Le roi de Lahore à la Fenice

S'il fallait décerner la palme de l'invraisemblance au royaume du répertoire lyrique, Le roi de Lahore de Massenet serait sans doute un candidat très sérieux, à côté duquel Il Trovatore paraîtrait presque d'un réalisme de mauvais aloi.

Qu'on en juge : le héros Alim, poignardé par son rival à la fin du deuxième acte, passe le troisième au paradis afin de revenir, sous une forme réincarnée – on n'est pas prêt d'oublier la rare pertinence des paroles « Qu'il soit lui, qu'il ne soit plus lui »…– au quatrième. Il meurt de nouveau au cinquième, mais cette fois-ci en compagnie de la jeune prêtresse Sità, qui aura ainsi échappé de justesse aux ardeurs du baryton, le fourbe Scindia.

En dépit d'un livret et d'une partition plus que conventionnels, l'ouvrage recèle un certain nombre de beautés musicales qui laissent entrevoir le futur grand compositeur qu'allait devenir Jules Massenet. On appréciera tout particulièrement le solo de saxophone du ballet du troisième acte, le duo pour ténor et soprano « Oui, je bénis la souffrance » du deuxième, ou encore le bel air de ténor du cinquième.

C'est ainsi, parce qu'il nous permet d'approfondir notre connaissance de l'œuvre de ce grand compositeur français, qu'on ne peut que recommander l'achat de ce DVD, reflet d'une soirée vénitienne en décembre 2004. La mise en scène contient également quelques beaux tableaux, d'un goût orientalisant qui n'aurait sans doute pas déplu au public de 1877 qui eut la chance de découvrir cet ouvrage de Massenet. Malheureusement, l'œuvre est desservie par des acteurs peu crédibles, encombrés de surcroît par des costumes assez laids dont l'exotisme un peu facile n'a rien d'enthousiasmant.

Sur le plan vocal, l'œuvre est assez bien servie, même si on peut regretter l'absence de chanteurs francophones dans la distribution. Le ténor albanais Giuseppe Gipali fait bonne impression dans le rôle d'Alim, et il en est de même du baryton bulgare Vladimir Stoyanov. La plus belle voix est sans doute celle de Ana Maria Sanchez, hélas peu crédible physiquement. Les rôles secondaires sont dans l'ensemble bien tenus, même si personne ne brille particulièrement.

L'orchestre de La Fenice est superbement dirigé par le regretté Marcello Viotti, à la mémoire de qui cet intéressant DVD est dédié.