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Entre le surmenage, les hypothèses d’empoisonnement, le dédain après la gloire et jusqu’à un enterrement sans office religieux ni caveau personnel, la fin de la vie de Mozart a laissé place à toutes les hypothèses les plus folles du génie abandonné. Mais l’oubli, si tant est qu’il y en ait eu un, a été de courte durée. Pour accéder au dossier complet : Hommage à Mozart

 
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Entre le surmenage, les hypothèses d’empoisonnement, le dédain après la gloire et jusqu’à un enterrement sans office religieux ni caveau personnel, la fin de la vie de Mozart a laissé place à toutes les hypothèses les plus folles du génie abandonné. Mais l’oubli, si tant est qu’il y en ait eu un, a été de courte durée.

Max Reger : la Vénération

Si Bach reste une constante dans l’œuvre de Max Reger, sa composition la moins inconnue (à défaut d’être la plus connue) est la Variations et Fugue sur un thème de Mozart op. 132. Celui dont Albert Schweitzer dit que son œuvre ne sera comprise que dans le futur (des propos tenus tout de même en 1947, plus de 30 ans après sa mort!) n’aura finalement vécu que 7 ans de plus que son inspirateur. Fauché en pleine maturité créatrice, Max Reger n’a pas eu le temps de tout dire au travers d’un langage post-romantique de plus en plus complexe, dissemblable en bien des points de ses contemporains plus connus (Richard Strauss, Gustav Mahler, Arnold Schœnberg, Ferruccio Busoni, …). Mais il put tout de même mener à bien ce vibrant hommage, basé sur la célébrissime Sonate pour piano en la majeur K331. Composées en 1914, ces Variations et Fugue ont été écrites à un moment crucial de la vie de Reger. Homme suractif partagé entre l’écriture, l’enseignement et les concerts, il noie son peu de temps libre dans l’alcool, dont il commence à ressentir les effets les plus dommageables. Obligé d’arrêter toute activité, il compose néanmoins pendant sa convalescence diverses œuvres patriotiques – qui ont contribuées à sa non-popularité sur la rive gauche du Rhin – et ces fameuses Variations, empreintes de douceur et de mélancolie. Le choix de Mozart était plus dans l’esprit du « salut » non directement envers le compositeur, mais pour l’orchestre de la Cour de Meiningen, petite ville de Thuringe, dont il était directeur musical depuis 1911. Un orchestre dont Mozart était le pain quotidien.

Dans cette œuvre Reger abandonne toute emphase et simplifie au maximum son écriture, comme un acte cathartique d’une vie trop dense, précédant immédiatement une période sombre et dépressive pendant laquelle il n’arrive pas à terminer son Requiem. Un peu comme Mozart en somme…

Richard Strauss : en arrière toute!

Mozart a été le quotidien de Richard Strauss comme tout musicien germanique. S’il n’y a jamais de citations explicites, l’esprit de Mozart dans les œuvres les plus intimistes du compositeur munichois (duett-concertino, concertos pour cor, concerto pour hautbois, sérénades, …) est bien présent, jusqu’à envahir le Chevalier à la Rose, où l’on ne peut voir dans la relation entre Oktavian et la Maréchale l’aboutissement de l’affection entre la Comtesse et Cherubino des Noces de Figaro. Nous quittons une Espagne de pacotille pour une Vienne rêvée, mais toujours dans l’esprit du Siècle des Lumières. Le couple de comprimarii Valzacchi/Annina ressemble à s’y méprendre à Basilio/Marcellina, et le Baron Ochs est un Almaviva sur le retour. Les seconds rôles des Noces deviennent premiers dans le Chevalier : Barberina n’est plus une fille affolée d’avoir perdu son aiguille, elle est Sophie, une jeune femme déterminée dans son amour pour Oktavian. Son père, le jardinier Antonio au XVIIIe siècle, est un riche parvenu dénommé Faninal, plus soucieux de son image dans la société que des sentiments de sa fille. Outre le parallèle entre les personnages, Richard Strauss préconise au chef d’orchestre d’alléger le pupitre de cordes quand « cela est rendu nécessaire pour la perception des paroles », renouant en cela avec les discussions sur l’importance du livret au XVIIIe siècle.

Avec la Femme sans ombre un autre opéra mozartien est appelé à la comparaison : la Flûte enchantée. Le parcours initiatique de deux jeunes nobles, l’Empereur et l’Impératrice, mis en parallèle avec celui de deux « gens simples », Barak (seul héros de l’opéra à bénéficier d’un prénom) le teinturier et son épouse, est chapeauté par un être supérieur, Keikobad, sorte de Sarastro omnipotent mais… absent! Un des rares cas de personnage présent uniquement par l’évocation. La méchante de l’histoire est la seule à différer du modèle d’origine : la Nourrice, bien qu’issue de la nuit, n’est pas une Reine, et a troqué les vocalises jusqu’au contre-fa pour une tessiture de contralto dramatique qui la fait descendre trois octaves plus bas. Tout élément comique est absent, les infirmités des trois frères de Barak (un aveugle, un manchot et un bossu) soulignent la condition sociale d’êtres délaissés et miséreux. Comme dans la Flûte enchantée, la symbolique des animaux est forte : le faucon impérial est un oiseau annonciateur de malheur. Les poissons prennent la parole des enfants à naître que la Teinturière est prête à nier sur les machinations de la Nourrice. Mais loin de toute référence maçonnique, Strauss et Hofmannsthal font plus appel à un message humaniste et panthéiste d’une Allemagne ravagée qui doit ressortir grandie et démocratisée de la Grande Guerre. L’histoire officielle n’a pas suivi ce conseil en 1933…

