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Amitié entre Haydn et Mozart : « Je dois vous le dire devant Dieu »

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Entre le surmenage, les hypothèses d’empoisonnement, le dédain après la gloire et jusqu’à un enterrement sans office religieux ni caveau personnel, la fin de la vie de Mozart a laissé place à toutes les hypothèses les plus folles du génie abandonné. Mais l’oubli, si tant est qu’il y en ait eu un, a été de courte durée. Pour accéder au dossier complet : Hommage à Mozart

 
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« Je dois vous le dire devant Dieu, et comme un honnête homme, votre fils est le plus grand compositeur que je connaisse, en personne et de nom ». C'est par ces mots, adressés à Mozart (Père), que Joseph Haydn accueillit la série des six quatuors pour deux violons, violoncelle et alto « dédiés à Haydn » et achevés en 1785 par .

Si Haydn reconnut d'emblée en Mozart le compositeur de génie, ce dernier ne cacha jamais non plus son admirative affection pour celui qui devint son ami après avoir été un Maître, un guide vers l'excellence, à la renommée établie et au génie reconnu de tous. « Lui seul a le secret de me faire sourire, de me toucher au plus profond de mon âme … » Cette confidence de Mozart montre combien les deux hommes s'apprécient mutuellement, et aussi que cette situation ne supporte pas de faux semblants ni de compromission, même si l'on pourrait être tenté de les opposer en concurrents, dans cette Vienne si friande tant de nouveautés musicales que des potins qui alimentent les conversations musicales de l'époque.

Les deux hommes entrent dans la franc-maçonnerie en cette même année 1785, et c'est d'ailleurs le lendemain de leur initiation qu'ils jouent ensemble, comme ils avaient dorénavant l'habitude de le faire lors de leurs soirées musicales, ces six quatuors dédiés à Haydn. Dans ces soirées musicales, Dittersdorff tient le premier violon, Joseph Haydn le second violon, Vanhal le violoncelle et Mozart l'alto. La loge maçonnique, où Mozart progressa très vite et puisa un élan spirituel nouveau en se forgeant un idéal de fraternité et de charité, semble avoir encore plus soudé les liens entre les deux hommes, à tel point que ceux-ci supportent très mal la séparation survenue lors du départ pour Londres de Haydn. Le vieux compositeur triomphe dans la capitale anglaise, mais ne peut retenir ses larmes lorsqu'il apprend la mort de son jeune ami le 5 décembre 1791 : ce même ami qui avait tenté de le dissuader de quitter Vienne et de rester auprès de lui, un an plus tôt.

Tant d'éléments semblent pourtant séparer les deux hommes, et l'on pourrait être surpris de cette belle amitié si l'on ne s'arrêtait qu'à ces différences. Ainsi, la différence d'âge entre les deux hommes est importante : 24 années les séparent. L'un, Mozart, a beaucoup voyagé, suivant les ordres de son père ou les obligations matérielles, mais sachant retirer de ces périples les ingrédients nécessaires à la fortification de son art. L'autre, Haydn, n'a quitté que très tard Vienne pour s'installer à Londres. Haydn vit une union très désagréable avec Maria Anna, sœur aînée de celle qu'il avait précédemment choisie, Thérèse Keller, laquelle préféra, malheureusement pour le compositeur, le couvent au mariage. Avec Constance Weber, c'est au contraire un mariage d'amour qui est réservé à Mozart. Ce dernier, qui connaît très vite le succès à l'opéra, paya très cher son insoumission envers ses employeurs les plus exigeants. Il ne put plus compter que sur lui-même pour vivre, et faire vivre sa famille. Très jeune, Haydn connut vite le succès, et ne tarda pas à trouver une place stable pour continuer sa carrière en tant que musicien attitré des Princes Esterhazy, et pour devenir pratiquement un membre de la famille. Il obtint ainsi le poste de Maître de Chapelle à vie sous les ordre de Nicolas II. Haydn jouit du confort matériel qui fait cruellement défaut au jeune Mozart. Terminons cette série de différences entre les deux hommes en évoquant la triste destinée du plus jeune, Mozart, auquel il n'eut pas été permis de jouir durablement du succès. Son Requiem fut sa dernière œuvre, mais il n'y aura pas de Messe à son enterrement. La mort l'emporte comme un triste inconnu, oublié de tous, jeté dans la fosse commune, il n'a pas 36 ans. Ses opéras n'étaient plus appréciés, les Viennois les trouvant trop compliqués et ayant définitivement choisi d'applaudir les créations italiennes. Haydn, pendant ce temps, triomphe à Londres et demeura un génie reconnu lorsqu'il revint à Vienne. Il put s'éteindre dans la sérénité à l'âge avancé de 77 ans. Les troupes de Napoléon sont alors entrées dans la capitale autrichienne ; mais l'empereur français fait placer une garde d'honneur à sa porte et est présent à l'enterrement du grand Haydn, où l'on joue, comme en un ultime hommage à l'amitié des deux génies, le Requiem de Mozart.

