Plus de détails
Né à New York en 1977, Jonathan Schiffman est l'un des chefs américains les plus prometteurs de sa génération.
« Je suis quand même surpris de cet engouement français »
Formé à Yale et à la Juilliard School, il fait ses débuts en Europe en 2004 lorsqu'il remporte le Premier Prix du Concours international Antonio Pedrotti en Italie. Chef principal du New Amsterdam Symphony à New York depuis trois saisons, il collabore également avec différents orchestres à travers le monde. Compositeur actif, il s'investit également pour la diffusion d'œuvres contemporaines. Jonathan Schiffman vient d'être nommé Directeur musical de l'Orchestre Lyrique de Région d'Avignon-Provence et sa prochaine saison sera marquée par un fort ancrage français…
ResMusica : Pouvez-vous nous résumer comment a commencé votre histoire avec la musique ?
Jonathan Schiffman : J'ai commencé à jouer du violoncelle à l'âge de cinq ans, grâce à mes parents, puis j'ai étudié le piano et la composition. C'était une grande partie de ma vie, mais c'est réellement à l'âge de dix-huit ans que j'ai compris que je consacrerais ma vie à la musique.
J'ai su que je serais chef d'orchestre à vingt ans environ, car j'ai en fait toujours voulu être compositeur. J'ai fait mes études à Yale, où il y a une excellente scène musicale, de nombreux orchestres dans lesquels j'ai joué, et il y avait la possibilité de diriger ces orchestres. C'est ainsi que j'ai été nommé à la fin de ma deuxième année Directeur du Yale Bach Society Orchestra. En fait, c'est dans ce contexte que j'ai appris la direction. Je pense que c'est la meilleure façon d'apprendre le métier.
RM : Vous rappelez-vous quelles ont été vos impressions la première fois où vous êtes monté sur scène pour diriger un orchestre ?
JS : Oui, c'était pour une Symphonie de Haydn. J'avais une sensation incroyable et étrange : j'étais entre tous, je les dirigeais, c'était une grande responsabilité et un grand pouvoir. Mais en même temps, cela se rapprochait aussi beaucoup pour moi de la musique de chambre, dans le sens que nos respirations étaient liées. Je n'étais pas perdu en fait. Je dois cependant avouer qu'il y avait quand même un petit peu de peur aussi…
RM : Vous avez travaillé avec Kurt Masur et Ivan Fischer. Si vous deviez définir la chose la plus importante que chacun vous ait apprise ?
JS : Ivan Fischer m'a appris la méthode de répétition d'un orchestre, la méthode pour bien travailler AVEC un orchestre. Certains chefs sont excellents sur scène, mais pas en répétition. Avec Ivan j'ai beaucoup apprécié ses méthodes de travail avec l'orchestre, pas vraiment sur les détails, mais dans l'originalité. Pour lui, les choses importantes ne sont pas vraiment dans les nuances ou le tempo, il essaie de donner une couleur de musique de chambre à l'orchestre, en restructurant, en cherchant des relations entre les musiciens de l'orchestre. Chez Kurt Masur, ce qui m'a marqué, c'est l'intensité et sa force de conviction.
RM : Avez-vous eu ou avez-vous encore d'autres modèles en direction d'orchestre ?
JS : Pas vraiment dans les chefs passés, car je pense qu'on doit juger un chef surtout sur la répétition, pas que par le disque ou la vidéo. J'ai étudié à Juilliard avec Otto-Werner Müller, il m'a beaucoup appris et influencé.
RM : Mais dans les chefs du passé, vous seriez par exemple plus Toscanini, Furtwängler, ou Bernstein ?
JS : C'est difficile de se prononcer sur un chef du passé. J'adore Bernstein, j'aime sa musique, je la connais, je la dirige. Il m'a influencé dans le sens qu'il m'a appris ce qu'était le rôle d'un chef, qui inspire le public, qui donne à l'art. Mais il a aussi influencé tous les musiciens américains en fait. Je pense finalement que chaque chef doit être lui-même et original.
RM : Vous êtes aussi compositeur. Vous considérez vous comme un compositeur qui dirige ou comme un chef qui compose, et pourquoi ?
