Éditos

Encore plus de restrictions pour la copie privée

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La Sentence

Proposé en lecture seule mardi 20 décembre à l’Assemblée Nationale (une procédure d’urgence qui permet d’éviter qu’une loi aille ensuite être votée au Sénat puis adoptée en retour par l’Assemblée) ce nouveau texte de loi sur la copie privée est encore plus fort et restrictif que les précédents, et met une fois encore les libertés individuelles en péril.

La procédure d’adoption par le législateur est aussi expéditive : en une seule lecture peu d’amendements sont possibles. Si le gouvernement agit dans l’urgence, c’est que ce texte avait été élaboré il y a deux ans, validé par la Commissions des Lois en mai dernier et correspond à une directive européenne datée du 21 mai 2001. La Cour européenne de justice a déjà condamné la France pour son retard.

En substance le texte prévoit une meilleure protection des droits d’auteur et droits voisins (interprètes, éditeurs) des enregistrements et publications utilisant un support numérique par le biais d’un « marquage » obligatoire. Une disposition qui a fait monter aux créneaux artistes, interprètes, universitaires, journalistes, syndicats, sociétés de répartition de droits et associations de consommateurs.

D’abord ce « marquage » sera l’objet bien sûr l’affaire des entreprises d’informatique et des éditeurs. Un programme antigravure et surtout antilecture sur ordinateur pourra être apposé sur n’importe quel CD. Pour le contourner le consommateur pourra donc aisément, moyennant finance, télécharger le logiciel adéquat. Si l’idée en elle-même est défendable, son application va connaître des dérives totalement prévisibles : l’alliance d’un grand producteur/éditeur/distributeur à un mastodonte de l’informatique. Toute concurrence est ainsi muselée, et le logiciel de déblocage peut être négocié au prix fort. Quant aux majors concernées, elle ne se gêneront sans doute pas pour faire subir au consommateur le coût supplémentaire causé par l’ajout de cette protection… Aucune version de ce logiciel en « logiciel libre » ou « partagiciel » (une licence à très bas prix, considérée comme une contribution et non un dû, un peu dans l’esprit de Linux) ne pourra donc être possible.

Les CDs seront ainsi marqués et pistés. De même pour leurs utilisateurs. Le CD débloqué peut ainsi librement être gravé ou partagé via les fameux « peer to peer ». Mais il est aisé de suivre ainsi ses pérégrinations numériques d’un ordinateur à l’autre. Les mouchards sont donc ainsi légalisés, adieu à la protection de la vie privée.

L’affaire se corse quand sont concernées les publications directement mises à disposition sur Internet, telles les thèses universitaires ou les articles de journaux – soumis eux aussi à ce fameux « mouchard ». Leurs auteurs ont non seulement peur d’être pistés, mais en plus craignent d’être dépossédés de tout droit moral sur leurs écrits.

Les partis de gauche dénoncent cette « loi liberticide » et entendent lutter contre par tous les moyens. A l’UMP les avis sont partagés, certains députés préférant une « licence légale de téléchargement ». Mais chacun sait que l’impôt égalitaire dont le but est la répartition des richesses n’est pas le point fort du gouvernement actuel.

Au ministère de la Culture le ton est résolument positif : « C’est un texte de respect, de liberté, de responsabilité et j’espère qu’il apparaîtra comme une sorte de troisième voie tournant le dos à une forme de dérégulation absolue et à ce qui était un mécanisme de répression comme seul élément de régulation du secteur » a déclaré à l’AFP ce lundi Renaud Donnadieu de Vabres.

Tout contrevenant sera condamné à (au maximum) 3 ans d’emprisonnement et 300 000 euros d’amende. Plus haut, plus fort, plus loin…

Dernières nouvelles de l’Assemblée Nationale

Ce projet de loi issu du gouvernement n’a visiblement même pas séduit les députés de la majorité. Alors que le système de la procédure d’urgence a été optée, les élus de la Nation semblent avec un malin plaisir vouloir absolument retarder le plus possible l’adoption de ce texte. Mercredi 20 décembre deux amendements similaires, venant de l’UMP et du PS, ont mis à mal le « bébé » de Renaud Donnadieu de Vabres. A la protection informatisée des données numériques ils proposent… la fameuse « licence légale de téléchargement ».

