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Entretiens de chambre : Quatuor Danel volume deux

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Dans le livre Souvenirs, Hommage à D. Chostakovitch de , altiste du Quatuor Beethoven et dédicataire de l'ultime opus de Chostakovitch, figurent de nombreuses photos de grands maîtres d'hier et une seule photo de jeunes musiciens d'aujourd'hui, symbole de la relève : le

« Il y a dix ans, on ne pouvait pas sortir de l'alternative réductrice d'un Chostakovitch dissident ou collaborateur. Aujourd'hui heureusement, on approche ces questions avec beaucoup plus de subtilité. »

A la veille de leur intégrale des Quatuors de Chostakovitch en trois soirées à la salle Cortot – mieux qu'un marathon, une fête ! – ils nous livrent quelques clés sur la compréhension de la musique de Chostakovitch. Second volet de notre entretien avec Guy Danel et Gilles Millet.

ResMusica : Quelle place accordez-vous aux Quatuors de Chostakovitch dans l'histoire du quatuor à cordes ?

 : Les Quatuors de Beethoven sont fondamentaux pour le quatuor, ils constituent l'épine dorsale de ce genre fondé par Haydn. Beethoven a eu deux grands héritiers, Bartók pour le génie des structures – il déconcerte encore aujourd'hui – et Chostakovitch pour la force d'expression.

RM : Quelle place accordez-vous à l'œuvre pour Quatuor dans la production de Chostakovitch ? Essayez-vous d'en retranscrire toute la charge historique et biographique?

QD : La dimension historique et politique concerne surtout quelques symphonies, pas les quatuors.

RM : Pourtant, le Quatuor n°8, tellement dramatique, est réputé pour être la transcription intime du combat de Chostakovitch contre la dictature ?

QD : C'est effectivement la vision qu'on en a aujourd'hui, mais c'est une vision déformée à travers l'image que l'on se fait de la vie en Union Soviétique à l'époque. Chostakovitch a écrit ce quatuor après avoir vu Dresde en ruines. Un humaniste comme Chostakovitch ne pouvait pas ne pas être bouleversé face à ce désastre. Le Quatuor n°8 est une œuvre autobiographique, contenant de fait les douleurs et révoltes qui ont parcourues la vie de Chostakovitch. C'est en quelque sorte une dédicace à lui-même qu'aucun compositeur n'avait encore faite. Le sujet de ce quatuor est trop lourd pour y voir un trait d'humour. Et pourtant, en d'autres circonstances, ce geste aurait pu être perçu comme une sorte de clin d'œil après avoir dédié tant d'œuvres à ses pairs, à ses amis. Il ne faut pas prendre tout ce que dit Chostakovitch au tragique : il mettait de l'humour dans ses œuvres, il faut rendre ces aspects-là également.

RM : L'insertion de thèmes juifs dans nombre de ses œuvres n'est-elle pas l'exemple type d'une dimension purement politique ?

QD : Il faut nuancer. Il aurait pu donner une dimension politique encore supérieure en codant ces thèmes juifs dans sa musique, or il ne l'a pas fait. Il y a dix ans, on ne pouvait pas sortir de l'alternative réductrice d'un Chostakovitch dissident ou collaborateur. Aujourd'hui heureusement, on approche ces questions avec beaucoup plus de subtilité. Il est souvent dit par exemple de sa musique qu'elle est sarcastique, mais quand les Russes parlent de sarcasme, le sens n'est-il pas plus riche qu'en français ? Parler de musique sarcastique ou d'humour grinçant est réducteur.

RM : Après Bruxelles et Liège, vous allez donner à Paris l'intégrale des Quatuors à la salle Cortot en décembre en trois soirs. Quel est le public de ce type d'événements ?

QD : On voit apparaître un nouveau public ouvert à de nouvelles œuvres et à de nouvelles façons de vivre la musique. Il y a une forme de consommation musicale qui s'épuise. Dans les concerts il s'agit aussi de partager une expérience, unique, ponctuelle. Ces intégrales sont pour nous une fête, où le public est dans une position d'invité.

RM : Le public vous suit ?

QD : Nous avons fait salle comble à Bruxelles, et l'essentiel du public était présent aux six concerts. Les difficultés que nous rencontrons sont plutôt du côté des organisateurs. Certains ne souhaitent pas que nous soyons avec le public au bar à la pause ou après le concert, ils veulent maintenir une sorte de distance mythique avec l'artiste, mais cette tradition correspond de moins en moins aux attentes du public. Le contact passe parfois mieux avec le public quand l'artiste adopte une tenue moins formelle, comme une chemise au lieu d'un costume. Il ne s'agit pas de négliger son apparence, mais de rechercher le contact le plus naturel avec nos invités pour transmettre la musique.

RM : Liège, Bruxelles, Paris, y a-t-il un risque à répéter ainsi cet exercice de festival d'intégrales ?

QD : Le plus dangereux est de s'enfermer dans des effets faciles, immédiatement séduisants, des « petites finesses » comme nous l'avait dit un musicien. Il faut faire venir le public à la musique, et non l'inverse, il ne faut pas l'attirer avec ce genre de coquetteries, qui séduisent sur le moment mais qui avec l'habitude deviennent des goitres.

RM : Quelle relation faut-il voir entre votre intégrale discographique, parue cette année chez Fuga Libera (Clef ResMusica de l'année 2006, lire notre chronique), et vos intégrales en concerts ? Le disque est-il une invitation à continuer le concert ?

QD : Un disque, c'est une photo de voyage. Des spectateurs sont venus nous voir en nous faisant part de leur étonnement car notre interprétation était très différente de nos disques. Ils avaient aimé notre intégrale, mais ils étaient ravis d'avoir entendu une autre approche.

RM : Après Chostakovitch, pensez-vous à jouer tous les Quatuors de Bartók, puisqu'il est l'autre grand héritier de Beethoven ?

QD : Le cycle des Quatuors de Bartók est plus court, plus difficile d'accès aussi. Les Quatuors de Chostakovitch remplissent trois soirées, et ça passe très bien. On pourrait faire plutôt quelque chose avec Beethoven. Comme Chostakovitch il compose en pensant à ceux qui vont écouter sa musique. Et tous deux sont animés du désir de nous aider, le public et nous, à sortir de notre quotidien.

RM : La vie de quartettiste paraît ascétique, vous travaillez un répertoire particulièrement exigeant, toujours en répétitions ou en tournée…

QD : On peut dire que c'est une vie focalisée. C'est une vie d'aventurier, pleine de couleurs…

Crédit photographique: ©

Lire la première partie de l'entretien : 

Le Quatuor Danel, volume un

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