JS : Dans mon cœur je suis un compositeur qui dirige ; dans la réalité, je suis peut-être plutôt un chef qui compose. Je suis trop occupé désormais avec la direction pour composer. Je rêvais d'être compositeur, mais la direction m'a aidé à gagner ma vie. J'adore être chef, mais la plus belle forme d'activité musicale reste pour moi la composition. Les deux sont cependant très liés : quand je dirige un orchestre, cela m'inspire en tant que compositeur !
RM : Vous commencez une carrière extrêmement glorieuse en France, on l'a vu à Paris, où vous avez remplacé Kurt Masur, à Nancy, et bientôt à Avignon. Comment expliquez-vous cet engouement de la France pour vous ?
JS : Je crois que cela a commencé quand j'ai été nommé chef assistant à l'Orchestre National de France. On donne peu de concerts, mais j'ai dirigé en remplaçant Kurt Masur. Ma carrière a cependant commencé en Italie, j'y ai acquis beaucoup d'expérience, et cela m'a servi en France. J'ai dirigé un concert à Nancy, j'ai été réinvité ; à Avignon, j'ai eu beaucoup de chance. Ils cherchaient un jeune chef, plein d'énergie et de projets ; j'ai passé une petite audition, et cela a tout de suite marché !
Je suis quand même surpris de cet engouement français : je pensais continuer d'abord ma carrière en Italie, mais j'ai trouvé beaucoup d'opportunités en France. Et cela va encore se développer !
RM : Vous êtes Chef Principal du New Amsterdam Symphony, et vous dirigez beaucoup en Europe. Avez-vous remarqué des différences entre les orchestres européens, et entre les orchestres européens et américains, dans la manière de travailler, par exemple ?
JS : Il est difficile de généraliser, mais je trouve qu'aux Etats-Unis, le déchiffrage à la première répétition est meilleur, en raison du nombre de répétitions moins important et aussi du niveau technique des musiciens. En Europe, il y a d'autres avantages : la première répétition est peut-être moins bonne, mais il y a de vrais « musiciens » au sens propre du terme. Ils ne font pas que jouer, ils comprennent la musique, les compositeurs, les styles. J'ai dirigé ainsi en Italie, la technique, l'intonation n'est pas toujours impeccable, mais on y joue toujours très « musicalement » dès le début.
RM : Vous allez prendre la tête de l'Orchestre d'Avignon en septembre prochain. Quels sont vos objectifs avec cet orchestre ?
JS : J'en ai beaucoup ! Cet orchestre est aussi un orchestre lyrique et régional, qui a beaucoup de talent. Ce qui m'attire c'est le potentiel, les projets à venir : jouer dans d'autres villes, collaborer avec d'autres orchestres à Marseille, Toulon, Cannes. Je souhaite surtout créer des séries d'abonnements dans d'autres villes de la région. En 2008, nous fêterons le centenaire de la naissance d'Olivier Messiaen, originaire de la région, par un petit festival. Nous effectuerons également des tournées au Maroc, en Italie et aux Etats-Unis, et nous participerons à différents festivals en France. En fait, je veux mettre cet orchestre en valeur, car il a un excellent niveau.
RM : Avez-vous d'autres projets discographiques avec cet orchestre ?
JS : Avignon est une ville très connue ; pour les Américains, c'est peut-être la ville la plus connue après Paris ! Je pense que nous avons la possibilité de faire des disques autour de la ville d'Avignon, sur le thème du Palais de Papes, ou du Pont. Ce que je veux vraiment, c'est trouver des projets originaux qui puissent tirer parti et mettre en valeur la ville et la région d'Avignon.
RM : Sur une île déserte, quelles sont les trois partitions que vous emportez ?
JS : C'est difficile. Le Clavier Bien Tempéré de Bach, l'ensemble des Quatuors à cordes de Beethoven, et… un carnet de papier blanc pour noter ma musique.
RM : En dehors de la musique classique, avez-vous des passions ?
JS : Oui, oui. J'adore le sport, je fais beaucoup de planche à voile, énormément de jogging et beaucoup de randonnée. J'aime aussi beaucoup la littérature russe. Et enfin, la bonne cuisine !