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Verbier, Eglise de Verbier. 26. VII. 2005. Maurice Ravel (1875-1937). Shéhérazade. Samuel Barber (1910-1981). Mélodies passagères. Ernest Chausson (1855-1899). Chanson perpétuelle. Joseph Marx (1882-1964). Selige Nacht, Und gestern ha ter mir Rosen gebracht, Waldseligkeit, Hat dich die Liebe beruehrt. Arnold Schönberg (1974-1951). Brettl-Lieder. Measha Brueggergosman (soprano), Jean-Yves Thibaudet (piano).
Verbier Festival & Academy 2005
Measha Brueggergosman, un nom dont il faudra se souvenir. Pas facile avec une orthographe aussi compliquée. Mais quand vous l'aurez entendue, nul doute que vous ferez l'effort nécessaire pour mémoriser son nom. Parce que cette jeune interprète chante admirablement bien et semble mener sa jeune et prometteuse carrière avec une prudence qui l'honore.
Invitée l'an dernier à assister aux master classes du baryton allemand Thomas Quasthoff, la préparation et le talent de la récitaliste lui ont valu le prix du Verbier Academy 2004. L'impression qu'elle y laissa a conduit les organisateurs du festival à l'engager pour un récital lors de son édition 2005. C'est ainsi que, devant un parterre bien fourni, plus attiré par le nom de l'accompagnateur Jean-Yves Thibaudet que par celui de la soliste pratiquement inconnue sous nos latitudes, la jeune cantatrice noire fait son entrée sur l'estrade de l'église de Verbier. Son sourire malicieux et l'extraordinaire charisme qui se dégage de sa personne est frappant. Une décontraction extrême et une aisance insolente semblent habiter la chanteuse. Mais, dès les applaudissements de bienvenue effacés, sa physionomie change soudain d'expression. Envolé le sourire. En quelques secondes, une intense concentration ferme les traits de son visage.
Alors s'élèvent les premières paroles de Shéhérazade de Maurice Ravel. « Asie, Asie, Asie. Vieux pays merveilleux des contes de nourrice » la diction est si parfaite, la prononciation si claire qu'on se précipite sur le programme pour s'enquérir de la nationalité de l'interprète. Native de la Nouvelle-Ecosse au Canada! Une telle maîtrise de la langue française chantée paraît venir d'un monde révolu où le chant français puisait ses heures de gloire avec des interprètes comme Camille Mauranne ou, peut-être, plus près de nous José van Dam. « Je voudrais voir des yeux sombres d'amour et des prunelles brillantes de joie ». Là, la voix toujours claire se fait d'une douceur extrême, sans que le mot dit ne perde rien de son sens, de sa musique, de son intelligibilité. Ce chant est un rêve en même temps qu'un choc émotionnel profond. On attend la faille, l'hésitation. On se dit que la leçon est bien apprise. On ne peut croire à tant de talent, de respect, d'art. Alors, on se prend à regarder, à écouter avec une intensité accrue. On reste pendu aux lèvres de la chanteuse. Elle raconte. Elle vit, elle fait vivre le poème de Tristan Klingsor avec une intensité qu'on n'attribue généralement qu'à des chanteurs à l'expérience décennale. Et pourtant, « L'indifférent » est chanté dans une exégèse presque désabusée si proche de la réalité des mots qu'on reste confondu par l'intelligence de lecture du texte poétique.
Rainer Marie Rilke et Les mélodies passagères de Samuel Barber profitent d'une interprétation aussi fouillée et limpide que les précédents poèmes. Puis, la chanteuse nous entraîne dans une formidable et profondément émouvante Chanson perpétuelle d'Ernest Chausson sur le poème de Charles Cros. Là encore, le mot suggère le sentiment, la musique le renforce et la couleur de la voix lui peint sa signification dominante. Des touches musicales subtiles et des sentiments où Measha Brueggergosman excelle. Dans la seconde partie de son récital, la chanteuse aborde le lied allemand avec des airs des compositeurs Joseph Marx (1882-1964) et Arnold Schönberg (1874-1951). Encore incrédule à ce que le métier et le talent de la jeune chanteuse soient aussi complètement assimilés, l'impatience d'entendre comment elle se « débrouille » dans l'expression de la langue de Gœthe tourne presque au sadisme. Là encore, la surprise est de taille. Elle récite ses lieder avec une aisance semble-t-il encore plus grande qu'en français. Tout y est. Légèreté, humour, sérieux, gravité, elle passe d'un sentiment à l'autre avec une désinvolture apparente totalement désarmante. Si souvent indigeste, Arnold Schönberg sous la voix de Measha Brueggergosman, redevient viennois avec tout ce que cela représente de fanfreluches et de flonflons mozartiens.
Captivé par l'évidente présence de la voix de Measha Brueggergosman, on en vient presque à oublier l'impeccable accompagnement de Jean-Yves Thibaudet. Emporté par le talent de la soliste, le pianiste français semble n'avoir jamais aussi bien joué. Il n'aura fallu que les quelques mesures de Shéhérazade pour que la complicité naissent entre les deux interprètes. Une complicité qui parait être le fruit de nombreuses années de récitals ou de tournées alors qu'ils ne se sont rencontrés pour la première fois, que la veille du concert. Avec Measha Brueggergosman, il n'est certainement pas exagéré de penser que : A star is born.
Crédit photographique : © DR
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Verbier, Eglise de Verbier. 26. VII. 2005. Maurice Ravel (1875-1937). Shéhérazade. Samuel Barber (1910-1981). Mélodies passagères. Ernest Chausson (1855-1899). Chanson perpétuelle. Joseph Marx (1882-1964). Selige Nacht, Und gestern ha ter mir Rosen gebracht, Waldseligkeit, Hat dich die Liebe beruehrt. Arnold Schönberg (1974-1951). Brettl-Lieder. Measha Brueggergosman (soprano), Jean-Yves Thibaudet (piano).