Avec Ariane à Naxos le « couple » le plus célèbre de l’art lyrique, après Mozart/Da Ponte, remet sur le carreau la dualité livret/musique propre au XVIIIe dans cette refonte de l’» acte turc » du Bourgeois Gentilhomme. Si dans la Femme sans ombre Mozart n’était évoqué que par les similitudes envers les idéaux véhiculés par la Flûte enchantée, Ariane à Naxos est une première rupture lyrique avec le déferlement orchestral qui prévalait depuis Elektra. L’orchestre, une « formation Mozart » agrémentée de percussions et d’un piano, est à l’opposé des mastodontes symphoniques exigés pour le Chevalier à la Rose ou la Femme sans ombre.

L’affinité entre Richard Strauss et Hugo von Hofmannsthal a été plus d’une fois comparée à celle entre Mozart et Da Ponte : deux hommes que tout oppose et dont la rencontre produit des chefs-d’œuvres. Le miracle ne se reproduisit plus après le décès du librettiste, malgré les interventions de Stephan Zweig ou Joseph Gregor. Strauss fit une ultime référence à Mozart et au Siècle des Lumières en 1942 dans Capriccio, souvent appelé « conversation en musique », et où se mêlent les ombres de Così fan tutte et des Noces de Figaro comme le souvenir d’un monde meilleur et civilisé.

Ermanno Wolf-Ferrari : un météore italien

Puccini est l’arbre qui masque la forêt dans la production lyrique italienne du début du XXe siècle. Alors que la génération montante des compositeurs issus de la Scapigliatura (Leoncavallo, Mascagni, Montemezzi, Cilea, Franchetti, Boito, …) se tourne vers Wagner, que Sgambati, Bottestini ou Martucci tentent de prouver qu’il existe une musique instrumentale romantique italienne, Ermanno Wolf-Ferrari anticipe la « génération 1880 » (Respighi, Malipiero, Casella) en se tournant vers le fastueux passé musical de la péninsule. Mais en tout bon vénitien qui se respecte, il se tourne vers les voisins ultramontains qui entretiennent avec la cité des Doges des relations séculaires : l’Autriche et la Bavière (pays natal de son père). Et c’est naturellement vers Mozart que son inspiration le mène, en plus de Pergolèse ou Vivaldi. Comment ne pas voir dans la relation entre Rosaura, Marionette et Arlecchino de la Vedova scaltra le trio Comtesse-Susanna-Figaro des Noces? Mais la servante manipulatrice est aussi Despina de Così.

L’œuvre de Wolf-Ferrari ne lui aura pas survécu. Son unique concession au vérisme, I Giojelli della Madonna, a connu un certain succès dans la première moitié du XXe siècle. De nos jours, seul I Quattro Rusteghi voit de temps à autres le devant de la scène.

En France après 1918

Si Ravel par la forme, la composition de l’orchestre et l’esprit qui s’en dégage fait référence à Mozart dans son Concerto en sol, il ne fait aucune citation, et ses quelques « à la manière de… » concernent plus Haydn, Chabrier ou Borodine. Mozart pour la génération suivante de compositeurs est l’antidote idéal contre le romantisme et ses héritiers. Souvent évoqué, il n’est jamais plagié ou orchestré, et quand un thème mozartien se fait entendre, c’est plus dans l’esprit du salut, de l’hommage ou du pied de nez. Ainsi Duruflé disait que le Requiem de Mozart était son modèle pour la composition de son propre Requiem op. 9, alors qu’il se rapproche plus au niveau formel de celui de Fauré. Le début du mouvement lent du Concerto pour deux pianos et orchestre de Francis Poulenc ressemble à s’y méprendre au Concerto n°21 K467, avant que l’entrée de l’orchestre ne place définitivement l’œuvre au XXe siècle. Jacques Ibert de son coté a écrit une courte pièce de circonstance : Hommage à Mozart. Œuvre en ré majeur – une tonalité courante chez le composteur salzbourgeois – tripartite, elle est faite de thèmes qui reprennent exactement les canons d’écriture classique : motifs de 8 mesures avec demi-cadence au milieu et cadence parfaite à la fin, développement, « trio » central plus lent, réexposition et strette finale en forme de coda. Son instrumentation est celle des dernières œuvres de Mozart : bois par 2, 2 cors, 2 trompettes, timbales et cordes. Sa date de composition (1956) ne fait aucun doute quant à sa destination.

