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A l'occasion de la sortie du livre Antonín Dvořák, Un musicien par-delà les frontières, ResMusica s'est entretenu avec Alain Chotil-Fani, chercheur indépendant, auteur du site musicabohemica.org consacré aux musiciens tchèques et co-auteur du présent ouvrage.
« A mon insu, j'étais devenu mélomane, mais Dvořák et les musiciens tchèques resteront à tout jamais les premiers. »
ResMusica : D'ou vous vient votre passion pour la musique tchèque ?
Alain Chotil-Fani : Cela restera à jamais un mystère ! Mes parents n'étaient pas musiciens, ni même mélomanes, mais en revanche très ouverts sur la culture en général. Il aura fallu que j'entende par hasard la Symphonie du Nouveau Monde pour que je m'enthousiasme pour cette musique. J'étais alors adolescent. De fil en aiguille, j'ai élargi ma connaissance à d'autres œuvres, d'autres compositeurs, d'autres époques. Bref, à mon insu, j'étais devenu mélomane, mais Dvořák et les musiciens tchèques resteront à tout jamais les premiers.
RM : Vous êtes chercheur indépendant, en quoi consistent vos recherches d'une manière générale ?
ACF : Mon grand plaisir est de m'enfermer des journées entières dans les bibliothèques ou les archives parisiennes. Là, je consulte les documents d'époque, en m'efforçant d'explorer les moindres indices autour de mes sujets de prédilection. Je note énormément de choses, même sans rapport direct avec le thème de mes recherches, dans l'idée qu'elles appartiennent peut-être à un tout cohérent qui n'apparaîtra qu'avec le progrès de la collecte. Et parmi tout ce matériel, il se dégage parfois des pistes passionnantes. Ainsi, un simple article dans un journal musical de 1904 m'informe qu'une délégation parisienne se rend à Prague pour remettre une médaille d'or à Dvořák. Intrigué par cette information que je n'avais jamais lue par ailleurs, je me rends à la bibliothèque administrative de l'hôtel de ville. J'apprends ainsi l'existence d'une sorte d'entente cordiale entre Paris et Prague et la relation privilégiée que certain conseillers municipaux entretiennent avec les autorités tchèques… et la dimension politique d'un geste qui serait facilement passée inaperçue.
RM : Antonín Dvořák a-t-il pour vous une place privilégiée au sein de la famille des musiciens tchèques ?
ACF : Sans aucun doute. Il a représenté une sorte de « modèle » pour sa nation, artiste complet, sachant magnifier quasiment toutes les formes musicales, reconnu et acclamé dans tout le monde musical. Mais également un personnage attachant, adepte des parties de cartes dans les brasseries en dépit de sa notoriété internationale. Cependant – et c'est une position que nous défendons tout au long du livre – Dvořák est surtout un compositeur d'exception parmi d'autres grands noms de l'histoire de la musique occidentale. Je cite dans le livre un passage des Testaments trahis de Milan Kundera : « Les contextes nationaux, régionaux ne servent à rien quand il s'agit de saisir le sens et la valeur d'une œuvre ». Alors, oui, Dvořák est un musicien tchèque. Mais ce serait une grave erreur de le réduire à cela : son art touche à l'universel.
RM : Revenons au livre, après celui de près de 500 pages édité pour le centenaire de la mort d'Antonín Dvořák par Guy Erismann aux éditions Fayard en 2004, quel est selon vous, l'apport de votre ouvrage ?
ACF : Je tiens aussi à rappeler le livre de Philippe Simon aux Editions Papillon. L'apport de notre ouvrage ? Sans doute une volonté quasi-méthodique d'exploiter le matériel original (presse d'époque, correspondances, comptes-rendus de l'Académie des Beaux arts, archives de l'Orchestre Colonne… ) pour revenir à la source de chaque information. Ceci nous permet d'exploiter des thèmes qui ne l'avaient pas encore été systématiquement, comme les relations entre Dvořák et l'empereur François-Joseph ou les cercles musicaux russes, par exemple. Je pourrais aussi citer le procès qui opposa Pablo Casals à Gabriel Pierné. J'ai exhumé le jugement, lequel nous apprend que la version de l'affaire rapportée par le grand violoncelliste n'était pas en tous points conforme à la vérité. Ou bien encore la candidature de Dvořák examinée par l'Académie des Beaux-Arts sur proposition de Camille Saint-Saëns… et j'en oublie ! Cela dit, d'une manière générale, le thème est d'une telle richesse qu'il y a encore de la place pour bien d'autres livres sur Dvořák. A ce sujet, je me permets de rendre hommage aux travaux réalisés aux Etats-Unis sur l'initative de Michael Beckerman, auteur d'un passionnant New Worlds of Dvořák (Princeton University Press).
