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À l'occasion du Festival des Arcs, qui accueille, depuis 1973, aux Arcs et à Bourg Saint-Maurice, quelque 15.000 spectateurs et 140 stagiaires encadrés par des professionnels de haut niveau, ResMusica a rencontré le compositeur Nicolas Bacri, hôte (à partir du 16 juillet 2007) de cette manifestation musicale de portée internationale.
« La qualité reste un critère absolu en matière de musique ordinairement placée sous le label de l'avant-garde. Sinon, cette dernière ne reste pas. »
ResMusica : Dans le cadre du Festival des Arcs, vous donnez cette année plusieurs ouvrages dont la sélection est significative de l'importance que vous attachez à la rencontre directe avec le public mélomane. Un mot à ce sujet ?
Nicolas Bacri : Toutes les œuvres qui seront données dans le cadre du festival relèvent de la musique de chambre, à commencer par le sixième quatuor, une page pour laquelle je marque une particulière prédilection et dont l'enregistrement sera disponible dès le prochain mois de septembre. Le public pourra également prendre connaissance de deux trios, le deuxième (op. 47, créé par Régis Pasquier, Roland Pidoux et Akiko Ebi, souvent joué) et le troisième (crée par Aleksandar Madzar, Radu Bildar et Marie Hallynck). Par ailleurs, seront également proposées une transcription pour sextuor (clarinette, cors, piano, violon, alto, violoncelle) de ma Symphonie n°4, aussi souvent exécutée que ma Folia op. 30 ainsi que plusieurs pièces, fruits de commandes diverses : la Sonate n°2 op. 75 pour violon et piano (commande du festival de Lucerne, 2002) qui est de plus en plus jouée (concours de musique de chambre de Lyon 2007, imposée au concours d'exécution d'Enghien-les-Bains en 2008), la Suite n°3 op. 31 pour violoncelle interprétée par un stagiaire du festival et la Sonate pour violoncelle et piano op. 32.
RM : En tant que compositeur reconnu pour la qualité de sa musique, mais aussi pour la variété de son catalogue, vous sentez-vous des affinités électives avec un genre donné, une formation particulière ?
NB : Aucune hésitation pour vous répondre : le quatuor à cordes ! L'obtention du Grand Prix Lycéen des compositeurs – qui m'a été décerné en 2005 pour ma quatrième cantate – m'a notamment conduit à rédiger un quatuor à corde : le sixième (création par le quatuor Psophos au palais Chaillot). Par ailleurs, les organisateurs du Concours international de quatuor à cordes de Bordeaux m'ont commandé un 7e quatuor (variations sérieuses op. 101) dont la création a eu lieu les 6 et 7 juillet, au Grand Théâtre de Bordeaux par les neufs finalistes du concours. Bien sûr, cela a été pour moi un grand bonheur que l'audition des neuf interprétations de cet ouvrage par des candidats jeunes et talentueux.
RM : Précisément, que vous apporte la réception immédiate de votre musique par un public mélomane et curieux, dans le cadre du festival des Arcs ? Avec le passage des années, avez-vous le sentiment d'apprivoiser le public ou, au contraire, comme nombre de créateurs contemporains parvenus peu à peu aux frontières du découragement, de l'ensauvager ?
NB : Je ne puis évidemment, en ce domaine, parler que de la réception de mes propres œuvres. J'ai observé que mes pages plus récentes, celles qui, datant d'après 1990, intègrent diverses trouvailles opérées dans le champ tonal, suscitent des réactions plus chaleureuses. Mais je dois ajouter que le respect absolu du créateur pour son public ne signifie pas de sa part une quelconque subordination. En fait, je suis surtout attentif à la réception de mes interprètes, auxquels j'accorde toute confiance ; l'expérience m'a appris que ce qui les touche a toutes les chances de toucher le public. Je ne cherche pas le succès en fondant ma démarche sur ce qui est censé le provoquer ; tout au contraire, je vérifie auprès de mes interprètes, en fonction de leurs réactions, voire de leur émotion, que je n'ai pas œuvré en vain, et je suis ensuite confiant quant à la réception du public. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, un grand optimisme régnait dans les cercles musicaux les plus radicaux : le public ne pouvait qu'adhérer à la nouveauté… tant pis pour lui s'il manifestait une incompréhension hostile… les compositeurs n'ayant pas compris la nécessité d'une rupture totale avec le passé étaient taxés d'inutilité… Aujourd'hui, après plusieurs décennies d'expérience et de réflexion, il a bien fallu admettre la nécessité nouvelle d'une certaine humilité ! Ne craignons pas de l'affirmer, il faut un certain courage pour être compositeur à notre époque ; et sans le soutien des interprètes, public particulièrement exigeant et difficile à abuser par les seuls subterfuges de la technique, la tâche relèverait de l'impossible. Pour mon compte personnel, il est extrêmement important d'être soutenu par les interprètes de ma musique.
