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Berlin. Philharmonie de Berlin. 11-V-2007. Igor Stravinsky (1882-1971) : Petrouchka (version de 1947) ; Gustav Mahler (1860-1911) : Symphonie n°1 en ré majeur « Titan » ; Orchestre Philharmonique de Berlin, direction : Mariss Jansons.
Tout habitué des concerts parisiens se rendant pour la première fois à la Philharmonie de Berlin pour un concert du plus célèbre orchestre du monde ressentira sans doute quelques secousses sismiques.
D'abord, et pour l'anecdote, un choc culturel car, arrivant à 19h55 pour un concert à 20h, il découvrira avec surprise un hall d'accueil désert alors que celui de Pleyel ou des Champs-Elysées grouille encore d'une foule papotant tranquillement en mondanité, retardant le début effectif du concert vers 20h10, et ancrant dans l'esprit du spectateur consciencieux qu'arriver à 20h05 n'est pas avoir cinq minutes de retard, mais cinq d'avance. Pas de ça ici, et de la même façon que les Berlinois ne traversent pas la rue tant que le feu piéton n'est pas au vert, leur discipline les amène largement en avance au concert qui, de ce fait, débute exactement à l'heure annoncée. Futurs visiteurs, soyez donc prévenus, d'autant plus que l'immense hall comporte de très nombreux escaliers desservant chacun une zone particulière de la salle et qu'il vaut mieux bien se repérer pour ne pas se tromper.
Ensuite la salle elle même est impressionnante, très originale lors de sa construction il y plus de 40 ans par Hans Scharoun, avec les spectateurs en gradin tout autour de l'orchestre, cette disposition a, depuis, fait des émules, le dernier avatar en date étant la future Philharmonie de Paris dessinée par l'architecte Jean Nouvel.
Mais c'est une fois que la musique commence que notre visiteur se rendra compte qu'il est décidément sur une autre planète, car si la qualité acoustique du lieu surclasse nos salles parisiennes habituelles, le niveau qualitatif de l'orchestre, assez phénoménal ce soir sous la direction de Mariss Jansons, achèvera de le conduire dans une autre galaxie où sans doute ne vivent que de rares couples orchestre-salle, on pense ici à Vienne et son Musikverein, ou Amsterdam et son Concertgebouw. Car évidemment c'est avant tout pour la musique qu'on est là et le programme du soir, fort conséquent avec Petrouchka de Stravinsky suivi de la Symphonie n°1 de Mahler, a de quoi mettre en valeur chef et orchestre.
Tout au long de ce concert, Mariss Jansons a privilégié une direction précise dénuée de toute brutalité, alliant avec la même réussite, douceur et puissance ; aucune phrase découpée au laser, mais toujours souple et chantante, tendant vers un legato que n'aurait sans doute pas renié l'ancien chef à vie de la Philharmonie. Cela nous a donné un Petrouchka coloré, narratif, qu'on aurait aimé ici ou là un poil plus incisif (tableaux I et II), mais à l'impeccable progression dramatique qui culminera dans un mémorable quatrième tableau. Toute la palette expressive y est passée, les passages humoristiques étaient d'ailleurs tellement bien réussis, que la salle en a même ri ! Et quel plaisir d'entendre des contrebasses et des timbales expressives, du pianissimo au fortissimo, héritage sans doute des années Furtwängler qu'aucun des musiciens présents sur le podium n'a vécues, mais resté vivace à travers les époques, et qui a toujours été un des signes distinctif de cet orchestre. Les quatre cors ont fait preuve d'une exceptionnelle qualité de pianissimo, notamment à la toute fin de Petrouchka, en jouant un unisson à la limite de l'audible mais musicalement expressif dans une salle qui retenait son souffle. Quant aux grands tutti, ils furent tellement au-dessus de tout ce que nous avons eu la chance de chroniquer pour Resmusica jusqu'à maintenant, en couleur comme en intensité et en équilibre des pupitres, qu'on se dit que les Berlinois ont bien de la chance.
Tout comme Temirkanov en tournée à Paris, Mariss Jansons nous a donné une interprétation non classiquement viennoise de la Titan de Mahler, tout en étant très différente de celle de son confrère russe. Si l'introduction du premier mouvement fait forcément penser à celle de la Symphonie n°4 de Beethoven, le climat instauré par Jansons, pour tout ce mouvement, fait plutôt penser à celui de La Pastorale tant il est détendu, souriant, heureux, paisible, tout en restant animé et dynamique. Là encore, conduit tout en souplesse avec des variations de tempo bien en place, ce premier mouvement s'écoule d'un seul tenant, sans l'effet puzzle qu'on entend parfois. Inutile de préciser que les contrebasses s'en sont donné à cœur joie dans le second mouvement, mené avec vigueur et toujours sans la moindre brutalité. Le trio a permis d'admirer l'harmonie très «musique de chambre» entre les solistes de l'orchestre. Et les deux derniers mouvements ont tenu toutes leurs promesses avec un Stürmisch bewegt phénoménal de virtuosité. Le public a réservé un triomphe aux interprètes, jusqu'à faire une «standing ovation» à une scène vide, obligeant le chef à revenir pour un ultime salut. Avouons que nous n'avions pas entendu une telle qualité orchestrale depuis … depuis … longtemps.
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Berlin. Philharmonie de Berlin. 11-V-2007. Igor Stravinsky (1882-1971) : Petrouchka (version de 1947) ; Gustav Mahler (1860-1911) : Symphonie n°1 en ré majeur « Titan » ; Orchestre Philharmonique de Berlin, direction : Mariss Jansons.