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Lorsque le 5 août 1911, à Rouen, Edmond Roger donna à son nouveau-né le prénom de Roger, il témoigna d'un humour qui se transmit de façon la plus évidente en la personnalité et la musique de son fils.
Musicien, Roger Roger le fut jusqu'au bout des ongles. Il faut dire qu'il avait de qui tenir : sa grand-mère Maria Leuters participe à la création de Tannhäuser à Monte Carlo, dans le personnage d'Elisabeth, tandis que sa mère est également cantatrice et son père chef d'orchestre très estimé à l'Opéra de Paris, après avoir été le condisciple de Claude Debussy sur les bancs du Conservatoire de la capitale.
Comme l'atteste une audition attentive de ses œuvres, Roger Roger reçoit une solide formation en harmonie et en contrepoint, et c'est tout naturellement qu'il est très rapidement engagé dans le Théâtre des Arts de sa ville natale. Toutefois, c'est à l'âge de dix-huit ans qu'il fait ses réels débuts de chef d'orchestre professionnel dans un music-hall où il découvre avec enthousiasme la « nouvelle » musique de George Gershwin, Irving Berlin, Jerome Kern et Cole Porter qui seront, selon lui, ses vrais professeurs par l'intermédiaire de l'étude de leurs partitions. Il réalise alors une synthèse originale entre les apports de cette musique et sa formation classique encouragée par ses parents : des compositeurs tels que Chabrier, Stravinsky, Wagner et surtout Debussy et Ravel sont ses modèles pour l'orchestration de ses œuvres. Le développement du cinéma sonore, de la radio et de la télévision viennent à point nommé pour l'épanouissement de sa carrière. Pour le premier, à la fin des années 30, il se consacre d'abord à la composition de musiques de documentaires, puis de films d'auteur tels que les scènes de pantomime dans Les Enfants du Paradis (Marcel Carné, 1944). Pour les seconds, il sera un pionnier à Radio 37 où il est pianiste, au Poste Parisien, à Radio Luxembourg, à Europe N°1 et à la Télévision Française où sa musique est notamment utilisée en illustration sonore. Des programmes tels que La Reine d'un Jour avec Jean Nohain, Le Crochet Radiophonique avec Saint Granier, Arrêtez la Musique, L'Air Mystérieux et Paris à l'Heure des Étoiles rappelleront bien des souvenirs aux mélomanes d'un certain âge. C'est d'ailleurs l'aspect « illustration sonore » de sa production musicale qui attire l'attention des éditions londoniennes Chappell dans les années ‘50 et, par la publication d'une vingtaine d'albums LP à partir de 1955, lui vaut une renommée mondiale qui confirme son talent à l'égal des deux piliers de Chappell, Charles Williams et Robert Farnon. Plus tard, l'éditeur Parry accomplira pour le Canada la même fonction que Chappell pour la musique de Roger Roger. De fait, pour sauvegarder son indépendance, Roger Roger n'a jamais voulu signer de contrat d'exclusivité avec une firme de disques commerciale, ce qui explique le peu d'enregistrements produits pour le grand public.
Si Roger Roger n'affectionnait pas particulièrement la voix humaine, cela ne l'a pas empêché d'accompagner, dès 1946, les plus grandes « stars » de l'époque : Édith Piaf, Maurice Chevalier, Jean Sablon, Charles Trenet … et d'épouser une grande cantatrice suisse, Eva Rehfuss, sœur du célèbre baryton Heinz Rehfuss et arrière petite fille de Félix Mendelssohn. Dans les années 60, Roger Roger crée son propre studio d'enregistrement qui le verra notamment en précurseur de la musique électronique, constamment en quête de sonorités nouvelles, ce qui l'incite à perforer lui-même les cartes IBM de ses synthétiseurs : sous le pseudonyme de Cecil Leuter (ce nom probablement en hommage à sa grand-mère), il produit un album pionnier en ce domaine, Pop Electronique.
La disparition de Roger Roger à Deauville le 12 juin 1995 a laissé un vide immense dans le cœur des mélomanes, conscients de la haute valeur musicale d'une œuvre – et d'un patrimoine – qu'il est grand temps de (re-)découvrir et qui a gardé toute sa fraîcheur et son humour typiquement français, puisque typique de son sympathique créateur.
Lire notre article « Actu Prod » dedié à la sortie d'un coffret 4CD (réservé aux professionnels) « The Magic of Roger Roger » chez le label Galerie :