RM : Comment un compositeur couvert de commandes comme vous parvient-il à conserver un degré d'exigence esthétique et artistique maximal sans chercher, certes, à rebuter le public, mais sans accepter non plus la moindre concession au supposé goût ambiant ?
NB : En premier lieu, la qualité reste un critère absolu en matière de musique ordinairement placée sous le label de l'avant-garde. Sinon, cette dernière ne reste pas. Et le scandale n'est pas toujours là où on le situe. Voyez le Sacre du Printemps ; sa création houleuse reste dans toutes les mémoires, mais on oublie trop souvent que c'est la chorégraphie qui a choqué le public et que, dès les premières exécutions en concert, l'enthousiasme général a balayé toutes les restrictions initiales. Si cette partition est tout de suite entrée dans les mœurs, c'est parce que l'auditeur peut s'y retrouver, sans forcément s'identifier à la sensibilité du compositeur. L'important est que le compositeur croie en ce qu'il fait. Quand j'écris, je pense aux interprètes, mais surtout à ce que j'aimerais entendre. La nécessité d'écrire est liée au fait d'écouter… La musique que j'aimerais entendre n'existe pas. C'est même pour cela que j'ai créé Cantus Formus qui présente des compositeurs inscrits dans une certaine tradition contemporaine. Pour moi, l'œuvre existe déjà dans un certain au-delà de la pensée ; soit on l'accepte, soit on ne la termine pas. Il est, dans ma production, des pièces d'accès plus ou moins malaisé ; le Quatuor n°6, par exemple, est une pièce difficile, placée sous le sceau d'une évidente austérité. Cependant je n'ai opéré aucune mutation relativement à ce que j'entendais intérieurement, c'est une œuvre à prendre ou à laisser ; je n'ai pas cherché à faire, relativement à l'accueil du public, le moindre calcul.
RM : L'appétit de création est-il constant chez vous ? Dans quelle mesure coïncide-t-il avec les contraintes de la commande ?
NB : Il coïncide par nécessité. Si j'accepte une commande, c'est que je sais pouvoir réaliser quelque chose d'inédit. C'est finalement la commande qui suscite la création. Par exemple, lorsque j'avais 15 ans, j'ai écrit mon premier essai de quatuor. Puis à 18 ans, j'ai remanié mes essais, fait différentes versions d'un même quatuor : ainsi suis-je entré au Conservatoire avec une première version pour en sortir avec une seconde !
RM : Vous enseignez l'orchestration au conservatoire de Genève. Vous arrive-t-il de craindre que l'enseignant finisse par influer sur le compositeur ?
NB : Ça me fait très peur, je me sens observé et, à l'occasion, je deviens mon propre professeur. J'ai dans ma classe les élèves de composition de direction d'orchestre et de chœur. Cependant, pour moi qui ai commencé à orchestrer très jeune, dès l'âge de 16 ans et demi, le fait d'enseigner a ceci de positif qu'il m'oblige à formuler et à théoriser des gestes musicaux qui relevaient jusque là du seul instinct créateur.
RM : Existe-t-il actuellement une voie nouvelle sur laquelle vous auriez envie de vous engager ?
NB : Je sens que le moment est venu pour moi d'écrire un opéra. Deux projets sont en vue, et j'ai le ferme espoir de les voir aboutir.
Crédits photographiques : © Eric Manas
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