Plus de détails
À l'occasion de la réédition de son album, L'Autre bout du monde (Fargo, disponible depuis le 14 septembre 2007) ResMusica a rencontré Emily Loizeau.
« Tout est venu d'une certaine saturation que j'ai un jour ressentie quant à l'apprentissage classique de l'instrument. »
ResMusica : Vous avez suivi une formation classique au conservatoire durant toute votre jeunesse. Comment passe-t-on du conservatoire aux improvisations à l'accordéon dans les bars ?
Emily Loizeau : Tout est venu d'une certaine saturation que j'ai un jour ressentie quant à l'apprentissage classique de l'instrument, à la pression qu'impose cet apprentissage au détriment du plaisir. Paradoxalement, ce sont mon amour et mon respect pour cette musique qui m'ont interdit de poursuivre sur cette voie. Il me fallait absolument tout arrêter pour réfléchir à ce que j'étais en train de faire, et surtout pour comprendre à quoi j'aspirais vraiment. Car à côté de la musique, il y avait aussi la philosophie et le théâtre ; j'ai d'abord suivi des études de philosophie, puis je suis partie en Angleterre au sein d'une école de théâtre. C'est là que j'ai commencé à reprendre des chansons. Si l'idée de l'accordéon s'est d'abord imposée, c'est en raison directe de la beauté visuelle de cet instrument, de sa formidable présence scénique… et de sa facilité de transport ! J'ai commencé à reprendre des chansons de Tom Waits, Nina Simon, Piaf, Brassens, des chants manouches… pour moi, pour le plaisir ! Puis, à la suite de la mort de mon père, j'ai mis en musique un poème de sa main, car il me semblait nécessaire d'exprimer de façon toute personnelle quelque chose de très fort. À la suite de cela, m'est venue l'envie d'écrire mes propres chansons, de faire le choix définitif de ce mode d'expression. De retour en France, décidée à rester dans le monde du théâtre, j'ai multiplié les chansons, les ai chantées dans tous les bars qui m'accueillaient, mais toujours pour le plaisir. Car en fait, je pensais vraiment à une carrière plus théâtrale que musicale. Puis de fil en aiguille, l'importance de la chanson croissant au fur et à mesure que je donnais des concerts, toujours plus fréquents, j'ai compris que la musique m'avait rattrapée.
RM : Que retenez-vous de ces années d'apprentissage, de cette formation ?
EL : J'en suis très heureuse car l'apprentissage classique m'a apporté beaucoup de choses, une culture musicale certes, mais aussi une certaine rigueur. Sans avoir l'outrecuidance d'amorcer une comparaison avec les contributions géniales d'un Mozart ou d'un Bach, il me semble qu'on peut retrouver une certaine empreinte classique dans tout ce que je fais. Au point même qu'il m'arrive, à l'étape de l'écriture, de chercher à me défaire de cette emprise classique. Mais, en regard, il y a aussi la signature du théâtre qui reste très forte dans ma musique.
RM : Et quels compositeurs vous ont marquée ?
EL : Bach, Schubert et Schumann sont les compositeurs qui ont été mes piliers. Par ailleurs, il y a chez Ravel et Debussy des caractères très forts que je retrouve, lorsque je me mets à ma table pour écrire, dans les réflexes mélodiques que je peux avoir, réflexes directement issus de ce que j'ai travaillé enfant. Ensuite, j'adore la musique baroque, surtout Monteverdi, dans l'Orfeo ; il y a là quelque chose de très puissant, c'est une musique qui me touche tout particulièrement.
RM : Et en dehors des classiques ?
EL : J'ai un grand respect pour Danyel Waro, qui est un auteur compositeur réunionnais, un véritable emblème dans son pays, au chant très engagé. On pourrait dire qu'il pratique une sorte de blues réunionnais. Je viens de découvrir aussi une toute jeune chanteuse, Alela Diane, pour laquelle j'ai vraiment eu un coup de foudre musical. Il y a aussi un jeune chanteur dont je trouve qu'on ne parle pas assez, Gaspard Batlik.
RM : Comment sont venues vos premières compositions ?
EL : Mes premières compositions étaient destinées à l'accordéon, instrument sur lequel je connaissais trois accords ! C'étaient donc des compositions sur trois accords ! Puis j'ai fini par me dire que j'avais joué du piano pendant quinze ans et que, peut-être, mes chansons gagneraient si je m'accompagnais au piano…
RM : Vos textes font-ils référence à une littérature particulière ?
EL : Oui, il y a quelque chose lié à l'enfance, au rêve, j'ai pensé mon disque comme une espèce de monde imaginaire et bizarre ; il parle de rêves et de cauchemars, il chante des comptines parfois un peu macabres. C'est vrai que cet univers-là est assez anglo-saxon, je pense à Lewis Carroll, Thomas-Stearns Eliot et d'autres auteurs de cette époque qui ont écrit des histoires quelque peu étranges, soi-disant destinées aux enfants… Mes chansons ont souvent pour sujets l'enfance et la mort. J'aime bien tout ce qui a trait à des choses assez brutes ; rêvées, tout ce qui s'évade vers l'absurde, le bizarre, tout ce qui relève du grand écart.
RM : La réédition de l'album offre un bonus. De quelle nature ?
EL : On a rassemblé quelques reprises que j'avais faites cette année, auxquelles on a ajouté deux reprises enregistrées spécialement l'été dernier : Les filles de joie de Brassens, chanson que j'ai interprétée pour la première fois sur le plateau de l'émission Le fou du roi ; l'invitée du jour était Juliette Gréco, c'était assez émouvant pour moi de chanter cette chanson devant une artiste de sa dimension, d'autant plus que je ne m'y attendais pas du tout ! Cela m'a donné envie de l'enregistrer, une fois effectué l'arrangement avec Olivier Daviaud, à qui je devais déjà celui de Jasseron. Avec Seb Martel et Fred Pallem on avait fait un Tribute à Neil Young à Bourges, on a donc ajouté cette reprise, Poncahontas.
Ensuite il y un reportage intitulé Radio India, qui raconte un peu notre petite tournée en Inde de l'été dernier, c'est une trace sonore, un reportage de 15 minutes, comme un film audio pour moi. Je l'ai réalisé en collaboration avec Elodie Maillot, qui travaille pour RFI et qui nous a accompagnés en Inde ; ayant toujours adoré les reportages audio, j'ai envie de continuer de travailler avec elle.
RM : De toutes vos prestations, laquelle retiendriez-vous plus particulièrement ?
EL : Il y a eu un moment magique à Bourges ; pourtant le sort était contre nous puisqu'on devait faire une escapade (c'est-à-dire un concert dans un lieu qui n'est pas habituellement destiné à cet usage), un concert dans une grange, avec un système de son défectueux. Pour moi, il était impossible de ne pas jouer, c'était ma première année au festival, la pression était forte ! On a donc joué sans micro, ce que j'avais fait une fois dans une soirée à Clichy, autre souvenir d'un moment assez magique ; près de quatre cents personnes sont arrivées dans cette grange pourvue d'un toit très haut, d'où le son s'évadait de tous côtés. On s'est collés contre le mur, en position latérale, pour renvoyer le son vers le public, chaleureux et touché par nos efforts… un concert fantastique, un grand souvenir !