Éditos

L’imbroglio des droits voisins

27 février 2007

Contrairement aux droits d’auteurs, qui correspond à la rémunération d’œuvres intellectuelles d’une personne physique jusqu’à 70 ans après sa mort, les droits des interprètes (dit « droits voisins ») ne s’appliquent que sur l’enregistrement concerné et uniquement pendant 50 ans.

Inutile de préciser que le manque à gagner se fait profiler : des enregistrements historiques de bonne qualité de Callas, Furtwängler, Schwartzkopf, Rubinstein, Casals et autres monstres sacrés du XXe siècle tombent dans le domaine public. De même pour les premiers pas de Johnny Hallyday, Sylvie Vartan, Juliette Greco et autres stars des années Yé-yé ou de Saint-Germain-des-prés.

Pascal Nègre, PDG d’Universal Music France, qui s’est déjà fait connaître par son combat contre le téléchargement, demande aujourd’hui l’alignement des droits des interprètes sur celui des droits d’auteurs, dans le but évidemment de protéger les artistes. Mais certainement pas ses propres intérêts, non, certainement pas… L’humanisme et l’amour du prochain restent de grandes préoccupations des majors, comme chacun sait.

Mais pour les droits des interprètes, la jungle est encore plus inextricable que pour les auteurs. Il faut faire la différence entre la diffusion audiovisuelle et la reproduction enregistrée sur support. Puis répartir les droits, et les sociétés de répartition foisonnent à qui mieux mieux : Spedidam, Adami, SCPP, … aussi certains organisateurs de spectacles vivants n’hésitent plus à traiter directement avec les interprètes moyennant un protocole d’accord de rémunération. Le vide juridique sur cette forme de propriété artistique reste encore inexpliqué… Bien que les « droits voisins » (droit des interprètes, droits de reproduction et de diffusion, …) aient été promulgués en 1985, aucune loi fixant les règles de rémunération n’a été fixée. Chacun fait sa cuisine dans son coin, et il devient facile de pousser des cris d’orfraie sur des pratiques qui n’ont pourtant rien d’illégal ni de frauduleux. Mais quand le profit s’éloigne…

On l’a vu avec le téléchargement, la légalité ou l’équité s’effacent devant le profit. Dernière aventure ubuesque, celle des compagnies de ballets. La Spedidam est partie en croisade, et demande 473 657, 39 euros au Centre Chorégraphique National d’Aix-en-Provence (Compagnie Angelin Preljocaj) suite à un jugement de la cour d’appel d’Aix-en-Provence du 18 janvier dernier, point final d’un procès qui a duré 10 ans. Au bas mot 1 500 euros par représentation, une somme bien supérieure au cachet moyen d’un danseur ou d’un musicien… Pourtant la compagnie a toujours rémunéré ses artistes-interprètes, mais sans passer par les fourches caudines d’une société de répartition. Comment un organisme qui dit vouloir défendre les interprètes peut mettre à ce point en péril le spectacle vivant ? 

Le fait d’utiliser une musique enregistrée faite par des personnes physiques dénote d’une volonté artistique évidente. Le spectacle vivant (théâtre, danse …) devra-t-il se résoudre à faire appel uniquement à la création électronique ou numérique, élaborée par un seul artiste ? Les Noces de Preljocaj sur la musique de Stravinsky ou On danfe de Montalvo-Hervieu sur du Rameau appartiendront-ils irrémédiablement au passé ? Le nombreux public de ces spectacles ne sera pas prêt à payer bien plus cher ses places pour faire plaisir à la Spedidam. Le Ministère de la Culture s’est enfin préoccupé de ce souci. 22 ans après la loi sur les droits voisins, il était temps de se préoccuper de son application.

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