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Nous sommes très nombreux à déplorer l'étonnante tempête médiatique dans laquelle vous vous trouvez. Notre plus cher souhait est que vous retrouviez le plaisir de chanter quotidien qui semble vous avoir quitté. Mais comment en est-on arrivé là ?
Depuis vos débuts, vous le savez, vous pouvez compter sur un public fidèle et toujours heureux de vous entendre et de vous voir, ravi de votre choix de répertoire, n'écoutant pas les oiseaux de mauvais augure qui prédisent votre déclin. Ni d'ailleurs les jaloux qui détestent le succès. Vos prises de rôles sont nombreuses, toutes réussies et votre discographie en rend compte avec éclat. Vous ne vous êtes jamais trompé, ni ne vous êtes économisé.
Il y a pourtant le rôle de Radamès qui semble poser beaucoup de questions. Vous avez décidé de l'aborder et vous y avez été très attendu, parfois par des sceptiques, voire des malveillants. Voici un rôle dans lequel des voix puissantes assument le côté vaillant chef de guerre et passent souvent complètement à coté de l'amoureux idéaliste et suicidaire. Nous étions nombreux à attendre, surtout après l'admirable duo final du récital en CD « Verdi per due » avec Angela Gheorghiu, que vous en fassiez enfin un vrai rôle intéressant. Las à Orange vous n'avez pas semblé aussi éblouissant que les autres années en Roméo, Don José ou Rodolfo et Radamès est resté un rôle pas vraiment passionnant. A La Scala, la diffusion du 7 décembre a été consternante. Que faisiez-vous dans une telle distribution ? Une Aïda et une Amnéris sans nuances vous donnaient une réplique rappelant les pires années 50 : tout dans la puissance de la voix. Ne trouvant aucun écho ni appui auprès de vos partenaires, vous avez semblé oublier par moments la poésie et le naturel qui caractérisent habituellement votre chant, ainsi que le séduisant jeu de coloration et de nuances dont vous revêtez chacun de vos rôles. Vous avez bien chanté, mais pourtant c'est vous qui avez été hué…. Comme si le public ne comprenait pas ce que vous pouvez apporter de différent au rôle. Remarquez que vous étiez seul à défendre une conception d'Aïda permettant de déplacer l'intérêt du final de l'acte II vers les sublimes et subtils moments lyriques des actes III et IV et qui de plus faisait de Radamès un rôle enfin intéressant. Je ne crois pas que la mise en scène grandiose de Zeffirelli est allée dans votre direction.
Je sais bien qu'on vous reproche vos exigeances dans certaines maisons d'opéra, mais là vous avez manqué d'un projet artistique cohérant. Voilà ce qui explique le malentendu entre une (toute petite) partie du public de La Scala et vous. Vos démêlés avec la claque ne datent pas d'hier (page 248 de votre biographie) ce qui a dû encore aggraver les choses. Mais surtout vous ne pouvez pas, du moins dans ce théâtre si souvent ingrat, défendre seul une vision d'un rôle et d'un opéra.
Roberto Alagna ! Nous vous en prions, continuez à chanter tous les rôles qui vous font envie, nous attendons avec impatience toutes vos propositions, tant vous avez apporté, à des rôles que nous croyions connaître, de couleurs, de nuance et de phrasés inespérés. Mais n'oubliez pas de penser à cette cohérence de vision artistique qui a tant fait défaut à La Scala cet hiver. C'est bien là le piège dans lequel vous êtes tombé, puis dans celui de trop parler, trop commenter vos actes. Votre chant est votre meilleur ambassadeur et votre seule arme contre vos détracteurs. Monteverdi lui-même n'a pas répondu aux insultes de ses ennemis, qui n'acceptaient pas ses compositions, il s'est « contenté » de composer de la musique toujours nouvelle.
Votre public est nombreux et espère vous retrouver bientôt pour ce partage extraordinaire de générosité qui signe chacune de vos interprétations. Il est de nombreux théâtres et salles de concerts qui vous attendent. Mais après tant d'années à tout donner de vous, vous avez aussi le droit de vous reposer un peu et de prendre le temps de retrouver le plaisir de chanter, pourtant si naturel dans votre famille. Merci Roberto et à bientôt, où vous voudrez, dans ce qui vous plaira. Votre public y sera, c'est certain !