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Parmi les mezzos les plus prisées du moment, il y a l'italienne Anna Bonitatibus. Connue essentiellement pour ses interprétations du répertoire baroque, préclassique et classique, elle s'oriente lentement vers d'autres horizons. Ainsi, elle vient de chanter sa première Charlotte au théâtre de Jesi en Italie. A cette occasion, elle a accepté d'accorder une interview à ResMusica.
« Je chante ce rôle avec le cœur d'une italienne. »
ResMusica : Vous venez d'aborder pour la première fois le rôle de Charlotte. Qu'est-ce que cela signifie pour vous ?
Anna Bonitatibus : C'était une incroyable découverte. La musique et le personnage m'ont profondément touchée. J'espère rechanter ce rôle souvent. La prochaine fois, ce sera peut-être dans un théâtre plus grand et avec une distribution plus internationale.
RM : Comment voyez-vous le personnage ?
AB : C'est un personnage très riche. En effet, je sens dans Charlotte le romantisme allemand et le parfum français, et je chante ce rôle avec le cœur d'une italienne.
RM : Cette incursion dans le répertoire romantique français veut-elle dire que vous vous éloignez lentement du répertoire baroque et classique ?
AB : Je m'éloigne un peu pour ouvrir encore plus mon regard sur l'opéra et sur la musique en général. Je ne veux pas dire que je vais abandonner complètement ce répertoire. Mais il faut dire que – avant de faire beaucoup de baroque – je suis née comme rossinienne et comme belcantiste. Et je tiens beaucoup à garder cela, parce que c'est bon pour la voix et pour l'esprit. Avec Rossini, on reste jeune. En même temps, je pense que le moment est arrivé pour moi d'élargir mon répertoire vers d'autres opéras du XIXe siècle.
RM : Quels rôles aimeriez-vous reprendre ou aborder pour la première fois ?
AB : Prochainement, je vais refaire Romeo dans I Capuleti e i Montecchi en concert à Moscou. C'est un opéra que j'adore, mais qu'on trouve trop rarement dans les calendriers des grandes maisons d'opéra. Puis j'aimerais chanter Isabella dans L'Italienne à Alger. C'est étrange, mais c'est un rôle que je n'ai jamais fait. Isabella fait preuve de beaucoup d'ironie et c'est un personnage bien plus intéressant que Rosina. J'aimerais également aborder quelques rôles que Rossini a écrits pour Isabella Colbran comme, par exemple, Elena dans La Donna del lago. En même temps, le romantisme plus tardif m'intéresse, les opéras moins connus de Massenet par exemple. L'année dernière, j'ai chanté dans L'Enfant et les sortilèges de Ravel. C'était une belle découverte aussi – et, en plus, c'est un opéra qui fait venir un public plus jeune à l'opéra. En général, je ne ferme jamais la porte à de nouvelles expériences, au contraire, je cherche toujours de nouveaux défis. Ainsi, je peux également m'imaginer me lancer dans le répertoire contemporain.
RM : Alors qu'il est difficile actuellement de trouver un bon ténor dramatique, dans votre répertoire, la concurrence est plutôt rude. Je pense par exemple à Cecilia Bartoli, Vesselina Kasarova, Sophie Koch ou Elina Garança. Comment vivez-vous cette situation ?
AB : Quelle question (rit) ! Heureusement, je ne souffre pas de ce type de concurrence. Par exemple, je connais bien Cecilia Bartoli. Nous avons déjà travaillé ensemble et nous nous sommes également rencontrées pour bavarder un peu. En effet, nous avons un peu le même esprit : nous sommes italiennes toutes les deux et nous avons chanté des rôles de coloratura hors du répertoire quotidien. Je suis peut-être un peu plus « distante » envers Vesselina Kasarova ou Sophie Koch que je ne connais pas personnellement, mais en général je vis très bien cette situation. Même si je n'ai pas une grande maison discographique aux épaules, j'ai mon espace à moi. Et il ne faut pas oublier que chaque fois que je suis sur scène, le public me réserve un accueil très chaleureux. Et c'est cela le plus important.
RM : Revenons en arrière. Vous êtes née en Italie du Sud. Où exactement ?