RM : Combien avez-vous consacré de mois ou d'années de recherche à l'élaboration de ce livre ?
ACF : Dvořák et la France devait être une simple page pour illustrer mon site, à l'occasion de l'année commémorative 2004. L'abondance et l'intérêt du matériel collecté ont transformé ce projet en un article qui a eu le mérite de retenir l'attention de la musicologue Lenka Stranska, de l'université de Paris IV-Sorbonne. C'est pourquoi j'ai eu l'honneur (et le plaisir !) de le présenter au cours du Colloque International consacré au compositeur, fin 2004, puis l'année suivante en Bohême, dans la maison natale de Dvořák. Pendant ce temps les recherches ont continué et m'ont donc occupé jusqu'en octobre 2005 – juste à temps pour la naissance de ma fille !
RM : Quel a été l'apport d'Eric Baude ? Avez-vous travaillé ensemble ou de façon séparée avant de réunir vos travaux ?
ACF : Mon ami Eric Baude, fondateur et directeur artistique de l'Ensemble Philidor, est un éminent connaisseur des Pays de Bohême. A ce titre son apport été essentiel pour la nouvelle biographie car il a apporté un regard à la fois de musicien professionnel et de traducteur musicologue. Il a donc amené beaucoup d'informations inédites en français, que j'ai tâché d'incorporer dans la trame que nous avions établie ensemble. Nous avons ensuite revu et amélioré conjointement le résultat final.
RM : Avez-vous bénéficié d'aides particulières ?
ACF : Mon épouse qui m'a laissé rédiger pendant de longs week-ends ! Sérieusement, non, hormis d'excellents relecteurs que nous remercions en fin du livre et le professionnalisme de nos interlocuteurs dans les différentes bibliothèques. Il a simplement fallu un stylo, un bloc-notes, beaucoup de méthode et de temps – et aussi la volonté de se remettre en cause quand les recherches démontraient la fausseté d'un parti pris ! A la réflexion, cela est plutôt encourageant : avec des moyens relativement limités, n'importe quel amateur éclairé peut approfondir sa passion et en faire profiter les autres.
RM : Le choix de l'éditeur a été difficile ?
ACF : Eric avait déjà un contrat avec cet éditeur, mais pas pour un livre consacré à Dvořák. Quand il m'a fait part de sa difficulté pour rédiger son ouvrage – ce qui se comprend aisément au vu de l'énergie qu'il dépense pour ses propres recherches et l'Ensemble Philidor – je lui ai suggéré de modifier le contrat. Notre projet était d'éditer Dvořák et la France et de compléter le livre avec du matériel « brut » : un dictionnaire des personnages, une revue de presse, des extraits de la correspondance, etc. Le directeur de la collection, M. Claude Delarue, a accepté la modification du contrat mais à la condition que nous remplacions tout le matériel brut par une partie rédactionnelle – et c'est ainsi qu'est née la nouvelle biographie. Sur le coup cette demande nous a un peu déçu, mais à la réflexion nous pensons que c'est bien mieux ainsi.
RM : Pour terminer, quelles sont vos œuvres préférées en dehors du répertoire tchèque ?
ACF : Je suis en général porté sur la musique instrumentale, réputée (sans doute à tort) plus facile d'accès. Je m'efforce d'écouter un vaste répertoire, quand j'en ai le temps – ce qui devient de plus en plus rare, hélas. Mes goûts n'ont réellement rien d'originaux ! Sauf peut-être en ce qui concerne les musiciens roumains (avec en premier lieu Enesco) qui ont fondé au siècle passé une école de composition fascinante. L'aventure continue, d'ailleurs. Je me rends régulièrement en Roumanie où je constate la vitalité de cette école si mal connue ici.
RM : Et dans le répertoire tchèque ?
ACF : Dvořák reste mon préféré, vous vous en doutez ! La réponse est un peu la même, rien ne me laisse indifférent… Je souhaite cependant souligner à quel point Bedrich Smetana reste un musicien méconnu. Espérons que le succès mérité des opéras de Leoš Janáček depuis quelques années attire l'attention des mélomanes sur cette injustice.
Crédits photographiques : © Christophe Le Gall
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