La Scène, Opéra, Opéras

Le Nez à Turin, une Commedia dell’Arte à la russe

Plus de détails

Instagram

Turin. Teatro Regio. 31-X-06. Dimitri Chostakovitch (1906-1975) : Le Nez. Opéra en trois actes et dix tableaux sur des livrets de Evgueni Zamiatine, Georgi Jun’in, Alexander Prejs et Dmitri Chostakovitch tirés de la nouvelle éponyme de Nikolaï Gogol. Mise en scène : Boris Pokrovskij. Décors et costumes : Vladimir Talalaj. Chorégraphie : Lilija Talankina. Lumières : Vladimir Ivakin. Avec : Evgueni Bolučevskij, Kovaliov ; Anatoli Zakharov, le barbier ; Maria Lemeseva, sa femme, la mère ; Sergueï Ostroumov, le commissaire de police ; Borislav Molcanov, Le Nez ; Boris Druzinin, Ivan, l’eunuque ; Viktor Borovkov, le fonctionnaire de la rédaction ; Elena Kononenko, la solitaire ; Vladimir Simarov, le cocher ; Ljudmila Genika, la dame de compagnie ; Valery Fedorenko, le père, un cocher ; Sergueï Vasil’cenko, le fils, un policier ; Amal’Utenova, la fille ; Vitaly Rodin, Petr Fedorovich ; Irina Narskaya, la vieille propriétaire ; Ljudmila Sokolenko, la vendeuse de gâteaux ; German Jukavsky, le docteur, Hozrev-Mirza ; Leonid Kazackov, Jarizkin ; Ljudmila Kolmakova, Podtocina ; Elena Andreeva, sa fille ; Jaroslav Radinovik, le laquais, Ivan Ivanovitch ; Boris Tarov, le portier ; Irina Barteneva, la vendeuse. Chœur et Orchestre du Théâtre Musical de Chambre de Moscou, direction : Vladimir Agronsky.

Instagram

Né de l'extraordinaire créativité artistique russe qui a suivi la révolution d'octobre, Le Nez de est une œuvre assurément inhabituelle tant aux yeux qu'aux oreilles de nos cultures latines.

Musicalement d'abord. Composée en quelques semaines, alors qu'il avait à peine plus de vingt ans, si cette partition s'inspire des musiques d'Alban Berg, de Schreker, de Prokoviev, l'emploi fréquent de percussions souligne déjà l'originalité de la musique des futures grandes symphonies.

Théâtralement ensuite. Avec près de soixante-dix personnages dont une trentaine de solistes envahissant le plateau pendant plus de deux heures, jamais auparavant le monde de l'opéra avait réuni une telle distribution. Dans cette histoire simple – au réveil, Kovaliov constate la disparition de son nez. Il part à sa recherche, pendant que de l'autre côté celui qui l'a découvert veut s'en débarrasser – la mise en scène de est très efficace malgré la pauvreté de l'argument. Chez Gogol, cette farce se veut plus psychanalytique puisque qu'elle cherche sa signification dans la perte de la virilité d'un homme en échange du pouvoir économique. Sans se laisser emmener par cet aspect faustien de la fable, le metteur en scène propose un théâtre burlesque, une Commedia dell'Arte à la russe. Gesticulant à qui mieux mieux avec des contorsions immenses, pantins désarticulés, les acteurs chantent leurs scènes sur le devant d'un unique décor fait de la grille d'un quai de gare. Les acteurs « inactifs » du moment sont assis sur des bancs disposés sur les côtés. Derrières eux, des portemanteaux garnis des superbes costumes () permettant à chacun d'endosser le déguisement en fonction du personnage qu'il devra incarner plus tard. Un va-et-vient continuel faussement anarchique habite la scène dans une excitation qui n'a d'égale que la musique parfois terriblement confuse.

