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Plus que jamais, nos amis allemands nous rappellent que nul n'est «prophète en son pays». L'attirance des musiciens et musicologues étrangers pour l'opéra français du XIXe siècle peine à faire oublier le dédain presque unanime de leurs collègues hexagonaux pour ces ouvrages égarés, loin du répertoire national.
Ainsi à la Folkwang-Hochschule de Werden, le Pr. Matthias Brzoska vient d'organiser d'une façon tout à fait éclatante un ambitieux Festival-Congrès consacré à l'un des derniers opéras de Meyerbeer, Le Prophète, presque aussi oublié aujourd'hui chez nous qu'il fut célèbre hier.
Le Congrès a réuni pendant six demi-journées consécutives les spécialistes d'Allemagne, du Canada, de Grande-Bretagne, des USA, de République tchèque, de Suisse, d'Italie, de Suède, et même de France. La variété des disciplines représentées donne une idée de la richesse des contributions : musicologie naturellement, mais aussi littérature, science des bibliothèques et des archives, théologie, philosophie, théâtre, histoire politique et mise en scène. Sous leurs feux croisés, l'œuvre fut progressivement révélée dans tous ses aspects : questions de ses éditions, des sources de son livret, de ses rapports avec son contexte historique à peu près aussi troublé que le nôtre, problèmes de sa réception, de l'écho et de la compréhension de sa façon de lier musique et texte, sans omettre les questions relatives à ses différentes mises en scène dans le monde.
Le Festival, quant à lui, offrit la possibilité exceptionnelle d'entendre, en quatre soirées, quatre concerts présentant la musique de Meyerbeer ou celle inspirée par lui, dont un concert d'orgue par Andreas Jacob, un second constitué d'un montage de textes sur Meyerbeer conçu par Hermann Hofer et d'une illustration pianistique, dont le réputé injouable morceau de Liszt sur Le Prophète, un troisième consacré aux mélodies du compositeur, et le dernier fait de larges extraits du Prophète avec des solistes recherchés comme Gloria Scalchi (Fidès), Viktoria Loukianetz (Berthe), Benjamin Bruns (Jean) et tous les jeunes et remarquables élèves de la Folkwang-Hoschule pour les chœurs et l'orchestre dirigé par David de Villiers.
L'occasion fut unique de découvrir la place originale du Grand Opéra meyerbeerien, dont on parle aujourd'hui si souvent et qu'on n'entend presque plus jamais, situé dans l'histoire de l'opéra entre le Singspiel de Mozart et le musikalische Drama de Wagner, mais aussi essentiellement parlant, occupant une sorte de position moyenne, et à ce titre très intéressante à entrevoir, entre la fusion musicalo-littéraire propre à Wagner et la préférence exclusive pour la musique, jusque dans ses opéras, chère à Berlioz. Par contraste, il est saisissant de comprendre enfin combien ces génies s'éclairent extraordinairement les uns les autres.
A défaut d'être honorée par sa présence effective, cette haute manifestation a été saluée par Nicolaï Gedda lui-même, qui, s'il l'avait pu, aurait trouvé là sa place éminente en même temps que la plus grande reconnaissance de tous les vrais admirateurs de l'art musical. Merci donc à toute la Folkwang-Hochschule et à Matthias Brzoska pour cette grande manifestation de culture européenne.
Écouter
Le Prophète : deux intégrales officielles se partagent le marché, bien maigre, des œuvres de Meyerbeer. Elles ne sont pas toutes récentes, et pas très faciles à trouver, mais avec un peu d'opiniâtreté…
Nicolai Gedda, Jean de Leyde ; Marylin Horne*, Fidès ; Margherita Rinaldi, Berthe ; Robert El Hage, Zacharie ; Alfredo Giacomotti, Le Comte d'Oberthal ; Fritz Peter, Jonas. Orchestra Sinfonica di Torino della Rai, direction : Henry Lewis. Enregistré en direct les 8, 9, 10 juillet 1970 à Turin. 3 CD Myto 903. 18
James Mc Craken, Jean de Leyde ; Marylin Horne*, Fidès ; Renata Scotto, Berthe ; Jerome Hines, Zacharie ; Jules Bastin, le Comte d'Oberthal ; Jean Dupouy, Jonas. Royal Philharmonic Orchestra, direction : Henry Lewis. Enregistré en studio en 1976. 3 CD CBS M3K 79400.
*Marylin Horne, pour laquelle le rôle de Fidès semble écrit (en fait il fut composé pour Pauline Viardot) est présente dans les deux enregistrements, comme son mari à l'époque, Henry Lewis. On départagera l'un ou l'autre coffret en fonction de ses goûts pour la perfection du studio ou pour la vie du live, pour la sage Renata Scotto ou la torride, mais bien moins châtiée, Margherita Rinaldi, mais surtout en fonction du rôle-titre. Et là, il faut bien avouer que Nicolai Gedda l'emporte haut la main.