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Arcadi Volodos, le jeune pianiste d'origine russe dont la virtuosité est déjà quasi-légendaire, va bientôt se produire en concert au Théâtre des Champs-Élysées avec un programme qu'il définit comme « très intime ». Visant à la musique comme à un rituel d'amour qui se renouvelle à chaque fois, Volodos est capable de tirer n'importe quelle dynamique de son instrument. C'est pourquoi, dès l'âge de 24 ans, il est considéré comme la réincarnation de Horowitz et est amené à faire partie de l'Olympe des prodiges du piano.
« Le choix de mon programme est toujours basé sur l'envie de faire la musique que j'aime le plus et sur la compatibilité entre les différents compositeurs. »
ResMusica : Dans le programme du concert que vous allez jouer au Théâtre des Champs-Élysées 21 mai le prochain, on remarque tout de suite une sonate de Clementi. Le compositeur italien composa près de 110 sonates pour piano, qui continuent d'être très appréciées comme pièces d'exécution assez facile. Considérées comme des œuvres pédagogiques peu intéressantes, elles sont rarement jouées en concert. Pourtant les sonates de Clementi sont souvent d'exécution plus difficile que celles de Mozart à cause des difficultés techniques (comme par exemple l'écartement des doigts qu'elles nécessitent). Qu'en pensez-vous ?
Arcadi Volodos : Moi, j'ai toujours adoré la musique de Clementi. Je ne peux pas dire ce qu'est plus facile ou plus difficile. Je pense qu'on ne peut pas catégoriser la musique de cette façon. Clementi et Mozart ne sont pas comparables. Ils représentent deux univers différents, chacun avec sa propre philosophie et sa propre écriture. Le choix de mon programme est toujours basé sur l'envie de faire la musique que j'aime le plus et sur la compatibilité entre les différents compositeurs. Je ne pourrais jamais jouer Scriabine et Clementi dans un même concert par exemple.
RM : Le grand pianiste russe Vladimir Horowitz avait lui aussi une prédilection toute particulière pour Muzio Clementi. Depuis votre premier enregistrement « Piano Transcriptions » qui a gagné de nombreux prix ( Gramophone Editor's Choice, Preis der deutschen Schallplattenkritik) vous avez été désigné comme le « Nouvel Horowitz ». Cette constante comparaison au grand pianiste vous gêne-t-elle ?
AV : Non, c'est tout à fait normal parce dans ce disque j'avais enregistré des transcriptions de Horowitz. Aujourd'hui on est constamment porté à faire des comparaisons, même là où il n'y a rien à comparer. Il s'agit d'une mauvaise attitude, je dirais même d'une maladie de notre époque. Je crois que si j'avais enregistré d'autres transcriptions j'aurais été comparé à un autre compositeur. Je n'ai rien contre Horowitz, mais il y a d'autres pianistes qui me passionnent beaucoup plus que lui.
RM : Pouvez-vous m'en citer quelques-uns ?
AV : Schnabel, Cortot, Rachmaninov, par exemple.
RM : Quel compositeur aimez-vous le plus ?
AV : C'est difficile, il y en a beaucoup que j'aime. Mais ça dépend du moment. L'amour que j'éprouvais pour certains compositeurs a évolué dans le temps et il a même changé. L'amour c'est quelque chose que je sens dès que je commence à jouer une pièce, avant encore de l'étudier.
RM : Comment abordez-vous une nouvelle partition ?
AV : Je joue peu de piano. Pour moi le processus d'apprentissage est quelque chose de très cérébral. La connaissance doit passer tout d'abord par le cœur et ensuite par les mains. Je n'ai jamais compris pourquoi la plupart des gens s'intéressent à regarder les mains d'un pianiste alors que chacun d'entre nous a sa propre façon de jouer. Pour ma part, j'ai toujours essayé de comprendre ce qui se passe dans la tête d'un pianiste lors d'un concert. C'est le vrai processus cérébral qui m'intéresse.
RM : D'ailleurs de nombreux pianistes ont une mauvaise technique.
AV : Je n'aime pas ce mot. Cela ne veut rien dire. Quand on pénètre vraiment dans un morceau, que ce soit une œuvre de Schubert ou de Liszt par exemple, le mot technique n'a aucun sens. La technique n'a rien à voir avec la musique, l'art pianistique peut-être, bien que les heures de travail aident dans la réalisation de l'idée musicale. Mais pour cela il faut surtout attendre. C'est toujours une question de processus cérébral. Apprendre les morceaux mécaniquement est une grande erreur.
RM : Lors d'un entretien avec Teresa Pieschacon Raphael, vous avez soutenu que la plupart des gens ne sont pas suffisamment cultivés en musique et que souvent ils jettent sur l'art le même regard que sur un nouveau canapé. Trouvez-vous qu'aujourd'hui se rendre dans les salles de concerts est encore une affaire sociale ?