Passant d'un beuglement de trombone au sifflement d'une clarinette piccolo, des sons les plus étranges du flexaton alternant à avec ceux d'un tambour basque, cette musique aux harmonies généreuses et colorées semble totalement désordonnée pour, d'un coup, se retrouver dans un sentimentalisme néo-classique alors que s'annonce une scène romantique. Quand Armin Jordan dirigea cet opéra à Lausanne, il avait déclaré : « J'ai fait une bêtise. Je n'aurais jamais dû accepter ce travail. Cet opéra est plus compliqué à diriger que toutes ses symphonies ! » Avec une multitude de tambours et autres instruments étranges au milieu d'un ensemble traditionnel réduit, l'orchestre occupe néanmoins l'entier de la fosse. Le chef n'a pas assez de ses doigts, de ses mains, de ses bras, de sa tête et de ses yeux pour donner les départs aux instrumentistes. A ce jeu, même si l'Orchestre Musical de Chambre de Moscou semble être parfaitement au fait de cette partition (il l'a déjà enregistrée au disque en 1975 !) et si certains solistes faisaient partie de la distribution de cet enregistrement, le chef démontre une efficacité de tous les instants.

Tenant la scène pratiquement pendant toute la représentation, le nez grimé de noir donnant la saisissante impression qu'il a perdu son appendice nasal, le baryton (Kovaliov) semble se jouer sans peine de la harassante partition. De sa voix puissante, il module son chant de couleurs passionnantes soit qu'il s'emporte, soit qu'il s'apaise, soit encore qu'il prie. À ses côtés, les autres protagonistes sont parfaitement en place, jouant cette comédie avec un grand professionnalisme. Leur analyse reste pourtant difficile. Non pas qu'ils déméritent, bien au contraire, mais chacun use d'une voix distincte pour chaque personnage qu'il campe, il n'est pas aisé de se faire une opinion sur la voix propre de tel ou tel interprète. Reste que l'entrain et le sérieux de leur engagement s'avère un vibrant hommage au compositeur russe.

Crédits photographiques : © Ramella & Giannese

(Visited 301 times, 1 visits today)

Plus de détails

Instagram

Turin. Teatro Regio. 31-X-06. Dimitri Chostakovitch (1906-1975) : Le Nez. Opéra en trois actes et dix tableaux sur des livrets de Evgueni Zamiatine, Georgi Jun’in, Alexander Prejs et Dmitri Chostakovitch tirés de la nouvelle éponyme de Nikolaï Gogol. Mise en scène : Boris Pokrovskij. Décors et costumes : Vladimir Talalaj. Chorégraphie : Lilija Talankina. Lumières : Vladimir Ivakin. Avec : Evgueni Bolučevskij, Kovaliov ; Anatoli Zakharov, le barbier ; Maria Lemeseva, sa femme, la mère ; Sergueï Ostroumov, le commissaire de police ; Borislav Molcanov, Le Nez ; Boris Druzinin, Ivan, l’eunuque ; Viktor Borovkov, le fonctionnaire de la rédaction ; Elena Kononenko, la solitaire ; Vladimir Simarov, le cocher ; Ljudmila Genika, la dame de compagnie ; Valery Fedorenko, le père, un cocher ; Sergueï Vasil’cenko, le fils, un policier ; Amal’Utenova, la fille ; Vitaly Rodin, Petr Fedorovich ; Irina Narskaya, la vieille propriétaire ; Ljudmila Sokolenko, la vendeuse de gâteaux ; German Jukavsky, le docteur, Hozrev-Mirza ; Leonid Kazackov, Jarizkin ; Ljudmila Kolmakova, Podtocina ; Elena Andreeva, sa fille ; Jaroslav Radinovik, le laquais, Ivan Ivanovitch ; Boris Tarov, le portier ; Irina Barteneva, la vendeuse. Chœur et Orchestre du Théâtre Musical de Chambre de Moscou, direction : Vladimir Agronsky.

Mots-clefs de cet article
Instagram

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Reproduire cet article : Vous avez aimé cet article ? N’hésitez pas à le faire savoir sur votre site, votre blog, etc. ! Le site de ResMusica est protégé par la propriété intellectuelle, mais vous pouvez reproduire de courtes citations de cet article, à condition de faire un lien vers cette page. Pour toute demande de reproduction du texte, écrivez-nous en citant la source que vous voulez reproduire ainsi que le site sur lequel il sera éventuellement autorisé à être reproduit.