Igor Stravinsky : l’essoufflement de l’inspiration

Quand il compose the Rake’s progress en 1951, Igor Stravinsky clôt sa période néo-classique par une œuvre bien inégale. L’œuvre la plus longue (2h15) de son créateur est un opéra sur un livret de Whystan Hugh Auden et Chester Kallman d’après une série de gravures de William Hogarth (1697-1764). Malgré une création sous les meilleurs hospices (au prestigieux Teatro La Fenice de Venise, Elisabeth Schwartzkopf, Robert Rounsville et Jennie Tourel dans les principaux rôles et Ferdinand Leitner en assistant à la direction musicale) the Rake’s progress n’a jamais vraiment réussi à s’imposer. Rudolf Bing, omnipotent directeur du Met de New-York pendant près de 40 ans le trouvait « ridicule ». Un tel jugement est sévère, si l’œuvre comporte quelques « tunnels » sa programmation régulière prouve qu’elle comporte plus d’une qualité. Le synopsis ressemble on ne peut plus à Don Giovanni, mâtiné de quelques réminiscences faustiennes : un jeune homme de bonne famille (Tom Rackwell) succombe à la luxure provoquée par l’arrivée inopinée du diable en personne, déguisé en valet (Nick Shadow). Abandonnant sa fiancée (Anne Trulove) pour une vie de débauche et de luxure, entre le bordel de Mother Goose et un mariage arrangé avec la femme à barbe Baba-the-turk, il finit par être rattrapé par son destin. Ruiné et poursuivi, ses biens sont vendus. Nick Shadow lors d’un ultime entretien (dans un cimetière) propose de jouer aux cartes avec Tom. S’il gagne, il aura la vie sauve. Tom gagne, mais le diable est mauvais perdant, et avant de retourner en enfer il ôte au héros toute sa raison. Rackwell finit ses jours à Bedlam, l’asile d’aliéné de Londres, attendant la visite de Vénus, en réalité Anne qui n’a jamais cessé de l’aimer. L’opéra se termine par une morale chantée par tous les protagonistes au baisser du rideau, exactement comme dans Don Giovanni. Mais la comparaison entre les deux œuvres ne s’arrête pas là. Stravinsky reprend la vieille forme de l’opéra « à numéros », avec airs, chœurs et ensembles séparés par des récitatifs au clavecin, récitatifs pendant lesquels l’action se passe. Outre la symbolique des noms (Rackwell, Shadow, Trulove) la typologie vocale des protagonistes est scrupuleusement respectée : la jeune amoureuse est une soprano, le gentil dévoyé un ténor, le diable un baryton-basse, le père (d’Anne Trulove) une basse, la femme à barbe une alto, jusqu’au commissaire-priseur digne frère de Don Basilio des Noces de Figaro puisque un ténor léger de demi-caractère est demandé. Stravinsky plagiant Mozart fait évidemment du Stravinsky, mais l’œuvre doit plus sa notoriété au compositeur qu’à ses qualités intrinsèques.

Les librettistes Auden et Kallman ont redonné dans l’esprit mozartien avec Elegy for young lovers, mais le compositeur Hans Werner Henze ne cite jamais Mozart dans ce Così fan tutte moderne.

Et maintenant?

« Le plus grand rythmicien de la musique classique est certainement Mozart » avait déclaré Olivier Messiaen. Son ultime œuvre, Un sourire, reprend non pas un thème de Mozart mais un exercice d’écriture de jeunesse lors de sa formation au conservatoire, un chant donné dans le style de Mozart qui avait déjà fait une courte partition pour piano sous le titre de Rondeau-hommage à Mozart. Un sourire, ultime salut de l’élève devenu maître à un de ses exemples de référence (Messiaen ouvrait souvent la partition de Don Giovanni dans son cours d’analyse au Conservatoire de Paris) fait parti du foisonnement de partitions « mozartiennes » suscitées pour le bicentenaire de 1991.

Dans le lot, la séparation du bon grain de l’ivraie a pu donner deux opus d’Edison Denisov : Variations sur un thème de Mozart pour 8 flûtes, hommage en clin d’œil au génie par le biais d’un instrument qu’il n’appréciait pas, et Kyrie (Hommage à Mozart) qui reprend la même orchestration que le célèbre Requiem. Cette dernière pièce est une des spécialités de Denisov : la réécriture orchestrale, dans laquelle il s’était illustré avec Schubert et Debussy (Rodrigue et Chimène). La base de la (re)composition est ici le Kyrie K323.

Une autre pièce sort de l’ombre, Moz-Art à la Haydn d’Alfred Schnittke. Comme à son usage le compositeur reprend de l’ancien pour tenter avec plus ou moins de bonheur d’en faire du neuf. Les thèmes de Mozart et Haydn se télescopent pendant douze minutes, avant que les musiciens ne partent progressivement de la scène, laissant le chef diriger seul des pupitres et chaises vides.

Quelles créations nous donnera l’année 2006?

Illustrations

Max Reger © Fondation Max-Reger, Meiningen

Richard Strauss, portrait par Max Liebermann © Archives Richard-Strauss, Garmisch

Ermanno Wolf-Ferrari © DR

Jacques Ibert © DR

Igor Stravinsky © Richard Avedon/CBS

Olivier Messiaen © Claude Hilger

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