AV : Je ne crois pas avoir soutenu ça. Les journalistes interprètent beaucoup les mots. Non, il s'agit surement d'un malentendu. Qui suis-je pour donner des jugements ? Je pense, cependant, que nous vivons dans une époque très influencée par la communication de masse. La télévision par exemple, nous impose des cultures, des gouts. Le vrai problème est la dévalorisation de la musique. Etant partout, dans les restaurants, les fast-food, les bistrots etc., elle nous accompagne perpétuellement, telle une bande sonore de notre vie. Comment on peut apprécier la musique classique pendant qu'on mange un sandwich? ça c'est du mauvais gout, c'est vulgaire : elle perd toute sa valeur. Personne n'a jamais pensé à interdire la musique classique dans ces endroits.
RM : Comment envisagez-vous le futur pour la musique classique ?
AV : La musique classique vivra toujours mais elle ne sera jamais commerciale et continuera à être appréciée par un petit public.
RM : Vous avez étudié le piano avec Galina Egizarowa à Moscou, avec Jacques Rouvier à Paris et avec Dimitry Bashkirov à Madrid. Est-ce qu'il y dans ces différents pays une approche culturelle différente de la musique ?
AV : Je ne sais pas. Je peux dire que les gens ont une mentalité différente. A l'époque où je fréquentais le conservatoire, je ne me posais pas trop de questions. Quand on est jeune, on ne réfléchit pas beaucoup. J'ai juste des bons et des mauvais souvenirs des différents pays.
RM : Vous dites qu'en Europe, l'Allemagne est le meilleur pays pour la musique classique. Que pensez-vous des autres pays européens ?
AV : L'Allemagne est sûrement le pays « top » pour la musique classique. Mais il y a une constante évolution. Actuellement j'envisage un grand futur pour l'Espagne, grâce à un public jeune, dynamique et à beaucoup de salles de concerts. L'électricité que j'ai perçue dans ces salles est quelque chose de vraiment magique. On arrive à avoir une sorte de contact avec le public, ce que j'aime beaucoup. Chaque pièce occasionne une réaction différente. Crier « bravo » après une sonate de Clementi, c'est vulgaire et horrible pour moi. Il a des pièces qu'il ne faudrait jamais applaudir, parce que cela brise le silence et avec lui, le moment magique.
RM : Quel conseil pourrez-vous donner à un jeune pianiste qui entame une carrière musicale ?
AV : Un pianiste talentueux, qui fait la musique avec passion et enthousiasme, n'a certainement pas besoin de mes conseils.
RM : A coté de votre brillante carrière de soliste, en menez-vous une de pédagogue ?
AV : Non, pas actuellement. Le bon pédagogue est quelqu'un qui fait évoluer chez les autres la passion pour la musique ; qui aide à la compréhension. Cela requiert beaucoup de patience. La pédagogie c'est un art à part ; je dirais un talent à part et moi, je ne suis pas sûr d'en avoir.
RM : La critique vous a défini comme le « virtuose qui ne rit pas ». Qu'est-ce que vous en pensez ?
AV : On ne peut pas sourire en jouant les Funérailles de Liszt ! Le sourire est quelque chose qui nait spontanément et naturellement. L'élément gestuel n'a aucune importance dans l'interprétation artistique. C'est l'expérience, à savoir l'émotion, qui compte le plus. Tout le reste dérange l'exécution et fait dérailler l'attention sur des effets purement visuels. Ça c'est dommage.
RM : Comment vous préparez-vous à la performance ?
AV : J'ai traversé des différentes périodes dans ma vie. Je n'aime pas les grandes tournées parce que pour moi, chaque concert doit être un événement. C'est pourquoi je donne environ quarante concerts par an. Après une tournée, je ne touche pas au piano et je n'écoute même pas de musique pendant au moins un mois. Je me promène, je réfléchis, j'écoute le silence, je fais évoluer ma musique à moi. Avec beaucoup d'heures de piano on perd la spontanéité. Cette dernière est beaucoup plus importante que la perfection. L'esclavage des doigts ne sert à rien. La rapidité et la technique est quelque chose purement cérébral. Le cerveau doit réaliser l'idée musicale beaucoup plus vite que les doigts. J'ai appris un concert de Rachmaninov en quatre jours, et je l'ai joué pendant plusieurs années en concert sans arriver jamais à atteindre ce que voulais. Cela montre bien comment l'apprentissage pianistique, disons physique de la musique, ne fonctionne pas comme la connaissance idéale. Busoni a dit que pour bien jouer les sonates de Beethoven notre vie est beaucoup trop courte.
RM : Il y a beaucoup de grands artistes qui souffrent du stress de la performance. Comment le maitrisez-vous ?
AV : Le stress aide à la concentration. Aujourd'hui les gens sont très stressés par la perfection. Les fausses notes ne me dérangent pas. C'est l'expression du sentiment qui compte le plus. Ne pas faire de fautes, ce n'est pas à la mesure humaine.
RM : Vivez-vous encore à Madrid ?
AV : Actuellement je ne vis à nulle part. J'ai pris un petit appartement à Paris mais je n'ai pas encore décidé où m'installer.
RM : Musique à part, avez-vous un hobby ?
AV : J'aime l'informatique et j'aime bien lire en russe pour ne pas perdre les nuances littéraires. Vu que je voyage beaucoup je ne peux pas amener un grand nombre de livres avec moi. Grâce à l'informatique je peux les retrouver sur internet. Ça c'est magnifique !