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Le tout premier Faust intégral en français de l’histoire du disque

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Charles Gounod (1818-1893) : Faust. Léon Beyle, Faust ; Jeanne Campredon, Marguerite ; André Gresse, Méphistophélès ; Jean Noté, Valentin ; Marguerite d’Elty, Siébel ; Jeanne Goulancourt, Marthe ; Pierre Dupré, Wagner. Chœurs et Orchestre du Théâtre de l’Opéra-Comique, Paris, direction : François Rühlmann. 3 CD Marston Réf. : 53007-2. Enregistré à Paris en 1911/12. Notice unilingue (anglais) excellente avec de multiples photos et biographies des interprètes, mais sans livret. Durée : 72’44’’, 65’57’’, 78’56’’.

 

Les frères Pathé étaient plus hommes d'affaire que dévoués au cinématographe ou au phonographe en tant qu'art. Et pourtant, ils eurent tous deux des prémonitions de génie.

Charles Pathé s'occupa plus du cinématographe, tandis qu'Émile fut responsable de l'essor du phonographe. En 1911, Émile Pathé entreprit une aventure incroyable pour l'époque : enregistrer une série de neuf opéras et deux pièces de théâtre en l'espace de deux ans, et cela dans leur version intégrale! Ce fut un fiasco commercial, dû très probablement au coût de chaque série (le Faust repris sous cette rubrique ne comportait pas moins de 56 faces de 78 tours/min…) et au fait qu'il s'agissait d'une toute nouveauté dans l'histoire du disque, que le public n'était probablement pas disposé à écouter chez lui tout un opéra avec la fastidieuse manipulation successive de ces 56 faces. Il ne faut pas oublier également que ce n'est qu'en 1912 que la firme Odeon à Berlin osera entreprendre l'enregistrement intégral de deux symphonies sous la direction d' : la Symphonie n°94 « Surprise » de Haydn et la Symphonie n°39 de Mozart ; la Gramophone Company suivra en 1913 avec les Berliner Philharmoniker dirigés par Arthur Nikkisch dans la Symphonie n°5 de Beethoven. Il serait par ailleurs injuste de passer sous silence les intégrales de Carmen et Faust gravées à Berlin dès 1908 par la Grammophon allemande sous la direction du vétéran Bruno Seidler-Winkler, avec l'illustrissime diva tchèque Emmy Destinn dans les rôles féminins principaux : tous les chanteurs y officiaient… en allemand!

Mais revenons à Pathé. Bien que l'impact commercial de cette vaste entreprise intitulée « Le Théâtre chez soi » fut donc négligeable, il fut décidé d'y adjoindre deux autres œuvres lyriques intégrales au début des années 20. Au total, le label acoustique Pathé nous a donc légué les ouvrages suivants : Carmen (Bizet), enregistré en 1911 ; Faust () en 1911/12 ; Galathée (Massé), La Favorite (Donizetti), Rigoletto, Le Trouvère, La Traviata (Verdi), en 1912 ; Les Frères Danilo (Nouguès) en 1912/13 ; Roméo et Juliette (Gounod) en 1913 ; Les Noces de Jeannette (Massé) en 1922, et finalement Manon (Massenet) en 1923. Étaient mises à contribution toutes les gloires de l'Opéra-Comique et l'Opéra de Paris de l'époque, bien que de nos jours la plupart de ces noms ne nous disent plus grand-chose. Tout au moins résonnent encore à nos oreilles les noms du ténor français Léon Beyle (1871-1922) et surtout le baryton tournaisien Jean Noté (1859-1922) dont la popularité fut immense en Belgique.

Inutile aussi d'insister sur la rareté de l'ensemble de ces 56 faces constituant ce Faust de 1911/12 : cet enregistrement nous est restitué dans les meilleures conditions possibles par ce merveilleux artiste – ingénieur du son qu'est Ward Marston, sur le label qui porte son nom et qui lui fait vraiment honneur. Ses productions sont toujours une véritable bénédiction, non seulement pour tous les amateurs d'enregistrements historiques, mais également pour les vrais amateurs du chant le plus pur. Grâce à lui, nous avons ici le plaisir de redécouvrir des interprètes représentatifs du style de chant de l'Opéra de Paris, typique d'une époque hélas bien révolue, mais très proche par le temps et l'esprit de celle du compositeur. Tous ces interprètes possèdent cette diction parfaite, cette élégance, cet esprit, ce raffinement, cette subtilité du phrasé et ce naturel d'autant plus incroyables si l'on songe aux difficultés extrêmes des séances d'enregistrement, subdivisant tout l'opéra en tranches de 3 à 4 minutes… Ceci est la preuve d'un art souverain parfaitement maîtrisé. Les rôles dits « secondaires » sont fort bien tenus, témoignage de l'exceptionnelle homogénéité des chanteurs français de l'époque. Et tout cela n'aurait pas vu le jour s'il n'y avait eu la direction chaleureuse, précise et attentive de François Rühlmann (1868-1948), grand chef d'orchestre belge de l'Opéra-Comique entre 1906 et 1913.

