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Les amours à jamais perdues

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Québec. Salle Louis-Fréchette du Grand Théâtre de Québec. 21-X-2006. Giacomo Puccini (1858-1924) : La Bohème, opéra en quatre tableaux, sur un livret de Giuseppe Giacosa et Luigi Illica. Mise en scène : François Racine ; Décors : Opera Theater of Saint Louis, conception Erhard Rom ; Costumes : Costumier La Comédie et Costumier L’Époque pour l’Opéra de Québec ; Conception des éclairages : Serge Gingras. Avec : Marc Hervieux, Rodolfo ; Frédérique Vézina, Mimi ; Étienne Dupuis, Marcello ; Gianna Corbisiero, Musetta ; Alain Coulombe, Colline ; Alexander Dobson, Schaunard ; Joseph Rouleau, Benoît et Alcindoro ; Réal Toupin, Le sergent de douane. Chœur de l’Opéra de Québec ; Maîtrise des petits chanteurs de Charlesbourg (chef de chœur : Réal Toupin). Orchestre symphonique de Québec, direction : Daniel Lipton.

Pour tous ceux qui ne sont pas nés de la dernière pluie, les Episodes de la vie de Bohème hantent les souvenirs qui sommeillent en nous. C'est l'époque rude de l'apprentissage de la vie, les premières gelures amoureuses de nos hivers glorieux.

C'est la balafre caressée de nos rêves de jeunesse que nous gardons intacte : fraîcheur initiale de nos premières amours et déclaration liminaire de nos ambitions insensées. Il nous reste les nuits entières à ressasser ces mêmes scènes et à nous fabriquer une autre vie.

D'emblée, c'est la séduction de quatre artistes, leur pulsion de vie à se créer un monde, leur désinvolture mais aussi leur complicité dans l'adversité. C'est le jeu de la liberté envers et contre toutes les contraintes extérieures. Ce sont tous les attraits de la jeunesse réunis en quelques scènes. Sans trop s'appuyer sur l'indigence du milieu «artiste», – mansarde froide du Quartier Latin, petit matin frileux près de la Barrière d'Enfer – la mise en scène soignée de François Racine sert admirablement la pièce, de la comédie à la tragédie, de tableau en tableau, on se sent littéralement happé par le drame qui se joue. Simplicité mais efficacité. Certes, on pourrait lui reprocher un certain manque d'audace ou d'innovation et une lecture un peu rapide de la pièce. Ce sont des chemins de traverse qui mènent droit au but, une suite ininterrompue de scènes animées avec la touche onirique en relief. Les éclairages de avec ses lueurs profondes, donnent de la perspective aux décors d'Erhard Rom, comme dans les toiles d'un grand maître. Lumière bleutée traversant la scène à la première rencontre de Mimi et Rodolfo ; Parpignol ouvrant le deuxième tableau du Café Momus ; reflets changeants de clair-obscur – on pense notamment à la voix de Musetta et les stances saccadées des balayeurs – faisant basculer le rêve en cauchemar. Partout les jeux de lumière, la brillance des couleurs chatoyantes, les images subtiles foisonnent et s'imbriquent parfaitement à cette fresque peinte à la brosse. Les costumes plutôt traditionnels sont riches et superbes. Tous ces concepteurs ont réussi le tour de force de se jouer des stéréotypes naturalistes, de créer un monde tantôt tangible et bien réel, tantôt sensible et imaginaire. C'est l'écrin fascinant d'un microcosme, d'un monde vivant en marge de la société, dans lequel se meuvent en toute liberté les personnages de la pièce. Les jeunes artistes acquièrent au fil des tableaux une densité, une profondeur tragique. Mais tout est centré autour des deux couples. Musetta, l'amie du peintre Marcello et surtout la frêle Mimi qui revient mourir dans les bras amoureux de Rodolfo.

La jeunesse de tous les protagonistes est aussi à souligner. Tout devient crédible, d'autant plus que la qualité des voix est au rendez-vous. La Mimi de la soprano est faite de finesse, de grâce et de fragilité. Dès son air d'entrée, «Mi chiamano Mimi», on sent toute la vulnérabilité de la femme, celle qui d'abord s'abandonne sous le poids de la fatigue, de la maladie qui l'emportera bientôt. Et quelle prestance du poète Rodolfo interprété par le ténor , voix caressante dans le «Che gelida manina», aux aigus bien appuyés. La voix est radieuse et son jeu est crédible. Justesse dans leur rôle réciproque qui culmine dans le duo qui clôt le premier tableau. Les deux amoureux restent sur scène, semblent condamnés à affronter toutes les misères du monde.

Silence tout juste avant l'air de Musetta, «Quando m'en vo», de . Tous les yeux se tournent vers elle, complices de son double jeu. Elle déambule, insouciante, frivole, troublante de sensualité, gorge ouverte aux deux pointes sous son corsage, elle recueille d'une main l'aumône de l'amour vénal d'Alcindoro et de l'autre, aiguillonne la passion jalouse de Marcello. , excellent baryton, ne cesse de nous surprendre. Il nous sert du grand art. C'est un superbe Marcello, vocalement et scéniquement très à l'aise. Assurément, un rôle à sa mesure. Retenons le fameux duo au dernier tableau, «O Mimi, tu più non torni», avec son ami Rodolfo. Digne de mention, le Schaunard coloré d' et le Colline d', basse toutefois un peu légère dans l'air «Vecchia zimarra», au quatrième tableau, ils sont tous deux convaincants. Soulignons enfin les deux petits rôles de caractère, celui de Benoît et d'Alcindoro, tenus d'une main de maître par . Si la voix a perdu de son lustre, le comédien connaît toutes les grimaces de la scène et garde l'œil égrillard du vieillard lubrique.

Le chœur sous la direction de Réal Toupin, qui interprète aussi le petit rôle du sergent de douane, remplit son rôle avec l'aisance qu'on leur connaît. Les enfants sollicités sont bien. mène avec aisance l'. Sous sa direction, l'équilibre orchestral se double de la virtuosité des cuivres au deuxième tableau et des flûtes au troisième qui mêlent leur son auroral au bruit du cabaret, ou encore les réminiscences thématiques à la fin de l'opéra. Ne couvrant jamais les voix, c'est un orchestre diaphane qui laisse toute la place à la présence humaine. Il reste l'agonie de Mimi, venue mourir dans la mansarde et le cri déchirant de Rodolfo.

Crédit photographique : © Louise Leblanc

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Québec. Salle Louis-Fréchette du Grand Théâtre de Québec. 21-X-2006. Giacomo Puccini (1858-1924) : La Bohème, opéra en quatre tableaux, sur un livret de Giuseppe Giacosa et Luigi Illica. Mise en scène : François Racine ; Décors : Opera Theater of Saint Louis, conception Erhard Rom ; Costumes : Costumier La Comédie et Costumier L’Époque pour l’Opéra de Québec ; Conception des éclairages : Serge Gingras. Avec : Marc Hervieux, Rodolfo ; Frédérique Vézina, Mimi ; Étienne Dupuis, Marcello ; Gianna Corbisiero, Musetta ; Alain Coulombe, Colline ; Alexander Dobson, Schaunard ; Joseph Rouleau, Benoît et Alcindoro ; Réal Toupin, Le sergent de douane. Chœur de l’Opéra de Québec ; Maîtrise des petits chanteurs de Charlesbourg (chef de chœur : Réal Toupin). Orchestre symphonique de Québec, direction : Daniel Lipton.

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