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Salzburger Festspiele 2006 : Don Giovanni, l’envie d’être ailleurs

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Salzbourg. Festspielhaus. 11-VIII-2006. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) Don Giovanni, opéra en deux actes sur un livret de Lorenzo da Ponte. Mise en scène : Martin Kušej. Décors : Martin Zehetgruber. Costumes. Heide Kastler. Lumières : Reinhard Traub. Avec : Thomas Hampson, Don Giovanni ; Michaela Kaune, Donna Elvira ; Ildebrando D’Arcangelo, Leporello ; Christine Schäffer, Donna Anna ; Piotr Beczala, Don Ottavio ; Robert Lloyd, le Commandeur ; Isabel Bayrakdarian, Zerlina ; Luca Pisaroni, Masetto. Konzertvereinigung Wiener Staatsopernchor (chef de chœur : Thomas Lang) Mozarteum Orchester Salzburg (musiciens sur scène). Orchestre Philharmonique de Vienne, direction : Daniel Harding.

Première ce soir de la reprise de la production 2002 de Don Giovanni, qui révéla à l'époque au public international Anna Netrebko, et échec assez cuisant pour un spectacle raté et ennuyeux.

La mise en scène est de , le directeur artistique de la branche théâtrale du Festival. Il signe un spectacle dont le manque d'idée directrice et d'intentions clairement cernables laisse pantois. Le décor est d'un minimalisme assez déconcertant : des panneaux d'une blancheur froide et aveuglante, dont la disposition varie selon les incessants mouvements du plateau tournant (et grinçant ! Ces détails devraient quand même être réglés avant la première !), ils forment tantôt un mur, tantôt un grand hall ou un couloir. Les panneaux sont comme il se doit percés de nombreuses portes. Et c'est tout pour le décor qui a donc des airs d'hôpital psychiatrique plus que de Séville nocturne. On y voit beaucoup de figurants, ou plutôt de figurantes, qui passent le plus clair de leur temps en lingerie. Ces jeunes filles souvent statufiées sont un peu mises à toutes les sauces : elles viennent ramasser le corps du Commandeur, elles animent des sortes de saynètes durant l'air du catalogue, remplissent l'office de convives lors des fêtes commandées par Don Giovanni, mais la plupart du temps font tapisserie. Durant la scène du cimetière, elles sont de dos, puis se retournent quand la statue accepte l'invitation de Don Giovanni. On constate alors que les jeunes filles sont en fait des femmes âgées, en culotte et soutien-gorge bien sûr, grimées en cadavres fraîchement mis en terre, et l'une d'elles crache même une belle giclée de sang. L'effet est assez saisissant, c'est d'ailleurs l'une des seules bonnes idées d'un spectacle plus qu'ennuyeux par ailleurs, qui ne donne aucune épaisseur aux personnages, se contentant de régler entrées et sorties. Le personnage de Don Giovanni est le plus maltraité, dans son pantalon mauve, il semble sorti d'un magasin de fripes. C'est lui qui est sur scène au début, devant un grand mur blanc percé de portes, et qui entonne le fameux «Notte e giorno faticar», qui est vite repris par Leporello, sorti d'une des portes, en remontant sa braguette. On se demande bien de quoi Leporello se plaint, car c'est lui qui tire son coup pendant que son maître attend dehors. Don Giovanni passe alors une autre de ces portes, mais en ressort presque aussitôt, poursuivi par une Anna en nuisette, qui semble très désireuse de poursuivre une étreinte trop courte, et qui va reprendre sous nos yeux, bientôt définitivement interrompue par l'arrivée du Commandeur. Don Giovanni est dans cette mise en scène un être veule et lâche, sans saveur ni sensualité, qui n'est même pas emporté par le Commandeur, mais assassiné d'un coup de sabre dans la panse par son valet. Il ne chante sa sérénade à personne, n'a rien à manger ni à boire durant les festins que Leporello, qui dit avoir une fluxion mais chante normalement, lui organise.

Néant, ennui, vacuité et défilé de petites culottes, voilà les mots qui viennent en tête quand on pense à cette mise en scène fatigante, (n'oublions pas que les murs blancs réfléchissent la lumière et aveuglent le public), dont on se demande à quel titre elle a l'honneur d'être reprise, car son échec saute aux yeux.

