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Son nom est connu de tous et partout. Felicity Lott s'est illustrée à la fois dans l'opéra et l'opérette, le concert et le récital, et sur toutes les scènes du monde, où son professionnalisme souriant et son élégance lui ont toujours assuré le succès. Elle revient de Riga, où elle a interprété La Voix humaine avec l'orchestre de l'opéra de Lettonie sous la baguette de Juraj Valcuha. Et, entre deux avions, elle a l'exquise délicatesse de répondre à nos questions…
« Je ne suis pas très douée pour la musique contemporaine. »
ResMusica : Felicity Lott, vous aviez entamé des études de lettres et de langues, qui vous ont rendue polyglotte ; comment êtes-vous arrivée à faire carrière dans la musique ?
Felicity Lott : Étudiante, j'étais assistante au lycée de Voiron, dans l'Isère ; mon emploi du temps me laissant beaucoup de plages de liberté, et encore plus de solitude, je me suis inscrite, un peu par hasard, au Conservatoire de Grenoble. Et je me suis retrouvée dans les chœurs qui chantaient lors de la séance d'ouverture des Jeux Olympiques le 2 février 1968 ! De fait, je marie mes deux passions, le texte et la musique, la poésie et la mélodie. Je lis beaucoup, je recherche toujours des textes nouveaux, des mélodies différentes, tout en revenant régulièrement à mes anciennes amours. J'ai toujours été attirée tout particulièrement par les textes et la musique français : des poètes comme Hugo, Verlaine, Gautier, mis en musique par Fauré, Debussy, Duparc, et puis encore Messager, Hahn, et d'autres, tous grands compositeurs, et grands musiciens. Messager, par exemple, qui avait dirigé la première de Pelléas et était un ami de Fauré…
RM : Quel souvenir vous avait laissé Grenoble ?
FL : La ville de Grenoble, je ne l'aime pas beaucoup, mais ce cadre de montagnes, cet écrin sur le ciel bleu ! J'ai profité de mon passage pour revoir d'anciens amis restés sur place. Et puis Grenoble est liée pour moi au début de ma carrière, à l'une de ces rencontres qui vous marquent pour toujours ; j'y ai été comme adoptée par mon professeur de chant, Madame Maximovitch, qui m'a soutenue et encouragée, et qui m'a transmis son amour pour la mélodie… Je ne savais pas alors que ma carrière me ramènerait à Grenoble, notamment cette année (2007), pour interpréter, tout comme à Lyon pour cinq représentations, La Voix humaine de Francis Poulenc.
RM : Il s'agit d'un opéra peu joué car difficile. Pourquoi l'avez-vous accepté ? Par goût personnel ? Par défi ? Par curiosité ?
FL : Je l'ai d'abord chanté il y a presque 30 ans avec l'opéra de Glyndebourne, en tournée. C'est très difficile à apprendre mais c'est un beau rôle de comédienne, et j'ai toujours préféré avoir un rôle à jouer plutôt que de me concentrer sur la beauté de mon timbre ! Et j'adore les harmonies de Poulenc et sa façon de passer du rire aux larmes ; quoique dans cet œuvre, on reste surtout dans les larmes.
RM : Et comment avez-vous ressenti « de l'intérieur » cet opéra, dans lequel, selon certains critiques, vous avez une voix « trop belle et trop sophistiquée » pour le rôle ?
FL : Je ne connais pas ces critiques. Je pense qu'il faut vivre cette histoire déchirante et que n'importe qui peut s'identifier avec cette femme. La pièce de théâtre est de Cocteau, qui, paraît-il, avait vécu une triste histoire d'amour avant de l'écrire, et Poulenc de même. J'aime beaucoup la version enregistrée par Denise Duval qui a créé l'œuvre ; je l'ai enregistrée aussi avec un de mes chefs préférés : Armin Jordan, disparu l'année dernière et regretté de tous les gens qui l'ont connu.
RM : Comment s'est passée la collaboration avec le chef Juraj Valcuha, qui n'a pas la réputation d'être toujours très facile ?
FL : Ça s'est très bien passé avec Juraj : heureusement que je n'étais pas au courant de sa réputation ! Pour le chef, La Voix humaine est une œuvre qui paraît toute simple au premier abord, mais dès qu'on commence à la travailler on se rend compte que c'est d'une délicatesse inouïe. Il faut qu'on puisse comprendre chaque parole, et parfois l'orchestration est épaisse ; donc le chef doit être très attentif, et aussi, il s'agit d'une conversation au téléphone où l'on entend qu'une seule voix (la mienne, dans ce cas) mais où l'on doit imaginer ce que dit l'homme. Pour l'orchestre il y a beaucoup de silences qui doivent être très précis en longueur ou bien ça tombe à l'eau ! Juraj a été magnifique !
RM : Début avril, à l'Opéra-théâtre d'Avignon, accompagnée au piano par Graham Johnson, vous aviez interprété des lieder de Mahler, Schumann et Wolf, sur des textes de Gœthe et Rückert.
FL : Ce sont des œuvres que j'adore et que je n'ai pas chantées depuis longtemps ; en ce qui concerne « Ich bin der Welt abhanden gekommen », il s'agit sans doute d'une des plus belles mélodies qui existent, et j'ai tant de plaisir à la faire partager ! Quant à Schumann je l'ai toujours porté dans mon cœur, et Wolf, pour sa part, a composé sur de beaux textes de Gœthe, dont le magnifique « Kennst du das Land ? ». Réunir tous ces grands créateurs, pour qui j'ai une tendresse particulière, était pour le coup mon ambition.
RM : En deuxième partie, vous aviez mis au programme Baudelaire, Sacha Guitry…
FL : Certaines pages sont très célèbres, certaines sont de pures merveilles, comme L'Invitation au voyage de Duparc et Le Jet d'eau de Debussy. D'autres sont moins connues mais peut-être tout aussi attachantes, comme Le Chat de Sauguet ou Je n'ai pas oublié de Capdevielle. Et je termine toujours sur une note plus légère, pour que le public parte avec le sourire : Guitry, mis en musique par Hahn et Messager. Car Sacha Guitry a écrit notamment pour Yvonne Printemps, qui fut son épouse, des textes… jubilatoires.
RM : On imagine que vous cultivez quantité de projets ?
FL : Effectivement je n'en manque pas, et surtout pour des récitals. Je ne suis pas très douée pour la musique contemporaine : je ne m'y sens pas à l'aise, mais j'espère qu'un jeune compositeur français, Régis Campo, va m'écrire des mélodies, peut-être sur des textes de Verlaine, donc de nouveaux programmes en vue !