AB : Je suis née à Potenza. C'est vraiment au milieu de l'Italie méridionale, sur les montagnes de l'Appennino lucano. Toute ma famille vit là-bas. Et même si j'habite actuellement à Milan, je garde en moi le soleil de ma ville.
RM : Qui a fait naître en vous la passion pour la musique ?
AB : Je crois que c'est un peu dans le sang de ma famille. Même si mes parents ne sont pas du tout musicien, ils ont beaucoup de sensibilité par rapport à la musique, à la danse et à l'art. Ainsi, lorsque j'avais neuf ans, un conservatoire a été ouvert dans ma ville. Ma mère m'a inscrite avec mes deux sœurs. Ces deux dernières n'ont pas continué, mais moi si. J'ai adoré ces études au conservatoire. En effet, j'ai eu mon diplôme de piano avant même le bac !
RM : Et le chant ?
AB : J'ai toujours chanté, mais c'était plutôt un jeu pour moi. Plus tard, au conservatoire, j'ai voulu apprendre un deuxième instrument à côté du piano et j'hésitais entre les percussions et le chant. C'était le chef du chœur du conservatoire qui m'a finalement décidé de faire le chant. Il m'a dit que j'avais une jolie voix et que j'avais surtout la justesse nécessaire. C'est comme cela que j'ai commencé à apprendre le chant.
RM : Quelles ont été pour vous les étapes les plus importantes de votre carrière ?
AB : Voilà une question difficile. Il faudrait que je regarde en arrière pour me rappeler toutes les rencontres importantes. Il y en a eu vraiment beaucoup ! Je ne veux faire de tort à personne en citant un tel et en oubliant un autre. De manière certaine, il faut nommer les concours que j'ai passés en début de carrière parce qu'ils m'ont donné beaucoup de confiance. Je me souviens plus particulièrement d'un concours qui m'a permis de chanter pour la première fois sur scène le rôle-titre dans La Cenerentola.
RM : Vous avez un site web particulièrement bien fait. L'avez-vous réalisé vous-même ?
AB : C'est vraiment gentil de votre part de me dire cela. En fait, j'ai donné confiance à des jeunes gens de Milan qui réalisent des sites pour différents clients. J'étais la première chanteuse lyrique qui leur ai demandé de réaliser son site. Nous avons décidé ensemble comment l'organiser. Mon idée était de donner une image plus moderne d'une chanteuse lyrique qu'on ne l'a habituellement. Et il faut aussi remercier le photographe. Je me rappelle toujours les séances photo pour le site. En effet, ce photographe travaille beaucoup avec des models. Le jour où nous avons fait les photos pour le site, il était en train de faire un casting pour des jeunes filles qui devaient travailler pour un producteur de maillots de bain. Je suis donc arrivée avec mes robes de soir les plus élégantes pour que cela fasse « chanteuse sérieuse » et j'avais devant mes yeux des jeunes filles de 16 ans, grandes et belles, en maillot de bains. Tout de suite, je me suis senti tellement vieille ! J'ai dit au photographe que j'aillais devenir dépressive. Mais finalement, on a décidé de prendre cela en plaisantant. On rigolait tellement qu'on a pu utiliser seulement quatre photos de toute la séance, parce que sur les autres, j'avais les larmes aux yeux !
RM : Quels sont vos loisirs ?
AB : Beaucoup de choses (grand soupir). J'aime lire, j'aime l'art – et j'adore faire à manger à des amis. Et le fitness, bien sûr. Il faut !
RM : Vous parlez parfaitement le français. Avez-vous une affinité particulière pour la France ?
AB : J'adore la langue et j'adore le pays. Dès que je suis en France, je pratique le français. Et j'adore plus particulièrement Paris – des petits bistrots aux parfums qu'il y a dans la ville. Il y a vraiment quelque chose de magique à Paris.
RM : Quand pourra-t-on vous écouter en France la prochaine fois ?
AB : Je reviendrai encore pour quelques titres baroques. Justement à Paris, je chanterai Tolomeo de Haendel en avril 2008. J'ai enregistré cet opéra récemment pour Deutsche Grammophon – et nous allons faire le concert de promotion le 4 avril 2008 au Théâtre des Champs-Elysées. Il y a également un projet de faire I Capuleti e i Montecchi, mais comme je n'ai pas encore signé le contrat, je ne dirais pas où (rit).