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Vengerov Weilerstein Ziberstein, l’incroyable trio

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Paris. Salle Pleyel. 20-XI-2006. Dimitri Chostakovitch (1906-1975) : Trio pour piano et cordes en mi mineur n°2 op. 67. Piotr Ilitch Tchaïkovski (1840-1893) : Trio pour piano et cordes en la mineur op. 50. Maxim Vengerov, violon ; Alisa Weilerstein, violoncelle ; Lilya Ziberstein, piano

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Si attractive qu'ait été, en cette soirée de novembre, l'annonce de la venue du violoniste à la salle Pleyel, le changement, en dernière heure, du programme annoncé – le duo violon/piano se muant en trio pour violon, piano et violoncelle – n'avait pas manqué de provoquer chez les habitués une certaine déception.

Non que la formation à trois exécutants soit moins intéressante ; mais, relativement à la sonate pour violon et piano, de facture plus familière, l'équilibre nécessaire au traitement égal des trois parties contraint les compositeurs à une sollicitation plus discrète des capacités virtuoses de leurs interprètes. Or, ce soir-là, n'était-ce pas avant tout – l'aveu dût-il décevoir nos lecteurs – le grand violoniste russe que nous étions tous venus applaudir ?

Vain émoi, les choix particulièrement judicieux du programme ayant eu pour premier effet d'autoriser le public à apprécier une formation de chambre trop rarement présente sur les scènes des grandes salles parisiennes. Outre ce satisfecit initialement accordé aux trois interprètes, l'harmonieuse cohésion du programme de cette manifestation était assurée par tout ce qui unit en profondeur les deux partitions données, le Trio n°2 de Chostakovitch et son homologue de l'opus 50 de Tchaïkovski. Deux œuvres placées sous le signe d'une vérité dramatique poignante, déchirante même, mais transfigurée par la poésie de la vêture sonore due aux deux maîtres russes. Le trio de Chostakovitch fut mis en chantier quelques jours après la mort du musicologue Sollertinsky, que le compositeur désigna lui-même comme son meilleur ami. Quant à l'ouvrage de Tchaïkovski, dédié « à la mémoire d'un grand artiste », il avait d'emblée constitué un hommage direct à la mémoire de Nicolaï Rubinstein, fondateur tout récemment disparu du conservatoire de Moscou et pianiste virtuose.

À peine les premières notes du chef-d'œuvre de Chostakovitch s'étaient-elles élevées que le public était déjà confronté au phénomène rare d'une musicalité hors du commun alliée une générosité débordante. ne se contente pas de jouer les notes, il les fait siennes avec un miraculeux naturel, s'empare de chaque phrasé, embellit chaque intention musicale pour – à l'instar de tous les grands interprètes – disparaître dans l'œuvre dont il devient en quelque sorte, la métaphore fusionnelle. Entre le violoncelle et le violon, la communion fut parfaite, la violoncelliste tirant un évident profit d'un si prestigieux compagnonnage dont elle eut à cœur de se montrer digne. Soucieuse de se surpasser, stimulée par ce défi musical excluant toute idée de répit, elle réussit à rivaliser de finesse et d'animation avec son partenaire, phénomène particulièrement sensible dans l'allegretto final, enlevé avec un époustouflant brio nuancé d'esprit ludique. À ceux qui, en revanche, semblèrent, au sortir du concert, regretter un moindre engagement chez la troisième protagoniste, il est loisible de répondre que le piano n'est jamais facile à inscrire dans le contexte du trio, tant la générosité de son timbre est, par essence, source d'un déséquilibre malaisé à combattre ; cependant, il serait inconséquent de ne pas relever que le jeu de l'interprète préposée au clavier parut parfois bien laborieux, nuancé d'un rubato excessif, noyé dans le halo d'une pédale qu'il eût été peut-être judicieux de relever à l'occasion… tant l'illusion de masquer par son usage excessif certaines faiblesses techniques est mal fondée ! Nous devions d'ailleurs retrouver l'effet de ces mêmes défauts, tout au long de la soirée, notamment dans le deuxième mouvement du trio de Tchaïkovski.

De cette dernière œuvre, précisément, les musiciens proposèrent une version si envoûtante, si fascinante, que la rupture d'une corde sur l'instrument d' eut, sur l'assistance captivée, l'effet d'un électrochoc. Victime du même incident, le mage Paganini eût continué d'ensorceler son public en se contentant des trois cordes restantes, au besoin en exécutant sa partie sur la seule chanterelle comme se plaît à le chanter la légende (se non è vero…) ! Mais ce soir, la beauté avait pris visage humain et, pour avoir brutalement brisé le rêve sonore tressé par nos instrumentistes, la rupture malencontreuse de cette corde – aussitôt remplacée – nous donna paradoxalement conscience de l'hypnose incantatoire dans laquelle ils avaient réussi à plonger la salle. Fin du magique assoupissement, donc. Mais, pour paraphraser Stravinsky, à ceux qui se réveillent au paradis, qu'importe l'évanouissement du rêve ? Le public le fit bien savoir, par la chaleur de ses applaudissements ultimes, aux trois artistes de la soirée, ambassadeurs éphémères, mais radieux, du génie russe à son sommet.

Crédit photographique : © DR

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