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Paris. Cité de la Musique. 22-V-2007. Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Kantate auf dem Tod Kaiser Joseph II ; Meerestille und glückliche Fahrt op. 112, Fantaisie pour piano, chœur et orchestre op. 80. Hilde-Haraldsen Sveen, soprano ; Hélène Moulin, alto ; Jean-François Chiama, ténor ; Jochen Kupfer, basse ; Alexander Melnikov, pianoforte. Chœur Accentus et Concerto Köln, direction : Laurence Equilbey.
IIIe Biennale d'art vocal
Pour ce concert Beethoven, les choix de Laurence Equilbey – qui n'aime rien tant que le risque bravé et surmonté – avaient à peu près autant de chances de séduire le public que de le dérouter. Quelque éclatants que soient les mérites de cette artiste considérable, mérites dont la reconnaissance n'a cessé, à juste titre, de gagner en largeur et en profondeur tout au long de la dernière décennie, il faut bien convenir que ni la cantate impériale ouvrant la soirée ni la mise en musique des deux poèmes de Gœthe n'étaient de nature à enthousiasmer d'avance un public qui, à l'instar de la signataire de ces lignes, eût été bien en peine de seulement les nommer avant lecture du programme !
C'est à la jeunesse du « Grand Sourd » que renvoie la Cantate sur la mort de Joseph II. Âgé de vingt ans, l'ardent et ambitieux aspirant à la gloire musicale élabore une œuvre de circonstance propre à satisfaire des commanditaires soucieux avant tout de distinction formelle et d'éloquence emphatique. Et pourtant, dans cette page juvénile, que de traces déjà foudroyantes du génie volcanique qui, un quart de siècle plus tard, animera certaines des plus belles séquences de la Missa solemnis ! La direction ample, étonnamment souple et précise de Laurence Equilbey n'a pas son pareil pour faire surgir, au gré d'épisodes frappants, par leurs contrastes dynamiques comme par leurs envolées lyriques, un sentiment de désordre surmonté, d'appel aux forces de lumière contre la cœrcition des ténèbres. C'est toute l'entreprise prométhéenne de Beethoven qui connaît ici son premier essor, seuil d'une aventure spirituelle et artistique dont l'histoire musicale serait bien en peine de fournir une plus prodigieuse occurrence. Tout l'effort d'un homme qui ne se laissera jamais abuser par l'illusion de l'idéal, déplorant jusqu'à son crépuscule « de n'être pas encore parvenu là où son meilleur génie ne brille que comme un lointain soleil » (lettre du 17 juillet 1812).
À peine dissipés les échos de cette première partie du concert et de son enthousiaste accueil, les accents initiaux de Meerestille und glückliche Fahrt (« Mer calme et heureux voyage ») provoquaient un émerveillement d'une autre nature. Au long des deux admirables volets de cette cantate profane pour chœur et orchestre rendant hommage au génie de Gœthe (merci au surtitrage, qui facilite de façon surprenante notre intelligence de la langue allemande !), c'est un tout autre climat sonore qui semblait sourdre de la baguette aussi précise qu'inspirée de Laurence Equilbey, celui, déjà, du finale de la Symphonie n°9.
Impression d'autant plus troublante que l'ultime et illustre volet de cette belle soirée, la Fantaisie op. 80, datée de 1808-1809, en accentuait l'effet par tous les paramètres musicaux opérant une miraculeuse synthèse : improvisation savante, développement varié, mosaïque unitaire de timbres distincts… tout ce par quoi Beethoven ouvre un cycle deux fois séculaire de métamorphoses musicales. Là encore, la maîtrise technique et la souveraineté esthétique de Laurence Equilbey confère à cette page rhapsodique une conformité organique fondée pour l'essentiel sur une discontinuité paradoxale, mais acceptée, du discours musical. Sollicitant avec le même bonheur l'impeccable virtuosité du chœur, la plaisante désinvolture de son complice d'un soir au piano, l'engagement lyrique de ses quatre solistes et la variété de timbres d'un orchestre rutilant en tous ses pupitres, elle s'applique à nuancer progressivement la joie musicale de toutes les teintes de l'exaltation, entraînant musiciens et auditeurs dans un merveilleux tourbillon final, délicieusement mais trop brièvement prolongé par le bis – exigé par un public en délire – de la grande cadence fermant ce bouleversant chef-d'œuvre.
Crédit photographique : Laurence Equilbey © DR
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Paris. Cité de la Musique. 22-V-2007. Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Kantate auf dem Tod Kaiser Joseph II ; Meerestille und glückliche Fahrt op. 112, Fantaisie pour piano, chœur et orchestre op. 80. Hilde-Haraldsen Sveen, soprano ; Hélène Moulin, alto ; Jean-François Chiama, ténor ; Jochen Kupfer, basse ; Alexander Melnikov, pianoforte. Chœur Accentus et Concerto Köln, direction : Laurence Equilbey.