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Vincennes. Auditorium Cœur de Ville. 14-XII-2005. Jean-Louis Laruette (1731-1792) : Cendrillon, opéra-comique sur un livret de Louis Anseaume. Avec : Eugénie Warnier, Cendrillon ; Benjamin Alunni, le prince Azor ; Johanne Cassar, la marraine, la sœur cadette ; Jean Selesko, récitant, la sœur ainée. Anne-Violaine Caillaux, violon ; Benjamin Alunni, traverso ; Marie-Aude Guyon, alto ; Pauline Warnier, violoncelle baroque ; Hélène Clerc-Murgier, clavecin.
Extrême rareté, et grande excitation à l'auditorium Cœur de Ville de Vincennes, à l'idée d'entendre, pour la première fois, un opéra-comique de Louis Anseaume et Jean-Louis Laruette, Cendrillon, créé le 20 février 1759 au théâtre de la Foire Saint-Germain!
Car le curieux d'opéra français, s'il est un peu opiniâtre, parviendra à entendre ici ou là des opéras-comiques de la deuxième moitié du XVIIIe siècle, ceux de Grétry ou de Philidor, c'est à dire datant d'après la fusion avec le théâtre italien et l'installation à l'hôtel de Bourgogne, mais un opéra-comique créé dans un baraquement de foire, voilà qui est rarissime!
Rappelons brièvement comment fonctionnaient les choses. On peut dater la naissance du genre opéra-comique à la toute fin du XVIIe siècle, c'est à dire qu'à la création de cette Cendrillon, il est âgé d'à peine une soixantaine d'année! Genre nouveau, plein de sève, parfois truculent, parfois polémique, parfois satirique, mais toujours en mouvement. Imaginé au départ par les forains des foires Saint-Germain et Saint-Laurent, pour attirer le badaud, il prit appui sur la fermeture du théâtre italien ordonnée par Louis XIV en 1697, sous l'influence des comédiens-français. Les forains possédaient à ce moment l'expérience des jongleurs, montreurs d'animaux, danseurs de corde et bateleurs, et décidèrent de s'approprier ce répertoire libre de tout droit. Comme le théâtre italien, les spectacles alternent le parlé et le chanté. Le succès porte ombrage à la Comédie-Française, qui contre-attaque et porte plainte. De cette rivalité naît une forme mouvante au gré des procès et des arrêtés d'interdiction : la prohibition des dialogues amène le monologue, celle de la parole la pantomime et le chant, celle du chant l'incitation à faire chanter l'assistance, à qui on fournissait préalablement les paroles. Il fallait bien entendu que le public connaisse la musique utilisée et qu'elle soit facile à chanter, on utilisa donc, en modifiant les paroles, des airs traditionnels et populaires, de ces chansons légères qui courent par la ville et dont tous les couplets se chantent sur une seule mélodie : des voix-de-ville (vaudeville), ou encore de parodies d'airs célèbres repris d'opéras à succès de l'Académie Royale de Musique. Par référence au texte original connu des spectateurs, c'est le domaine de l'allusion politique et sociale, du jeu de mot, du double sens.
Le librettiste a un travail de création originale bien plus important que celui du musicien, qui se contente d'insérer ses airs au milieu des musiques des autres, c'est pourquoi le nom d'Anseaume est cité avant celui de Laruette, au demeurant plus connu pour sa voix de ténor léger que pour ses compositions.
Non seulement beaucoup des partitions étaient sous forme de manuscrits destinés au seul usage des chanteurs, et ont de ce fait pratiquement disparu, mais, écueil supplémentaire à leur reconstitution, les airs à la mode de l'époque, oubliés de nos jours, ne sont indiqués que par leurs titres, et non par leur musique. Que se cache, par exemple, derrière Jupin dès le matin?
Il existe de fait des différences entre les choix de l'ensemble Les Monts du Reuil et le livret disponible sur internet, par exemple ce qui était chanté le soir du 14 décembre sur j'ai du bon tabac est indiqué dans le livret par l'air « si Diogène étoit réputé sage », et il est fort difficile de se repérer dans ce qui a été retrouvé, reconstitué ou inventé. La partition a d'ailleurs été complétée par deux auteurs contemporains, Emmanuel Clerc et Denis Chevalier, l'un se fondant parfaitement dans le style, l'autre privilégiant une expression plus actuelle, et la compagnie révèle avoir rajouté au tout des compositions orchestrales de Rameau, dont les célèbres Tambourins.
A quoi ressemble donc un opéra-comique de l'époque de la foire? La question était brûlante…et il n'y a été que partiellement répondu. Il est déroutant à l'oreille contemporaine d'entendre un mélange, parfois sur quelques mesures, d'airs populaires comme sur le pont d'Avignon, et d'autres plus élaborés de Duni, Laruette, ou même Rameau, qui ne dédaigna pas de se produire sur les foires au tout début de sa carrière, et on attend avec impatience d'avoir une vue d'ensemble. Hélas, il manque à la représentation toute la dimension des parties parlées, indispensables dans l'opéra-comique, impitoyablement coupées. Passent ainsi à la trappe toute une grande scène avec les méchantes sœurs de Cendrillon, et celle de l'essayage de la chaussure.
Peut-on blâmer Les Monts du Reuil de ces manques? Certainement pas. Voici une troupe jeune et motivée dont les moyens financiers sont tellement limités que la mise en espace se déroule autour d'un canapé et d'un plumeau, qui ont visiblement pioché dans leur propre garde-robe pour les costumes, et qui trouvent le courage et la passion d'exhumer une œuvre pas franchement susceptible de faire courir les foules! Il n'empêche que la physionomie complète d'un opéra-comique de la première période n'est toujours pas discernable, et que c'est bien frustrant.
On est estomaqué de prime abord par le niveau d'excellence des instrumentiste, un violon (Anne-Violaine Caillaux), un alto (Marie-Aude Guyon), un violoncelle baroque (Pauline Warnier), un clavecin (Hélène Clerc-Murgier), un traverso (Benjamin Alunni, également chanteur), on s'aperçoit au vu de leur biographie qu'ils font tous partie, peu ou prou, de l'ensemble Mattheus. On est impressionné par le style parfait des voix, encore un peu vertes, de Benjamin Alunni (le prince) et Eugénie Warnier (Cendrillon, de gros efforts de dictions à accomplir, encore), on se rend compte qu'ils ont été solistes à l'Académie d'Ambronay. De la graine de star, dont nous entendrons reparler sans nul doute. Pour compléter l'ensemble, la bonne fée encore un peu acide de Johanne Cassar et le courageux corniste et récitant Jean Selesko se métamorphosant, le temps d'une scène, en méchante sœur, et la chantant avec ses propres moyens.
Cendrillon de Laruette sera bientôt reprise par Les Monts du Reuil en version scénique. Espérons que d'ici-là ils trouveront les moyens nécessaires à une interprétation intégrale de la partition, c'est tout le mal qu'on leur souhaite.
Crédit photographique : © DR
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