La Scène, Opéra, Opéras

Grisant « écho du malheur noble »

Plus de détails

Dijon. Auditorium. 10-III-2006. Giuseppe Verdi (1813-1901) : La Traviata, opéra en trois actes sur un livret de Francesco Maria Piave. Mise en scène : Olivier Desbordes, assisté de Damien Lefèvre. Décors : Claude Stéphan. Costumes / Eclairages : Patrice Gouron. Avec : Fiorella Burato, Violetta ; Soner Bülent Bezdüz, Alfredo ; Armand Arapian, Germont ; Laurence Misonne, Flora ; Thierry Cantero, Gaston de Létorières ; Jean-Michel Ankaoua, baron Douphol ; Eric Demarteau, marquis d’Obigny ; Jean-Jacques Cubaynes, docteur Grenvil ; Linda Durier, Annina ; Imer Katcha, le messager / le domestique ; Eric Pezon, Giuseppe. Chœur, orchestre et ballet du Duo-Dijon (Chef de chœur : Bruce Grant) direction musicale : Claude Schnitzler.

Quel bonheur… ! Comme quoi le malheur des uns…. Il n'empêche que monter La Traviata, l'opéra « multi-tubes » de Verdi, c'est toujours un risque. C'est que le public, facilement blasé, devient difficile !

Pour et son équipe, l'impératif était d'abord de concevoir une mise en scène conciliant convention et originalité. Sur le fond, ce n'est pas tant le drame social (où les dés sont pipés, où tout est joué à l'avance) que le cas particulier et moral de Violetta qui intéresse le metteur en scène, et manifestement, il ne cache pas sa sympathie pour celle qui, dit-il, « rejoint les Marilyn et les Lulu au firmament des filles perdues ». Et comme Dumas dans La Dame aux Camélias, il se fera avant tout « l'écho du malheur noble ». Sur la vaste scène de l'auditorium (préféré au Grand Théâtre pour ce spectacle) : un décor épuré, en hautes colonnes-cloisons, mais imposant, dimensions obligent, qui écrase d'autant plus les personnages, jouets du destin ; et une atmosphère propre à chacun des trois épisodes de l'histoire : nocturne pour le festif-factice de l'acte I, morose (il pleut !), dans un décor « campagne » et des costumes (ternes) accordés à la dégradation du temps, des sentiments, de la santé (Violetta) pour l'acte II, enfin jeux de lumière contrastés dans le décor retrouvé « vie parisienne » pour le mélodrame final. L'autre impératif était de s'assurer le concours d'une distribution performante et de réaliser pour elle une effective direction d'acteurs, ce qui constitue à notre sens, l'incontestable réussite d'.

Verdi souhaitait pour le rôle-titre (et on le comprend, tant ledit rôle est écrasant) « una donna di prima forza. » répond tout à fait à cette attente. Elle est d'abord tout le portrait physique que Dumas fait de son personnage (Marie Duplessis) : « Elle était grande et mince, noire de cheveux, rose et blanche de visage…/…les lèvres du rouge des cerises, les plus belles dents du monde… ». Outre des qualités vocales de très grande classe (égales clarté et pureté d'émission dans les trois registres de la tessiture, articulation exemplaire), elle fait preuve d'un sens dramatique hors du commun. Sans jamais forcer sur le pathos, c'est par la réelle beauté du timbre, la justesse du phrasé, l'extraordinaire expressivité de son chant qu'elle nous émeut et sait nous tirer des larmes (oh ! « una lagrima furtiva ») bien avant ses derniers instants ; ne serait-ce que par l'admirable legato de son Ah dite alla giovine, dans son duo avec Germont père (acte II) ou ses aigus filés d'une céleste longueur (ah ! cet Addio del passato ! à couper le souffle…de l'auditeur !). Comment qualifier d'un mot sa prestation ? Il faudrait inventer ; quelque chose comme traviat'issima ? ! Osons dire que figure vraisemblablement parmi les toutes meilleures Violetta du moment.

