Plus de détails
Lyon, Conservatoire National Supérieur Musique et Danse de Lyon (CNMSD). 10-XI-2005. 17 sets en impro, de 20 minutes chacun, dans différents lieux du CNMSD, de 18 heures au bal musette final et soupe à l’oignon.
L'introduction parfaite d'Henry Fourès, directeur du Conservatoire, rappelle que l'improvisation est historiquement la première pratique musicale, et que l'improvisation se nourrit de l'écrit, comme l'écrit se nourrit de l'improvisation. Il faut une grande connaissance de l'écrit pour produire une grande impro… Et on évoque de plus en plus une « écriture » jazzistique…
1 – Jacques Di Donato, clarinette ; Henry Fourès, piano ; Eric Echampart, batterie ; Dominique Genevois, danse.
Il est naturel que le Professeur d'improvisation au Conservatoire ouvre la soirée. En compagnie de son directeur, d'un ancien élève qui fait carrière, et d'une Professeure de Danse de la maison. L'amateur de jazz pensera immédiatement au Steve Coleman and Five Elements, dont l'un des « éléments » était une danseuse. Comparaison n'est pas raison, entre un groupe au travail sur sa forme depuis des années, et cet ensemble d'une soirée. N'empêche qu'il est très frappant de constater que jamais notre trio de circonstance ne regarde la danseuse. Comme tous les improvisateurs, les compères communiquent parfois du regard, mais hélas excluent les propositions d'une très belle Dominique Genevois. Pourtant subtile, maline, pertinente, autant que ses compagnons, qui gardent le plus souvent les yeux fermés. Trio + danseuse, et non « Four Elements ». Tant pis pour eux : le public a su entendre ET voir, pour s'emplir les yeux et les oreilles de bonheur.
2 – Philippe Bord, jonglage ; Julien Desgranges, clarinettes.
Flash mémoire là aussi : Jean-Paul Autin, saxophoniste membre de l'ARFI, et Jérôme Thomas, jongleur-danseur (et Carlo Rizzo, percu), avaient inventé un extraordinaire échange de balles et de sons. Belle prolongation du potentiel visuel et rythmique de ce concept, humour d'excellent aloi, sens de la scène évident. La nuit s'annonce merveilleuse, pendant le cour trajet vers la salle Darasse, à la fois bijou et écrin de l'orgue du Conservatoire.
3 – Hampus Lindwall, orgue.
Ici, l'orgue n'est pas d'ordre acousmatique : on voit la belle machine, et son servant. Hampus Lindwall ajoute à cet inédit l'audace d'un orgue… muet ! Pas tout à fait muet puisqu'on entend les sons percussifs du clavier, et seulement eux, dans une introduction étonnante. On a maintenant l'habitude d'entendre les improvisateurs détourner l'usage de leur instrument, mais on ne savait pas forcément la chose possible à l'orgue. « Bien joué » !
4 – Les Emeudroïdes : Nicolas Nageotte et Joris Ruhl, clarinettes ; Clément Canonne, piano ; Romeo Monteiro, percussions.
Ceux-là, on les reverra ! Ensemble ou séparément, mais on veut des nouvelles dans les prochaines années. Ils savent où ils vont, ou tout au moins le cherchent avec une volonté convaincante. On veut les suivre dans cette quête, nous dans les salles, eux sur scènes !
5 – Gionata Sgambaro, flûte ; Claudio Bettinelli, percussions et machines.
L'étonnement est-il intrinsèque à l'improvisation ? Oui, puisqu'il n'y a pas de partition préalable. Non, parce qu'étonner ne peut-être le seul but de l'artiste. Cependant, une impression de déjà-entendu. Ou un moment un peu manqué ? C'est là la noble incertitude de l'exercice…
6 – collectif d'improvisation (piano, harpe, percussions, contrebasse, clarinette, et un lecteur).
L'improvisation libre transforme-t-elle n'importe quel instrument en percussion ? Un effet de bruitage derrière les mots de Pablo Neruda. Plutôt que théâtre musical, un collage peu ajusté, des débuts de quelque chose, trop vite avorté ?
7 – Isabelle Duthoit, voix.
Le plus transportable des instruments au pied du moins transportable de tous, puisque nous voilà de retour dans cette salle d'orgue. La technique vocale d'Isabelle Duthoit lui permet une puissance et une variété sonore digne de son immense voisin (pour l'heure au repos, dans la certitude de ses possibilités polyphoniques supérieures ; il ne prendra pas ombrage des prouesses de son invitée). Après la stupeur des oreilles, celle du cœur, et des yeux : cette musicienne est d'une beauté fascinante quand la musique lui sort ainsi du corps.