Comme si tout cela n'était pas suffisant – abondance de biens ne nuit pas! – Marston nous gratifie sur le 3ème CD d'un appendice de 43 minutes consacré à une sorte de « digest » de l'opéra dans des gravures s'échelonnant de 1903 à 1913, avec des noms aussi légendaires que ceux de Agustarello Affre, Henri Albers, Jean-François Delmas, Lise Landouzy, Léon Melchissédec, Lucien Muratore et Émile Scaramberg. Marston en a en outre profité pour combler cette curieuse omission d'Avant de quitter ces lieux de l'intégrale, alors que le Ballet s'y trouve de manière complète.

Amateurs de haute fidélité digitale, s'abstenir! Mais pour tous ceux que l'enregistrement acoustique ne rebute pas, quel bonheur! Enfin il est possible d'apprécier la continuité d'une interprétation passionnante – ce que les possesseurs des 78 tours/min d'origine ne pouvaient évidemment pas envisager – grâce à la magie des transferts de Ward Marston qui a tiré le maximum de substance de ces gravures vénérables : les transferts de gravures acoustiques verticales Pathé sont particulièrement délicats et s'adressent aux connaisseurs qui sont conscients de la difficulté d'obtenir un maximum de musique pour un minimum de bruit de surface, aussi elles ne concernent pas les audiophiles qui ne jurent que par le « DDD » et se privent par la même occasion d'un plaisir rare… Ce plaisir est d'autant plus intense que Ward Marston a réalisé des merveilles techniques à partir de ces vieilles ciresvénérables : raccords de face inaudibles, dans la continuité rythmique et mélodique, et intonation correcte maintenue tout au long du transfert de ce document exceptionnel. Les textes de la plaquette sont extrêmement fouillés et informatifs, et la présentation d'un goût impeccable est un vrai régal pour les yeux.

Pour les mélomanes intéressés, signalons que la première intégrale « électrique » de Faust gravée par La Voix de son Maître en 1930 sous la baguette inspirée d'Henri Büsser (1872-1973), élève, disciple et ami de Gounod, et mettant en vedette le Faust à la vaillance inépuisable du ténor corse César Vezzani (1888-1951) et le Méphisto inégalé de Marcel Journet (1867-1933), a connu un transfert de qualité sonore exceptionnelle chez Andante. Cette version, qui reste une référence incontournable, démontre cruellement qu'en ces jours où il est pratiquement impossible de trouver une distribution complète de chanteurs d'expression française pour l'enregistrement d'opéras tels que Faust, Carmen ou Werther, on ne peut que se demander ce qu'est devenue l'école française de chant, et envier l'époque d'entre deux guerres, véritable creuset où la fine fleur des chanteurs réunissait Charles Friant, José Luccioni, René Maison, Gaston Micheletti, , René Verdière, César Vezzani, ainsi que les « francisés » Rogatchewsky et Villabella, pour ne citer que les ténors…

Précisons enfin que huit des onze opéras Pathé « Le Théâtre chez soi » sont déjà transférés sur CD par Ward Marston : sept sur son propre label Marston Records, et Roméo et Juliette sur le label VAI Audio.

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Charles Gounod (1818-1893) : Faust. Léon Beyle, Faust ; Jeanne Campredon, Marguerite ; André Gresse, Méphistophélès ; Jean Noté, Valentin ; Marguerite d’Elty, Siébel ; Jeanne Goulancourt, Marthe ; Pierre Dupré, Wagner. Chœurs et Orchestre du Théâtre de l’Opéra-Comique, Paris, direction : François Rühlmann. 3 CD Marston Réf. : 53007-2. Enregistré à Paris en 1911/12. Notice unilingue (anglais) excellente avec de multiples photos et biographies des interprètes, mais sans livret. Durée : 72’44’’, 65’57’’, 78’56’’.

 
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