Le ténor (d'origine turque) Bülent Bezdüz campe un Alfredo des plus attachants, tant par son physique de jeune premier que par sa prestation vocale. Idéalement timbrée pour le rôle, sa voix, encore un rien limitée en puissance dans le médium est déjà bien rompue aux rigoureuses techniques du répertoire de ténor lyrique (messa di voce parfaitement maîtrisé). Il captive son public dès le Libiamo ! de l'acte I et l'air Un di felice suivi du célèbre duo avec Violetta vaut un triomphe aux deux partenaires. De même que le suave Parigi o cara de l'acte III, véritable enchantement pour l'oreille … Autre duo privilégié dans la réussite : celui de Germont (le père) et de Violetta dans l'acte II, l'une des scènes les plus bouleversantes de cette production. L'investissement du jeu dramatique de la part du baryton étant à la hauteur de celui du chanteur, rien ne nous échappe des sentiments qui l'animent et le tourmentent. Il n'est pas le simple empêcheur d'aimer à loisir psychorigide à quoi trop souvent on le réduit. Père aimant, certes soucieux des intérêts familiaux, il montre déjà ici, gagné par la sincérité de Violetta, les fêlures de la cuirasse et, évitant le chant trop « lisse », sa voix ample, richement timbrée et toujours contrôlée dans la dynamique se met au service d'une émotion partagée. Déjà nous avait touché son pura siccome un angelo, et de même le suivrons-nous, séduits, dans son évocation (à Alfredo) de La Provenza (une Provence que nous soupçonnons avoir en son esprit quelque résonnance et parfum de Grèce ou…d'Arménie). Quant à la Flora de Laurence Misonne, vocalement irréprochable, physique, tenue sexy et mise en scène aidant, elle dégage un érotisme…palpable !

Le reste de la distribution est globalement satisfaisant : le ténor Thierry Cantero est parfait en Gaston et, dans le registre baryton-basse, les Douphol (Jean-Michel Ankaoua) et d'Obigny (Eric Demarteau), tout à fait convaincants, de même que en docteur Grenvil dont la prestance (stature et belle voix de basse noble) en impose.

Nous ne manquerons pas de saluer la prestation du chœur, d'excellente cohésion (et d'articulation !) qui se distingue tout particulièrement dans les Zingarelle (sc. 2 de l'acte II) et le Largo al quadrupede (acte III). Seul léger bémol à mentionner : la qualité très moyenne des quelques chorégraphies produites par le Ballet du Duo-Dijon, dont c'était là la dernière participation…ceci expliquant sans doute cela ?

La direction tout en souplesse de , très attentif aux chanteurs, soucieux du détail et qui obtient de l'orchestre du Duo-Dijon, une fois encore, un rendu de haute tenue, contribue grandement à la magnifique réussite musicale de cette production.

Devant le succès rencontré (les quatre représentations données « à guichets fermés » ), une reprise pour trois nouvelles représentations est programmée en décembre prochain.

Crédit photographique : © DR

(Visited 546 times, 1 visits today)

Plus de détails

Dijon. Auditorium. 10-III-2006. Giuseppe Verdi (1813-1901) : La Traviata, opéra en trois actes sur un livret de Francesco Maria Piave. Mise en scène : Olivier Desbordes, assisté de Damien Lefèvre. Décors : Claude Stéphan. Costumes / Eclairages : Patrice Gouron. Avec : Fiorella Burato, Violetta ; Soner Bülent Bezdüz, Alfredo ; Armand Arapian, Germont ; Laurence Misonne, Flora ; Thierry Cantero, Gaston de Létorières ; Jean-Michel Ankaoua, baron Douphol ; Eric Demarteau, marquis d’Obigny ; Jean-Jacques Cubaynes, docteur Grenvil ; Linda Durier, Annina ; Imer Katcha, le messager / le domestique ; Eric Pezon, Giuseppe. Chœur, orchestre et ballet du Duo-Dijon (Chef de chœur : Bruce Grant) direction musicale : Claude Schnitzler.

Mots-clefs de cet article

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Reproduire cet article : Vous avez aimé cet article ? N’hésitez pas à le faire savoir sur votre site, votre blog, etc. ! Le site de ResMusica est protégé par la propriété intellectuelle, mais vous pouvez reproduire de courtes citations de cet article, à condition de faire un lien vers cette page. Pour toute demande de reproduction du texte, écrivez-nous en citant la source que vous voulez reproduire ainsi que le site sur lequel il sera éventuellement autorisé à être reproduit.