Musicalement, la soirée n'est malheureusement pas plus réjouissante, le chef en portant une lourde responsabilité. Sa direction est d'une désespérante brutalité : il hache, tronçonne, débite un Mozart cadavérique, dont il ne laisse jamais ni chanter ni respirer les phrases et ne parvient pas à unir plateau et orchestre, souvent en décalage. Se cabrant sous cette main si inapte, les Wiener Philharmoniker sont à mille lieues de leur légende, secs, râpeux et maussades, ils produisent des stridences dignes d'un orchestre qu'on aurait assemblé le soir-même pour l'occasion.

La distribution était sur le papier plutôt prometteuse, mais elle se révèle en fait extrêmement inégale. fut l'un des grands Don Giovanni de sa génération, heureusement capté à la fleur de l'âge par Teldec dans la version Harnoncourt. Aujourd'hui, il n'est plus que l'ombre du grand et subtil séducteur qu'il fût, passant plutôt dans la catégorie vieux beau. Le chant est resté soigné et élégant, mais le timbre a beaucoup perdu en éclat et en velours, les nuances sont moins belles et moins bien réalisées, et le souffle et la puissance, jamais vraiment ses points forts, sont désormais déficients. Il assure encore assez convenablement ses airs, quoique l'Air du champagne soit précautionneux et que la seconde strophe de sa sérénade soit assez anémique, mais ses récitatifs sont raides et parfois aboyés, et manquent de coffre, de séduction et de justesse. Le constat peut sembler sévère, mais ce grand chanteur ne peut tout simplement rien contre le temps qui passe, et il devrait laisser la main pour ce rôle qui compte actuellement quelques titulaires bien plus fringants : Mattei, Skhovus, Keenlyside, Tézier, … Parmi ces titulaires, on aimerait citer , cantonné depuis les débuts de cette production en Masetto, et qui a toutes les qualités nécessaires pour être un Don Giovanni de classe : prestance vocale, élégance du timbre, aisance scénique. est un Leporello de très bon niveau, au graves richement timbré, au chant solide, mais dont on sent qu'il pourrait donner bien plus s'il était placé dans une production plus aboutie. Le cas de Piotr Beczala est plus mitigé : voilà un chanteur au timbre viril plutôt séduisant, mais au chant fruste et raide. En difficulté dans «Dalla sua pace», dont il rudoie la ligne par manque de finesse et incapacité à alléger l'émission, il fait preuve d'engagement par la suite, et livre un «Il mio tesoro» passionné et intègre. Rappelons au passage que ces deux airs ont été composés par Mozart pour deux chanteurs aux caractéristiques différentes, et qu'il serait bon de ne proposer les deux que lorsque le ténor est vraiment capable de les chanter avec un égal bonheur. Nos oreilles en souffriraient moins, et ce rôle ingrat y gagnerait en dignité.

Le tableau est plus sombre chez les dames, dont aucune ne fait d'étincelles. Pas trop gâtée par une petite robe noire qui la fait ressembler à Edith Piaf, est deux pointures au-dessous des exigences du rôle de Donna Anna, dont elle n'a pas du tout la puissance vocale. Elle va certes au bout, et fait preuve d'une flamme évidente, mais pour s'en sortir, elle doit forcer le son, grossir l'émission, et sa voix cristalline en est finalement méconnaissable. remplace au dernier moment indisposée. Très à l'aise scéniquement, elle semble en méforme vocale, à court d'aigus, et en problèmes de justesse. Les graves sont riches et pleins, mais c'est un peu insuffisant pour en faire une Elvira convaincante. Par défaut, on donnera la palme féminine à , au chant parfois abrupt, mais au timbre joliment épicé. Une prestation sans défaut majeur, sinon une ligne un peu relâchée, mais on a l'impression d'entendre une Zerline de série, qu'on pourrait entendre partout ailleurs.

Le grand projet de ce 2006 est de présenter toutes les œuvres scéniques de Mozart en un mois. A ce titre, il est logique que tout ne soit pas également réussi, mais il est néanmoins manifeste, vu le prix des places et la réputation de cette manifestation, qu'une qualité minimale est requise. On en est loin pour cet infâme Don Giovanni, tout à fait indigne de Salzbourg.

Crédit photographique : © Petra Spiola

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