Pour en revenir à l'aspect musical, Haydn qui a, dira-t-on, la chance de vivre dans l'isolement musical lorsqu'il est au service des Esterhazy, se livre à de multiples expériences dans le domaine symphonique. Il compose, par exemple, des séries de symphonies sous la forme de trilogies, notamment les symphonies n° 6, 7 et 8 auxquelles il donne des noms français, Le Matin, Le Midi, Le Soir. Il renforce la présence de certains instruments comme le cor auquel il confie des passages extrêmement difficiles dans sa Symphonie n° 31. Il connaît son apogée avec sa période anglaise où il compose douze symphonies, les « Londoniennes » parmi lesquelles on pourra citer La surprise (n° 94) qu'il compose l'année de la mort de Mozart. Ce dernier ne fit pas preuve d'autant de créativité que son aîné sur le plan de la forme, mais permit à ce genre de prendre une autre dimension, plus personnelle dans l'expression des matériaux thématiques, et qui trouva en Beethoven un continuateur inspiré. La Symphonie n° 40 est certainement un des plus beaux exemples de cette nouvelle forme d'expression.

Dans un tout autre genre, celui de l'opéra, Haydn ne se montre pas à la hauteur de son jeune ami. Dans les opéras de Haydn, l'esprit dramatique fait souvent défaut et la musique n'accompagne pas vraiment le texte. Haydn ne parvient pas à se défaire des conventions, et l'on peut dire que celles-ci ne l'aident vraiment pas à renouveler son expression. Mozart, quant à lui, élabore une conception toute personnelle du théâtre musical, tout en cherchant à mettre en valeur la psychologie des personnages. Mais les véritables grands chefs-d'œuvre arrivent avec la période de pleine maturité : Les Noces de Figaro sont son premier véritable succès et le propulsent, à Vienne, au rang de meilleur compositeur d'opéra du moment. Avec La Flûte enchantée et la Clémence de Titus, le compositeur atteint la perfection ultime.

En prenant bien garde de ne pas sombrer dans les clichés métaphysiques ou psychanalytiques, nous pourrions tenter d'expliquer cette belle amitié par la complémentarité qui existe entre les deux hommes – complémentarité dans les destins mutuels qui les unissent plutôt que de les séparer, alors qu'ils auraient très bien pu choisir de s'ignorer, voire de se détester. Lorsqu'il triomphe à l'opéra avec Les Noces de Figaro, l'enfant prodige ne subit-il pas la jalousie de Salieri ? Et l'on a suggéré que ce dernier aurait été à l'œuvre pour précipiter la chute de Mozart. Mais entre Haydn et Mozart, il est question de reconnaissance mutuelle de leurs génies respectifs. Pour Mozart, Haydn fut un des plus grands contrapuntistes, et resta à tout jamais un Maître qu'il étudia tout au long de sa vie. Pour Haydn, Mozart est le symbole du renouveau de l'opéra germanique. Chacun apporte à la musique là où l'autre échoue par une moindre inspiration créatrice. Ce n'est pas par hasard que ces génies ont été, dès la génération suivante, les inspirateurs de Beethoven, qui eut eu la chance d'avoir Haydn pour professeur, et de Schubert.

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