Des compositeurs français à la baguette

À moins que ce ne soit un cliché, on sait les Anglais conservateurs. Peut-être est-ce la raison pour laquelle le très aventureux label britannique Dutton Laboratories nous offre enfin ce que les éditeurs français nous proposent peu de nos jours : un splendide programme de musique française actuellement guère jouée (hélas!) dans nos salles de concert, et cependant défendue ici superbement par leurs compositeurs respectifs. « French composers conduct » est centré principalement sur des enregistrements 78 tours/min positivement miraculeux de la Columbia française autour des années ‘30, et, surtout, restitués à la perfection en CD par Michael Dutton.

Nous avons successivement sur ce superbe CD les cinq Impressions d'Italie très colorées de Gustave Charpentier (1860-1956), l'auteur de Louise ; la très méditative Procession Nocturne et l'exotique musique de ballet de l'opéra Mârouf d'Henri Rabaud (1873-1949), couplées très intelligemment avec deux œuvres aux effectifs plus réduits : Giration de Gabriel Pierné (1863-1937), curieux petit ballet de huit minutes sur une chorégraphie de Serge Lifar, évoquant un concours entre une ballerine et une toupie animée, écrit pour démontrer que le disque peut être mis au service de la danse et ainsi créé en 1934, au Théâtre des Champs-Élysées, avec une « assiette » musicale intégralement enregistrée – Serge Lifar avant Béjart! – et qui eut d'ailleurs un Grand Prix du Disque français (à des fins « phonogéniques », les instruments, choisis par le compositeur, se limitaient à onze : quintette à cordes, flûte, clarinette, basson, trompette, trombone et piano ; parmi les interprètes figurent notamment Louis Cahuzac à la clarinette et Jean Doyen au piano) ; enfin, le délicieux Bal de Béatrice d'Este de Reynaldo Hahn (1874[1875?]-1947), délicat chef-d'œuvre en sept parties évoquant avec poésie et raffinement les fastueux bals de cour du XVIe siècle italien, avec notamment une tranquille Romanesque (danse de Romagne) et une pantomime sur les amours de Léda et de Jupiter.

Les transferts des 78 tours/min originaux en CD par Michael Dutton sont d'une rare perfection, restituant dans toute leur splendeur ces enregistrements inestimables, magnifiés par cette réédition vraiment précieuse et absolument bienvenue : nous avons enfin à notre disposition les meilleurs reports de ces gravures vénérables. Nous espérons ardemment que Michael Dutton n'en restera d'ailleurs pas là, et qu'il nous proposera bientôt un second volume de ces « French composers conduct », avec notamment Cydalise et le Chèvre-pied et Ramuntcho de Pierné, Le Festin de l'Araignée de Roussel et La Tragédie de Salomé de Florent Schmitt, et, pourquoi pas, l'une ou l'autre œuvre de Philippe Gaubert, telle que Les Chants de la Mer ou Les Inscriptions pour les Portes de la Ville.