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Bruxelles. Théâtre Royal de la Monnaie. 08-II-2006. Sergueï Prokofiev (1891-1953) : L’Ange de Feu, opéra en cinq actes et sept tableaux sur un livret du compositeur d’après Valéri Brioussov. Mise en scène : Richard Jones. Décors : John MacFarlane. Costumes : Nicky Gillibrand. Lumières : Mimi Jordan Sherin. Chorégraphie : Linda Dobell. Maquillages, coiffures et perruques : Catherine Friedland. Avec : Elena Popovskaya, Renata ; Tomas Tomasson, Ruprecht ; Elena Manistina, La voyante ; Beata Morawska, La patronne de l’auberge ; Leonid Bomstein, Mephistopheles ; Vitali Taraschenko, Agrippa von Nettesheim ; Ante Jerkunica, Johann Faust ; Vladimir Samsonov, L’Inquisiteur ; Maria Gortsevskaya, La Mère supérieure ; Lorenzo Carola, Jacob Glock ; Zeno Popescu, Le médecin ; Andrej Baturkin, Mathias Wissmann ; Nabil Suliman, Le cabaretier ; Aldo de Vernati, Le serviteur ; Marcel Schmitz, Pascal Macou, René Lareya, Trois voisins ; Tatiana Trenogina, Maria Arapova, Deux novices. Chœur de la Monnaie (chef de chœur : Piers Maxim). Orchestre symphonique de la Monnaie, direction : Kazuchi Ono.
Après un début de saison faisant la part belle à des œuvres très célèbres, Enlèvement au Sérail, Tristan et Isolde, ou Traviata, la programmation de la Monnaie fait maintenant résolument place à la nouveauté et à des œuvres plus rares.
Jugez-en : Monsieur Choufleuri restera chez lui le… d'Offenbach, les créations de L'Uomo dal fiore in bocca de Luc Brewaeys, et de Frühlings Erwachen de Benoît Mernier, La Mort de Sainte Alméenne d'Honegger, ou encore La Vergine dei dolori d'Alessandro Scarlatti. Cette série d'œuvres rares commençait par l'Ange de Feu de Prokofiev, dont c'était la première production à Bruxelles.
Basé sur un livret tiré de l'œuvre éponyme de Valéri Brioussov, l'Ange de Feu peut être considéré comme une œuvre maudite, puisque composé en 1926, elle mit trente ans avant d'être créé. Les vicissitudes furent nombreuses, et le sujet, une histoire de démon, de possession, et d'inquisition, n'était évidemment pas très bien vu dans l'URSS stalinienne. La création scénique n'eut donc lieu qu'en 1956 à la Fenice de Venise, et l'œuvre ne s'est jamais vraiment imposée dans le répertoire.
L'histoire est assez sulfureuse et effrayante, Prokofiev déclarait d'ailleurs qu'elle contenait peu de théologie, mais beaucoup d'orgies. L'action se déroule à Cologne au XVIe siècle, où Renata, une jeune femme possédée par le démon, aidée par Ruprecht, un homme épris d'elle, poursuit sans relâche l'ange Madiel, avec lequel elle veut absolument s'unir charnellement. Après bien des transes et consultations de vieux grimoires de magie, Ruprecht va rejoindre le Docteur Faust et Méphistophélès, alors que Renata, qui a trouvé refuge dans un couvent, est mise en accusation par l'Inquisition.
Œuvre peu connue, au sujet a priori difficile et d'un compositeur peu populaire, l'Ange de Feu a pourtant attiré un public très nombreux, alors que le nombre de représentations prévues (9) pouvait sembler à première vue un peu trop élevé. Le Théâtre Royal de la Monnaie a donc réussi le pari osé de remplir, en proposant une production d'un haut niveau artistique, le meilleur à notre sens depuis le début de cette saison.
