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Dijon. Auditorium. 13-0I-2006. Dmitri Chostakovitch (1906-1975) : Quatuor n° 12 en ré bémol majeur op. 133 ; Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Concerto pour piano n° 14 en mi bémol majeur KV 449, version de chambre ; Antonin Dvorák (1841-1904) : Quintette pour piano et cordes en la majeur op. 81. Frank Braley, piano ; Quatuor Manfred : Marie Béreau, violon 1 ; Luigi Vecchioni, violon 2 ; Vinciane Béranger, alto ; Christian Wolf, violoncelle.
Quatuor Manfred et Frank Braley
L'idée d'une croisée de chemins, c'est le thème que les Manfred ont choisi pour cette nouvelle saison de « Quatre archets pour Dijon ». Et si « destins croisés » il y a, ce sont bien d'abord ceux du quatuor qui fêtera, en juin prochain, les vingt ans d'existence de la formation. C'est aussi, dans la programmation, l'intention manifeste de réunir au carrefour des concerts de la saison, des musiciens tels que, ce soir, Mozart et Chostakovitch, dont l'année 2006 marque le deux-cent cinquantenaire de la naissance pour le premier, le centenaire, pour le second, estompant comme en un fondu-enchaîné le tout récent centenaire Dvorák, à propos duquel le temps suspend son vol…. Les destins croisés, ce sont enfin ces rencontres, ô combien gratifiantes, du quatuor avec des artistes invités, toujours éminemment talentueux, tels que (entre autres et pour ne parler que des pianistes) Philippe Cassard, Claire Désert, Jean-Claude Pennetier ou, comme ce soir, Frank Braley, à qui le public mélomane dijonnais voue une affectueuse et, semble-t-il, indéfectible admiration.
Le programme de la soirée, Marie Béreau, premier violon des Manfred, le commente en termes de contrastes : « partis de la détresse solitaire et intense de Chostakovitch, nous nous égarons un moment dans la légèreté viennoise avec Mozart, pour finir en compagnie de Dvorák, si spontané dans ses élans lyriques… »
De fait, ce Quatuor n° 12 de Chostakovitch, qui lorgne vers le dodécaphonisme sans en adopter la rigueur formelle (la tonalité de ré bémol s'affirmant à plusieurs reprises), ce quatuor donc, oppose au relativement bref premier mouvement Moderato, sombre et mystérieux, un très long Allegretto tourmenté, déchiré, que les Manfred saisissent à bras-le-corps, nous en donnant une version tendue à l'extrême, âpre et mordante, hors l'épisode central à la respiration plus ample. En dépit de la dédicace de l'opus au premier violon du quatuor Beethoven (Dmitri Tsyganov), force est de reconnaître ici la prééminence du violoncelle tout au long de la pièce. Une partie de violoncelle dont Christian Wolf s'acquitte avec une remarquable maestria. Ce qui, en aucune façon, ne saurait sous-entendre une prestation de ses partenaires moins digne d'éloges. Les « Quatre Archets pour Dijon » semblent avoir atteint aujourd'hui, et en toutes circonstances à travers le large éclectisme répertoriel où ils sont engagés, un équilibre, une couleur, une « épaisseur » qui en font des interprètes de première grandeur, et qui leur vaut une reconnaissance bien méritée.
Un concerto pour piano et orchestre réduit aux dimensions d'un quintette avec piano, cela peut surprendre, voire dérouter de prime abord et justifier du même coup l'impression d'» égarement » suggérée par Marie Béreau. Mais à n'en pas douter, cela nous installe bien dans cette « légèreté viennoise » précédemment évoquée ; d'autant que Frank Braley, partenaire exemplaire, sait parfaitement adapter son jeu aux exigences chambristes. Point ne s'agit ici de mettre en évidence les qualités d'un soliste dialoguant avec l'orchestre comme dans la perspective concertante, mais simplement d'apporter un concours, certes d'un certain relief, à des partenaires soucieux de leur côté, de conférer à leur partie une épaisseur orchestrale tout en permettant au piano une expression valorisante.
Dans cette optique, l'objectif est atteint ; chacun apportant sa loyale contribution, l'équilibre est réalisé – et parfait – dans la dynamique comme dans le style : finesse (le jeu aérien de Braley!), légèreté, transparence sont au rendez-vous. Un Mozart en dentelles…. En somme, une version épurée, davantage adaptée au salon (mais c'était bien là la destination de telles versions) qu'à la grande salle de concert.
Si Mozart jamais ne donna dans le quintette pour piano et cordes à proprement parler, Chostakovitch nous en laissa un (op. 57) et Dvorák, deux, dont le plus célèbre (cf. la Dumka du second mouvement), l'op. 81, justement au programme. C'est dans cette œuvre riche, à la thématique et aux rythmes plaisamment variés que les interprètes réunis pour un soir donnent la pleine mesure de leur talent. Dans la mélancolie slave comme dans les épisodes dansants ou empreints d'un lyrisme quasi brahmsien, ils emportent l'adhésion : précision et grande variété de toucher de la part du pianiste, générosité engagée des cordes, servant fidèlement l'esprit de cette musique, aussi bien dans la tendresse mélodique que dans l'impétuosité rythmique jusqu'à l'euphorisante coda.
Cerise sur le gâteau : sous la pression d'un public enthousiaste et insistant dans le satisfecit, les Manfred et Frank Braley offrent en bis, et magnifiquement, le superbe scherzo de l'op. 34 de Brahms (le mentor…! Autre « destin croisé »). De quoi ouvrir des horizons, quant à d'éventuels prochains et communs concerts ou…enregistrements?
Crédit photographique : DR.
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Dijon. Auditorium. 13-0I-2006. Dmitri Chostakovitch (1906-1975) : Quatuor n° 12 en ré bémol majeur op. 133 ; Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Concerto pour piano n° 14 en mi bémol majeur KV 449, version de chambre ; Antonin Dvorák (1841-1904) : Quintette pour piano et cordes en la majeur op. 81. Frank Braley, piano ; Quatuor Manfred : Marie Béreau, violon 1 ; Luigi Vecchioni, violon 2 ; Vinciane Béranger, alto ; Christian Wolf, violoncelle.