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Paris. Théâtre des Champs-Élysées. 18-X-2006. Georg Friedrich Haendel (1685-1759) : Giulio Cesare, opéra en trois actes sur un livret de Nicola Francesco Haym. Mise en scène : Irina Brook. Décors : Noëlle Ginefri. Costumes : Sylvie Martin-Hyszka. Chorégraphie : Cécile Bon. Lumières : André Diot. Avec : Andreas Scholl, Giulio Cesare ; Rosemary Joshua, Cleopatra ; Sonia Prina, Cornelia ; Alice Coote, Sesto ; Franco Fagioli, Tolomeo ; Mario Cassi, Achilla ; Damien Guillon, Nireno ; Renaud Delaigue, Curio. Les Talens Lyriques, direction : Christophe Rousset.
On peut dire qu'à l'occasion de ce Giulio Cesare, le Théâtre des Champs-Élysées a mis, pour la distribution tout du moins, les petits plats dans les grands ! On sort en effet de la représentation ébloui par tant de beauté musicale…et dépité par tant de vacuité scénique !
Qu'est-il donc arrivé à Irina Brook ? On avait bien aimé son Eugène Onéguine à Aix-en-Provence et sa Cenerentola dans ce même TCE. Or, voici qu'elle nous sert une mise en scène sans l'ombre d'une idée, d'une conception, ou même d'un fil directeur ! L'action se situe dans un désert de sable, avec au beau milieu un élément censé planter le décor de chaque acte : un panneau indicateur au I, une oasis avec une porte orientale aussi moche et clinquante qu'une entrée de casino de Las Vegas au II, un squelette de barque au III. La plupart du temps, il ne se passe rien. Le chanteur, les bras ballants, se plante à l'avant-scène et se préoccupe uniquement de bien chanter. C'est plutôt mieux que quand il se passe quelque chose, car alors nous voyons défiler en quelques minutes une dizaine de gags dont le plus amusant tient du glissement sur une peau de banane (ou sur le sable du désert, dans le cas présent). De temps à autre, un danseur esquisse quelques pas de break-dance, sans raison apparente. Pourquoi avoir inséré ces plaisanteries pas même dignes d'un potache, alors que la signification de l'œuvre n'est jamais tournée en dérision (en fait, pour Irina Brook, il n'y a pas de signification du tout) ? Pour obtenir les rires gras d'une poignée de spectateurs ? Dans ce cas, l'objectif est atteint ! Et quand on a pour malheur une voisine qui glousse simplement parce que Achilla retire ses boots et remonte son pantalon pour traverser l'oasis (ou plutôt la mare), on se met à haïr la terre entière !
Mais ces désagréments n'arrivent fort heureusement pas à supplanter la musique, et là, que de splendeurs ! On savait Rosemary Joshua inégalable, incomparable, en Sémélé et en Poppée dans Agrippina. On lui découvre un nouveau personnage haendélien dans lequel elle est presque aussi formidable. Presque, car plus inégale. Sa Cléopâtre est agréable sans atteindre des sommets au premier acte, il faut dire que ni la mise en scène, ni ses costumes, hideux, ni sa coiffure, ridicule, ne doivent l'aider à endosser la psychologie de la reine d'Egypte. Mais tout bascule soudain à la fin du II, avec un « Se pieta di me non senti » d'anthologie, absolument bouleversant, dont on sort les mains tremblantes et les larmes aux yeux. Le « Piangero » est tout aussi réussi, et nous retrouvons la grande vocaliste dans un ébouriffant « Da tempeste il legno infranto » léger comme une nuée de bulles, pendant lequel elle se paie même le luxe d'effectuer quelques pas de danse !
On a lu, ici ou là, des commentaires acides sur la petitesse de la voix d'Andreas Scholl. Ils ne peuvent provenir que de ceux qui n'avaient jamais entendu le contre-ténor, ou qui n'avaient pas consulté le programme avant d'entrer dans la salle. Reprocher son émission confidentielle à Andréas Scholl, c'est un peu comme se plaindre que Chaliapine n'avait pas de contre-ut aigu ! Alors, amateurs de heldentenors s'abstenir, pour ce manque de volume, que de beauté dans le timbre, que de souplesse dans la vocalisation, que de longueur de souffle dans les messe di voce, que de noblesse dans l'incarnation ! Oui, ce soir, le couple Joshua/Scholl était aussi mythique que le couple Jules César/Cléopâtre !
Mais ils n'étaient pas seuls à participer à notre bonheur, car les deux voix graves de femmes n'étaient pas en reste. En Sesto, une Alice Coote déchaînée, au splendide son cuivré, à qui l'on doit les plus belles ornementations de la soirée, et en Cornélia, une Sonia Prina au timbre profond, profond, d'une noblesse exemplaire.
Ce ne sera pas faire injure au Tolomeo de Franco Fagioli et à l'Achilla de Mario Cassi de dire qu'ils ne se situent pas tout à fait au même niveau. Dans une autre production, on les aurait encensés. Mais face à quatre monstres d'un tel degré vocal, on en oublierait presque de les écouter, ce qui est fort dommage. Remarquons que tous les chanteurs ornent les da capo avec beaucoup de goût.
Les Talens Lyriques, sous la direction de Christophe Rousset, sonnent au départ très dégraissés, voire un peu trop sec. Et puis on se laisse petit à petit séduire par la progression et l'articulation des arches musicales, d'autant plus que l'orchestre sait chanter quand et là où il le faut. Quelques coupures, peu nombreuses, pour un spectacle qui dure quand même presque 4 heures, entractes compris. On sait que les cors baroques sonnent difficilement justes, mais la piteuse prestation du corniste solo dans l'aria « du chasseur » était peut-être le seul gag vraiment réussi de la soirée !
Bref, malgré la mise en scène indigente d'Irina Brook, on passe une magnifique soirée. A retourner écouter les yeux fermés.
Crédit photographique : © Théâtre des Champs-Elysées
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Paris. Théâtre des Champs-Élysées. 18-X-2006. Georg Friedrich Haendel (1685-1759) : Giulio Cesare, opéra en trois actes sur un livret de Nicola Francesco Haym. Mise en scène : Irina Brook. Décors : Noëlle Ginefri. Costumes : Sylvie Martin-Hyszka. Chorégraphie : Cécile Bon. Lumières : André Diot. Avec : Andreas Scholl, Giulio Cesare ; Rosemary Joshua, Cleopatra ; Sonia Prina, Cornelia ; Alice Coote, Sesto ; Franco Fagioli, Tolomeo ; Mario Cassi, Achilla ; Damien Guillon, Nireno ; Renaud Delaigue, Curio. Les Talens Lyriques, direction : Christophe Rousset.