Wagner par Bertrand de Billy, de Bayreuth à Barcelone

Le label Opus Arte nous offre en DVD séparés et maintenant en coffret (référence OA0962BD), la mouture catalane du Ring mis en scène par Harry Kupfer. Créée au festival de Bayreuth en 1988 sous la baguette de Daniel Baremboim, cette scénographie fut présentée dans une nouvelle version au Staatsoper de Berlin avant d'être importée au Liceu de Barcelone en 2003 et 2004.

Tout a été dit sur la mise en scène post-moderne, déshumanisé et misanthrope d'Harry Kupfer et les décors et costumes haute technologie du tandem Hans Schavernoch, Rheinhard Heinrich. Au fil des représentations et des éditions vidéographiques (ce Ring fut filmé lors à Bayreuth, l'enregistrement est disponible en DVD chez Warner) et bientôt vingt ans après la première, cette Tétralogie reste un ensemble aussi cohérent que fort dramatiquement tout en respectant le livret et l'esprit de l'œuvre. La direction d'acteur, toujours aussi fouillée, conduit les personnages à leurs paroxysmes de violences et d'ambivalences. Wotan apparaît fort justement comme un individu impulsif et déraisonné alors que Loge semble plus cruel et machiavélique que jamais. Quant à Alberich, il est idéalement répugnant en dictateur cruel et arrogant.

La distribution comme souvent à Barcelone, mélange des chanteurs réputés et des artistes ibériques. Du côté des excellents chanteurs locaux, il faut saluer le trio de Filles du Rhin composé de Cristina Obregón, Ana Ibarra et Francisca Beaumont, tout comme la très belle Freia d'Elisabete Matos. Cette production présente aussi quelques-uns uns des chanteurs considérés comme des références incontournables des scènes actuelles. Grand connaisseur de Wotan qu'il chante actuellement à Bayreuth, le baryton Falk Struckmann est moins engorgé qu'à l'accoutumée et son timbre, en dépit d'un médium un peu ingrat, est assez séduisant. L'artiste semble particulièrement à l'aise dans son personnage de dieu irréfléchi. Günter von Kannen, campe un très bon Alberich, en dépit d'un manque de caractérisation vocale. Mime générique des théâtres lyriques, Graham Clarck a troqué ce rôle pour Loge ; personnage auquel il apporte son humour et sa dérision. Les deux géants sont bien tenus par Matthias Hölle et Kwanchul Youn, tout comme le Donner de Wolfgang Rauch et de le Froh de Jeffrey Dowd, mention très bien aussi pour la Fricka de Lioba Braun.

Peu habitué à ce répertoire, l'orchestre du Gran Teatre del Liceu fait consciencieusement son travail en dépit de quelques limites. Les timbres et les couleurs assez clairs apportent un bel éclairage sur cette musique ; mais le manque de familiarité des musiciens avec cette musique met les vents et les cuivres à rude épreuve. Abordant le Ring, pour la première fois, Bertrand de Billy, l'ancien directeur musical de l'opéra catalan, dirige plutôt vite. Ce Wagner est respectable pour la clarté des textures, mais il est un peu trop avare de profondeur et de noirceur pour coller à l'esthétique défendue par Kupfer.