La beauté sur scène… Qu'est-ce que c'est ? On se rappelle celle de Dominique Genevoix… Et on découvre à posteriori celle des duettistes Bord/Desgranges, pour constater que sont beaux ceux qui soignent leur apparence. Et l'on se convainc que soigner l'image que l'on renvoie à celui qui écoute et bien sûr regarde, modifie peut-être la perception auditive, et peut-être bien aussi la production de la beauté musicale…
8 – Dominique Genevoix, danse.
Intermède au bar du Conservatoire. Tout le monde ne peut pas voir (il y a foule à cette heure-ci), mais tout le monde entend les rires du premier rang. C'est l'occasion de profiter d'une restauration « improvisée » par les étudiants.
9 – Brahmâ : Florent Pujuila, guitare et sax ténor ; Nicolas Nageotte, sax bar' ; Jacques Di Donato, batterie ; Alexandre Anerilles, basse électrique.
Tiens, Di Donato à la batterie ? Je ne le savais pas batteur. Et pour cause, c'est le principe fondateur de Brahmâ : « les musiciens ont fait le choix d'un instrument qu'ils pratiquent en autodidactes. Pour retrouver un vrai plaisir qui soit celui de la manipulation des textures, de la manigance instrumentale, le plaisir de s'introduire plus avant dans le son, comme par effraction. » Belle profession de foi, qui enchante le public à l'affût de l'imminente proposition incongrue de l'un, vite saisie au vol par les trois autres. Gros son, grosse énergie, visage fendu jusqu'aux oreilles d'un sourire de plaisir simple.
10 – Isabelle Duthoit, clarinette et voix ; Eric Echampart, batterie ; Taavi Terikmaé, piano, theremin et machines.
La « salle d'ensemble » est trop petite pour accueillir tout le public. Curieux point de vue du chroniqueur, assis par terre quasiment sous le piano. Vivre la musique de l'intérieur !
La nuit est longue, ce texte aussi. La première ne lasse pas, il faut pourtant abréger le second.
11 – Ya Boukan : Yves Jeanne, sax alto ; Yannick Herpin, batterie ; Christian Laborie, clarinette/traitement ; Benoît Rullier, platines/traitement.
Tension/détente, ressort ordinaire de l'impro. Ya Boukan créé des images par le son. Nous voilà par exemple sous la lune, près de l'étang?…
12 – Spat'Sonore : Philippe Bord, Nicolas Chedmail, Olivier Germain-Noureux, cuivres.
Un dispositif imaginatif, qui prolonge de plusieurs mètres de tuyaux souples les sorties de pistons de trompettes, tuba ou cor modifiés, et dirige l'air vers des pavillons ouverts ou fermés et de dimensions variables, dispersés autour du public.
13 – Trio de Bubar : Claudio Bettinelli, Romeo Monteiro, Maxime Echardour.
On aime les percus ! Drôles, jamais à court d'idées saugrenues et efficaces, gamins et magiciens, remarquables techniciens.
14 – Su-One Park, orgue.
Un splendide moment de douceur, magnifié encore par le lent balancement de l'organiste quand il va chercher du bout des pieds les « touches » sous son banc. Su-One Park enchaîne avec classe les contrastes sonores de son incroyable machine.
15 – Jacques Di Donato, clarinette ; Henry Fourès, piano ; Marie-Françoise Garcia, Corine Duval-Métral, Juliette Beauviche, danse.
A trois, les danseuses s'imposent en force comme partenaires du projet improvisateur. En frôlant presque dangereusement la clarinette, en prenant des appuis contre le piano au point de le déplacer ! Cette fois, les musiciens les regardent, et répondent aux gestes comme les gestes répondent aux traits musicaux.
16 – Espijachoc, ensemble de 8 musiciens.
N'est-ce-pas là l'avènement d'un « free-classique » ? Fatigue aidant, on songe comme une boutade au free-jazz, belle aventure qu'il a fallu un jour dépasser pour retrouver une structure nécessaire à de nouvelles avancées…
17 – Quartet : Jacques Di Donato, clarinette ; Isabelle Duthoit, voix et clarinette ; Agnès Moyencourt, électro ; Laurent Fléchier, clarinette.
Retour au bar, dans la promesse du bal musette et de la soupe à l'oignon. Pas d'impatience pourtant, tellement sont touchants et beaux ces grands gamins assis par terre, attentifs les uns aux autres, les yeux rivés sur leurs drôles de jouets…
Belle nuit, qui appelle rêverie, ou extra-lucidité? Peut-être cette improvisation que redécouvre dans ses extraordinaires dimensions l'univers « classique » deviendra la voie royale de l'expression musicale savante du XXIe siècle?
Plus de détails
Lyon, Conservatoire National Supérieur Musique et Danse de Lyon (CNMSD). 10-XI-2005. 17 sets en impro, de 20 minutes chacun, dans différents lieux du CNMSD, de 18 heures au bal musette final et soupe à l’oignon.