Aux commandes des aspects scéniques de la production, Richard Jones le metteur en scène et John MacFarlane le décorateur donnent un spectacle dans la même lignée glauque et désespérée que celle de leur récente Dame de Pique vue ici-même. Le résultat de ce soir est cependant bien plus convaincant, car l'œuvre se prête mieux à la transposition, l'Ange de Feu étant bien moins ancré dans son époque que l'opéra de Tchaïkovski. Dans des décors sobrement décrépis mais plutôt lumineux, la mise en scène est efficace et sans concession, et va crescendo, de plus en plus violente et tendue au fil des actes. On en retient une atmosphère générale étouffante et malsaine, et de nombreuses images marquantes, dont les scènes d'autodafé, sobres et glaçantes, la spectaculaire visite de Ruprecht au mage Agrippa, qui tient en laisse deux molosses particulièrement effrayants, et l'acte final, durant lequel les sœurs entrent en transes de façon particulièrement convaincante. Il faut également saluer une direction d'acteurs crédible et virtuose, et la façon très naturelle dont les chanteurs, et plus spécialement Renata, souvent accompagnée par une cohorte de démons féminins, s'intègrent dans les chorégraphies.
L'œuvre reposant sur les rôles écrasants de Renata et de Ruprecht, ils sont distribués en alternance à Svetlana Sozdateleva et Igor Tarasov, et à Elena Popovskaya et Tómas Tómasson. Nous avons entendu pour notre part les seconds, qui se révèlent tous deux à la hauteur de leur tâche. Pour sa prise de rôle, Elena Popovskaya est magistrale, incarnant de façon tout à fait naturelle son personnage de jeune fille à demi-folle. La voix est belle et brillante, mais elle sait délivrer un chant brut et furieux durant ses transes, et fait preuve de puissance et d'endurance. Habitué de la scène bruxelloise ( dans les rôles du Hollandais du Vaisseau Fantôme ou de Tomski dans la Dame de Pique), Tomass Tomasson est un Ruprecht de très bonne tenue, au timbre toujours séduisant et à l'abattage impressionnant, mais qui a tendance à chanter trop en arrière, ce qui limite la projection de son chant. La distribution est complétée par une longue série de rôles secondaires qui sont admirablement bien croqués, tant par les chanteurs maison que par les nombreux invités russophones. Se dégagent de cette galerie de personnages l'Agrippa au chant plein d'amertume de Vitali Taraschenko, qui avait déjà été un bel Hermann dans la Dame de Pique évoquée plus haut, l'Inquisiteur bestial de Vladimir Samsonov, et le couple Faust-Méphistophélès formé par Ante Jerkunica et Leonid Bomstein.
A la tête d'un Orchestre de la Monnaie concentré et énergique, Kazuchi Ono fait encore une fois partie des grands triomphateurs de la soirée. Sa direction est âpre et tendue, mais également très claire et fouillée, et restitue au mieux la violence de l'histoire et les souffrances de ses personnages.
Crédit photographique : © Johan Jacobs
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Bruxelles. Théâtre Royal de la Monnaie. 08-II-2006. Sergueï Prokofiev (1891-1953) : L’Ange de Feu, opéra en cinq actes et sept tableaux sur un livret du compositeur d’après Valéri Brioussov. Mise en scène : Richard Jones. Décors : John MacFarlane. Costumes : Nicky Gillibrand. Lumières : Mimi Jordan Sherin. Chorégraphie : Linda Dobell. Maquillages, coiffures et perruques : Catherine Friedland. Avec : Elena Popovskaya, Renata ; Tomas Tomasson, Ruprecht ; Elena Manistina, La voyante ; Beata Morawska, La patronne de l’auberge ; Leonid Bomstein, Mephistopheles ; Vitali Taraschenko, Agrippa von Nettesheim ; Ante Jerkunica, Johann Faust ; Vladimir Samsonov, L’Inquisiteur ; Maria Gortsevskaya, La Mère supérieure ; Lorenzo Carola, Jacob Glock ; Zeno Popescu, Le médecin ; Andrej Baturkin, Mathias Wissmann ; Nabil Suliman, Le cabaretier ; Aldo de Vernati, Le serviteur ; Marcel Schmitz, Pascal Macou, René Lareya, Trois voisins ; Tatiana Trenogina, Maria Arapova, Deux novices. Chœur de la Monnaie (chef de chœur : Piers Maxim). Orchestre symphonique de la Monnaie, direction : Kazuchi Ono.