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Dijon, Auditorium, 11-XI-2007. Charles Gounod (1818-1893) : Faust, opéra en cinq actes sur un livret de Jules Paul Barbier et Michel Fromentin Carré. Mise en scène : Gerhard Weber. Décors : Claude Stephan. Costumes : Jean-Michel Angays et Stéphane Laverne. Lumières : Gerhard Weber. Avec Jean-Pierre Furlan, Faust ; Fiorella Burato, Marguerite ; Nicolas Cavallier, Méphisto ; André Heybœr, Valentin ; Béatrice Burley, Dame Marthe ; Hermine Huguenel, Siébel ; Jean Vendassi, Wagner. Chœur (chef de chœur : Bruce Grant) et Orchestre du Duo-Dijon, direction : Claude Schnitzler.
Le Faust de Gounod reste à l'évidence un des deux opéras français du XIXe siècle qui attirent le plus le public.
S'il est vrai que mettre en scène la légende réécrite par Gœthe n'est pas une partie facile, sur les cinq actes écrits par les librettistes Barbier et Carré, trois auraient sans doute suffi ; d'autant que les auteurs ont choisi la solution d'une action continue, au contraire de Berlioz dans La Damnation de Faust de 1846. De la légende de Faust ne sont ici retenus que les épisodes évoquant l'amour entre le héros et Marguerite, puis le salut de l'âme de la jeune « pécheresse ». Mais nous ne croyons plus guère aujourd'hui au portrait brossé d'une Marguerite gentiment niaise, et Faust n'est guère mieux loti : il manque totalement d'épaisseur, il n'est plus rien d'autre qu'une marionnette entre les mains de Méphisto. Heureusement les jugements derniers des tympans romans nous ont depuis longtemps appris que l'enfer est toujours plus pittoresque que le paradis : le démoniaque Méphisto est drôle, cynique, manipulateur à souhait. Ouf ! Sauvés par le diable ! D'ailleurs, Barbier et Carré réussiront d'une manière aussi heureuse leurs portraits diaboliques dans les Contes d'Hoffmann d'Offenbach en 1881.
A première vue, cet opéra n'est donc que l'histoire d'un séducteur assez vil qui abandonne une pauvre fille pleine d'illusions, ou, comme le dit Gerhard Weber, « de l'abus d'une fille du peuple par un chercheur finalement incapable de vivre sa vie». La mise en scène tente pourtant de dévoiler certains aspects plus métaphysiques de la légende que Gœthe avait soulignés. En somme dans cette version scénique, il s'agirait pour le dramaturge berlinois Peter Larsen « d'unir la vitalité et l'érotisme à la française au penchant germanique pour la philosophie ». Mais hélas l'ambiance lourdement moralisatrice de cette période autoritaire du Second Empire se fait par trop sentir, et les deux derniers actes apparaissent bien tristement conventionnels : l'enchaînement des scènes sonne faux et tout y apparaît comme écrit d'avance. Peut-être Charles Gounod a-t-il été trop entraîné par son côté mystique, et le langage du livret est souvent bien ampoulé : « Salut, demeure chaste et pure… »
Les décors très simples de Claude Stéphan provoquent une impression de vide intemporel dans le premier et le dernier acte. Au contraire les actes centraux utilisent deux niveaux qui nous replacent dans le monde ordinaire et permettent des mouvements de foule (la kermesse, le défilé des soldats) assez réussis. La symbolique de la croix à l'envers transformée en balancier au début du premier acte est empruntée à un dialogue du Docteur Faustus de Thomas Mann : « – Alors, vous voulez me vendre du temps ? – Du temps… Non mon cher, le diable ne débite point cette marchandise ». Cette croix réapparaît dans le dernier tableau ; bien droite cette fois, elle se détache du mur et en s'inclinant elle finira presque par écraser Marguerite : est-ce le symbole de la foi toute-puissante ? Les éclairages transforment avec art ce cadre dépouillé, mais le mettent habilement en résonance avec l'action.
Les costumes sont modernes « sans vouloir (les) actualiser de trop », Marguerite étant résolument vêtue d'une façon très ordinaire. Seuls les costumes de la foule sont colorés, voire un peu folkloriques, comme pour souligner les scènes de divertissement. En revanche, Méphisto est paré d'une redingote de velours rouge, le cheveu noir brillantiné, gominé, et Faust après sa cure de jouvence est habillé de blanc : les deux acteurs se distinguent donc parfaitement de Siébel, Valentin ou Marguerite. Peut-on alors parler de deux entités ou bien sont-ils la représentation de deux aspects d'un seul et même personnage ? Effectivement Méphisto le manipulateur accentue son emprise sur Faust et, plus l'action se déroule, plus la mise en scène suggère leur symbiose : dans la dernière scène, Faust lui-même semble prêt à faire don de l'âme de Marguerite à l'enfer.
La partition de Gounod ne manque pas d'attraits, mais elle nous paraît aujourd'hui d'une force bien inégale. Si le prélude, magnifique au demeurant, est quasi wagnérien, que dire des aspects pompiers du chœur « Gloire immortelle de nos aïeux », de l'air de Valentin qui le suit, et du caractère si conventionnel, presque fade, de ce dernier personnage ? D'autres passages au contraire sont délicieux de fraîcheur : « Faîtes-lui mes aveux » ; et certains autres sont poétiques et vraiment émouvants, comme la scène d'amour nocturne de la fin de l'acte III.
Claude Schnitzler fait travailler l'orchestre et le plateau avec efficacité. Jean-Pierre Furlan est convaincant, même s'il est parfois trop italianisant ; Nicolas Cavallier, qui a remplacé au pied levé Alain Vernhes dans le rôle de Méphisto, réussit mieux les dialogues que la sérénade « Vous qui faîtes l'endormie » ; Fiorella Burato garde au rôle de Marguerite un côté innocent, mais arrive à passer avec aisance de la simplicité à la virtuosité.
Ce spectacle, résultat d'une collaboration entre l'Opéra de Trêves et le Duo-Dijon, présente une vision intéressante de l'opéra de Gounod ; celle-ci a l'avantage de gommer au maximum le côté diablerie de pacotille et le pompiérisme de son époque, et elle y apporte une vision métaphysique que Barbier et Carré avaient mis maladroitement en retrait.
Crédit photographique : Fiorella Burato (Marguerite) © Hervé Scavone
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Dijon, Auditorium, 11-XI-2007. Charles Gounod (1818-1893) : Faust, opéra en cinq actes sur un livret de Jules Paul Barbier et Michel Fromentin Carré. Mise en scène : Gerhard Weber. Décors : Claude Stephan. Costumes : Jean-Michel Angays et Stéphane Laverne. Lumières : Gerhard Weber. Avec Jean-Pierre Furlan, Faust ; Fiorella Burato, Marguerite ; Nicolas Cavallier, Méphisto ; André Heybœr, Valentin ; Béatrice Burley, Dame Marthe ; Hermine Huguenel, Siébel ; Jean Vendassi, Wagner. Chœur (chef de chœur : Bruce Grant) et Orchestre du Duo-Dijon, direction : Claude Schnitzler.