéras, et nous avions bien là les « ballons d'essai » de nouvelles pratiques. Le problème, si cette méthode devenait règle, c'est que la parole de l'Etat ne serait plus une parole fiable.

RM : La suppression de cette subvention, si sa partie visible est les fermetures d'opéras, risque-t-elle de déséquilibrer les finances des villes concernées ?

JYO : Bien sur ! La subvention des DRAC tombe en général en plusieurs virements de crédits, dont le dernier tangente souvent la fin de l'année civile (et quelquefois plus tard). Les municipalités nous avancent donc les sommes non encore versées, qu'elles récupèrent par la suite, pour nous permettre d'exécuter nos budgets dans des conditions normales. Au jour où je vous parle, il n'y a plus aucune certitude quant à cette récupération. Même si les subventions sont maintenues officiellement, il faudra prendre garde à ce que le budget 2009 ne soit pas encore pire : c'est-à-dire un budget qui prenne pour base celui de 2008 moins le « gel budgétaire », amputé d'une nouvelle baisse de crédits, tout cela avec des collectivités territoriales au pied du mur et mises devant le fait accompli en fin d'exercice budgétaire. Ne croyez pas que je sois catastrophiste : c'est hélas bien ce qui est indiqué officieusement. Il ne faut pas nous prendre pour des « pauvres artistes affolés », incapables de rien comprendre aux chiffres ! Si nous ne nous faisons pas entendre fortement, si nous ne démontrons pas que ces économies de bouts de chandelle au niveau de l'Etat remettent gravement en cause le rayonnement du pays et la nourriture culturelle de ses habitants, c'est une lame de fond qui risque de nous arriver dessus, et d'engloutir beaucoup d'entre nous, tout en faisant des dégâts dans toutes les structures, même les plus sanctuarisées aujourd'hui.

RM : Peut-être va-t-il falloir trouver de nouveaux financements, essentiellement privés, comme le mécénat ?

JYO : Le mécénat ? C'est encore pour l'instant un miroir aux alouettes, et nous travaillons pourtant sur cette question depuis des années. Dès mon arrivée à la direction de l'Opéra, j'ai voulu créer « Diva », un club d'entreprises, qui existe depuis six ans, mais reste très marginal dans notre fonctionnement. Pourquoi ? D'abord, nous n'avons pas en France cette tradition du mécénat et du sponsor privé, surtout pour le spectacle vivant, que nous admirons de loin aux Etats-Unis ou au Canada sans en mesurer toujours les effets pervers. La loi sur le mécénat votée très récemment n'a encore rien changé pour nos structures. Les grandes entreprises préfèrent encore se tourner vers le sport, ou l'acquisition d'œuvres, ou la restauration du patrimoine. Des changements radicaux dans cette attitude ne seront le résultat que d'un long travail de persuasion, que nous avons pourtant commencé, avec beaucoup de force de conviction et d'énergie dépensée. Le secteur économique de l'entreprise n'est d'ailleurs pas très en forme non plus. Des mécénats très actifs comme France Telecom, avec lesquels nous avons travaillé dans le passé et pendant plusieurs saisons, ne peuvent apporter que peu de moyens, et ont depuis déserté le champ du lyrique. Qui en région Centre pourrait nous financer ? C'est une région riche en PME, souvent fragiles, il n'y a pas de grands pôles financiers ou industriels. Nous avons des arguments à faire valoir : en plus de notre image artistique reconnue, c'est un vrai travail de fond, tous azimuts, nous sommes partenaires de deux universités, Tours et Poitiers, associés à un Mastère « Arts du spectacle » à Tours et à une licence professionnelle « métiers de l'Art Lyrique » à Poitiers. Nous travaillons avec une quinzaine de collèges sur « Viva l'Opéra », une opération initiée il y a plus de vingt ans, en collaboration avec l'Inspection Académique ; chaque saison, dix mille enfants du premier cycle sont, sous des formes diverses, en contact avec nous ; j'ai créé il y a quatre ans la Maîtrise de l'Opéra, qui en est cette saison à son troisième spectacle autonome (ils investissent l'opéra deux semaines entières pour répéter), sans compter les participations aux opéras comme La Bohème ou Carmen et des concerts ; nous multiplions opérations portes ouvertes et répétitions ouvertes ; l'Orchestre Symphonique Région Centre-Tours se produit partout en région, grâce au soutien du Conseil Régional Centre et du Conseil Général de l'Indre-et-Loire, sans appui de l'Etat, et se fait remarquer par sa grande qualité, dans la presse et ailleurs. Nous avons d'ailleurs avec lui des invitations prestigieuses à honorer dans le futur ; partenariat unique à ma connaissance, nous coproduisons chaque saison un spectacle avec le Conseil Général d'Indre-et-Loire (le Pays cette saison), et un deuxième avec le Conseil Régional, etc, etc… Avec toutes ces activités, l'Opéra de Tours n'est pas le plus dépensier : notre budget artistique, un des plus modestes, est à peu près au dixième de celui d'une maison comme le Capitole de Toulouse, qui est un exemple à suivre en matière de gestion de l'argent public.

RM : Que vous inspire cette politique d'économie forcée sur le dos du spectacle vivant ?

JYO : Au-delà du désintérêt qui s'afficherait ainsi dramatiquement pour le secteur culturel, c'est le mépris manifesté en filigrane pour le public qui serait affolant, si tout cela n'était pas révisé avant que des bêtises irréparables soient commises. Parler d'art élitiste, réservé à un quarteron d'intellectuels, comme on se plait à le faire parfois pour justifier de telles coupes claires, est du mensonge autant que de la pure démagogie. Nos salles seraient loin d'être pleines, si c'était le cas. A Tours, le public est là, divers d'âges et de condition sociale, et il s'est naturellement élargi et renouvelé grâce au travail de diffusion que nous faisons depuis des années. L'inquiétude et la solidarité, la chaleur extraordinaire, qu'il nous manifeste ces dernières semaines, est à l'image de son attachement à son opéra, son orchestre, bref à tout le sentiment de communauté et de respect mutuel que nous avons construit. Cela, c'est du vrai lien social, qui ne se borne pas à divertir, mais qui nous rend tous plus riches et vivants. Accessoirement, mais cela mérite d'être dit aussi, le prix des places pour les opéras à Tours s'échelonne de 8 à 55€, donc on ne peut pas parler de sélection par l'argent. Si l'Etat souhaite toujours, comme il le proclame, une démocratisation du spectacle vivant, ce n'est pas en fermant nos théâtres et nos opéras qu'il nous aidera à poursuivre cet objectif.

Crédits photographiques : © D.R.

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Directeur de l’Opéra de Tours depuis 1999, seul chef d’orchestre (avec Guy Condette à Limoges) à un poste de ce type en France, Jean-Yves Ossonce a fait porter à la connaissance de tous les coupes budgétaires qui vont affecter le spectacle vivant par un communiqué de presse diffusé par l’AFP le 10 novembre dernier. Rencontre avec un homme révolté.

 
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