Cette « licence légale » n’est pas une nouveauté, on en parle depuis que le téléchargement existe. Curieusement les majors du disque et du cinéma ainsi que quelques artistes médiatiques sont farouchement contre. Leurs arguments restent faibles : pour ne pas dire qu’ils s’opposent à la répartition des droits (puisqu’ils y perdraient) certains vont jusqu’à des comparaisons osées et décalées : ainsi le cinéaste Pierre Jolivet, au micro de France-Inter ce mercredi, a décrété qu’au lieu de « donner le droit à la culture pour tous, il faudrait donner le droit à la nourriture pour tous », arguant que ce principe égalitaire ne devait être obligatoire que pour des raisons humanistes. Faut il en rire ou en pleurer ? Nul ne le sait, mais la pauvreté a toujours bon dos pour masquer des intérêts personnels… Ils sont ainsi une trentaine à avoir signé un « manifeste contre la licence légale » (dont Johnny Halliday, Vincent Delerm, Corneille, …). La SPEDIDAM (une des sociétés de répartition des droits des interprètes) a elle recueilli 13 500 signatures en faveur de « licence légale »

Renaud Donnadieu de Vabres a eu beau défendre son texte, son propre camps n’y est pas favorable. Ainsi Christine Boutin (députée des Yvelines, tendance droite musclée conservatrice) a appelé ses collègues et le ministre à faire venir Johnny Halliday (artiste proche de l’UMP, enfin de Raffarin surtout) expliquer aux parlementaires le bien-fondé de ce texte de loi et pourquoi il ne faut pas de « licence légale de téléchargement ». Devant le tollé, le Ministre de la culture a décidé de réserver l’examen des quelques 200 amendements déposés pour la fin du débat. Une procédure qui lui permettra de gagner du temps pour convaincre les (trop) nombreux députés UMP opposés. L’ensemble des élus de gauche et le groupe UDF se sont élevés contre cette position : autant que l’ensemble des débats soient reportés après la trêve des fêtes de fin d’année. Mais l’action du ministre ne s’arrête pas là : en sus des amendes records, il propose la création d’une Autorité de médiation et de protection de la propriété littéraire et artistique. Cette « nouvelle police d’Internet » a suscité la désapprobation de l’opposition, UDF comprise.

Jeudi soir à la fermeture de la séance seuls 6 articles sur 29 ont été validés… et il reste encore 200 amendements

Droits d’auteurs et Internet, débats sans fin à l’Assemblée

L’Assemblée Nationale a clôt l’année civile 2005 dans une certaine confusion. Rendez-vous le 17 janvier pour la suite des évènements sur les droits d’auteur. Ce jeudi 22 décembre les députés avaient avancé d’un article supplémentaire… Heureusement que le gouvernement avait prévu la « procédure d’urgence » pour ce texte de loi, au lieu de la triple lecture habituelle, pour accélérer le processus et le valider avant les fêtes…

Un seul article lu (et non adopté), et une ambiance explosive et hilarante sur les bancs des parlementaires : Thierry Mariani (UMP, occasionnellement Président des Chorégies d’Orange) et Françoise de Panafieu (UMP en son temps pressentie pour être Ministre de la Culture sous le gouvernement Juppé I en 1995) absents mardi 20 décembre, ont pris la parole pour désavouer leurs collègues ayant adopté l’amendement sur la « licence légale ». Réponse illico de Jean-Pierre Brard (apparenté PCF) : « les troupes fraîches de l’UMP sont arrivées [pour] contrer ceux qui avaient fraternisé avec l’ennemi ». Christian Vanneste (UMP, et mis en examen à l’heure actuelle pour propos homophobes) s’est mis l’hémicycle à dos avec un amendement sur les conditions techniques des mesures de protection des œuvres numériques. Devant la longueur des discussions Christine Boutin (UMP) s’est exclamée qu’elle allait rater la messe de minuit, François Bayrou (UDF) a expliqué sa parenté pendant ce temps avec Richard Cazenave (UMP) pour terminer par une comparaison entre leurs souches « plébéiennes » – d’ou leurs présences sur les bancs des élus du peuple- et celle, aristocratique, du Ministre de la Culture. Ambiance…

Au bout du compte, l’article 7, celui qui prévoit la protection des données numériques enregistrées, n’est toujours pas validé. Christian Paul (PS) a décidé d’offrir en cadeau de Noël à Renaud Donnadieu de Vabres le livre de Lawrence Lessing l’Avenir des idées qui dénonce la position de monopole de Microsoft.

A l’extérieur la pantalonnade continue : quelques dizaines d’artistes se sont regroupés dans un café proche du Palais-Bourbon pour protester contre la « licence légale de téléchargement ». On a vu manifestations plus bruyantes du milieu du spectacle lors des renégociations du statut d’intermittent en été 2003. Laurence Parisot, patronne des patrons, de son coté s’est déclarée opposée au principe de cette « licence légale » et se dit « proche des artistes ». Une traduction s’impose : proche des majors du disque et des artistes qui font les meilleures ventes. N’oublions pas que depuis mai 2002 c’est tous les jours Noël pour le MEDEF.

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