« Le piano en majesté » Nuit du piano : Martha Argerich rend hommage à Friedrich Gulda
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La Roque d’Anthéron, Parc du Château de Florans, 29. VII. 2005 ; Sergeï Prokofiev (1891-1953) : Symphonie n°1 en ré majeur opus 25 « Classique », Concerto pour piano et orchestre n°1 en ré bémol majeur opus 10 ; R. Schumann (1810-1856) Sonate pour violon et piano n°1 en la mineur opus 105 Friedrich Gulda (1930-2000) : Concerto pour violoncelle et ensemble de cuivres ; Franz Schubert (1797-1828) : Second Impromptu en mi bémol majeur D 899 ; Troisième Impromptu en sol bémol majeur D 899 ; Quatrième Impromptu en la bémol mineur D 899 ; Sergeï Rachmaninov (1873-1943) : Prélude en sol dièse mineur opus 32 n°12 ; Alexandre Scriabine (1872-1915) : Étude en ut dièse mineur opus 2 n°1, Étude en ré dièse mineur opus 8 n°12 ; Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Triple Concerto pour piano, violon, violoncelle et orchestre en ut majeur opus 56. Martha Argerich (piano), Renaud Capuçon (violon), Gautier Capuçon (violoncelle), Adriel Gomez Mansur (piano). Orchestre Symphonique de Flandre, direction : Alexander Rabinovitch-Barakovsky
XXVe Festival de la Roque d'Anthéron
25 ans déjà. ! 25 ans que le piano s'élève comme une féérie dans le ciel de Provence. 25 ans que René Martin accueille le tout-piano mondial. Il a su fédérer autour de lui le meilleur du clavier. Pour rien au monde, ses hôtes ne manqueraient cette manifestation devenue incontournable et sans conteste le plus grand festival de piano du monde. C'est un alchimiste qui a su faire se rencontrer les pianistes et leur public. Ses choix artistiques qui allient une exigence de qualité sans faille à ce que le monde compte en virtuoses du clavier sont exemplaires. C'est un médiateur qui prend en compte le regard du public avant celui du spécialiste. Il a la sensibilité d'un grand amateur éclairé devenu un mélomane averti et en plus, c'est un expert en succès.
Cette soirée du 29 juillet restera dans toutes les mémoires. Et, Martha Argerich ne s'est pas décommandée à la dernière minute. Le public se pressait pour voir la « diva aux doigts d'or ». Il n'aura pas été déçu. Elle a, une fois de plus, défié les lois de la virtuosité et mis un public envoûté à ses pieds. Elle fait corps avec l'instrument, l'embrasse, s'en empare avec une époustouflante maîtrise. Ses doigts glissent sur le clavier en un ballet fascinant et se jouent des pires difficultés. Elle ne vit pas la musique, elle est musique, rêve, lumière, perfection. Sans effets inutiles, avec une grande sobriété et une remarquable économie de moyens, elle aborde le magnifique Concerto pour piano et orchestre n°1 en ré bémol majeur de Prokoviev que le compositeur créât en août 1912 à Moscou et qui lui valut deux ans plus tard le premier prix au Concours Rubinstein. Avec un rythme clair, un phrasé brillantissime, Martha Argerich nous fait entrer dans la poésie et la profondeur de cette merveilleuse alternance de sections lentes, rêveuses, parfois inquiètes et d'épisodes vifs souvent percutants, énergiques et rageurs. L'Orchestre Symphonique de Flandre, dirigé par Alexander Rabinovitch-Barakovsky, l'accompagne avec rigueur, efficacité et respect.
La Sonate pour violon et piano n°1 en la mineur de Robert Schumann est un intense moment d'émotion. C'est en septembre 1851 que le compositeur écrit cette œuvre créée en 1852 à Leipzig. Le premier mouvement Avec une expression passionnée offre un dialogue magistral entre le violon et le clavier. Martha Argerich et Renaud Capuçon, dans une belle et sincère complicité, avec un absolu respect pour leur partition, sans jamais tirer la couverture à eux, nous offrent un échange raffiné, profond, dans une virtuosité discrète et bienvenue. Le sombre fait place à la fraîcheur et à la vivacité chantante du rondo de l'Allegretto avant le troisième mouvement Animé et la douleur qui le sous-tend. Superbe!
Martha Argerich laisse ensuite sa place à Adriel Gomez Mansur, 16 ans. Elle a créé une fondation destinée à venir en aide aux jeunes musiciens en difficulté, leur apporter une assistance matérielle, les présenter au public…Adriel Gomez Mansur est de ceux-là. Né à Buenos Aires en 1989, il a commencé l'étude du piano à 4 ans. Il a été l'élève de René Teseo, Antonio De Raco, Carmen Scalcione et actuellement Luis Lugo. Il s'est perfectionné auprès de Nelson Gœrner, Ralph Votapek, Alan Weiss, Andrea Lucchesini, Alexis Golovine, Akiko Ebi, Roberto Urbay, Zenaida Manfugas. Il a fait ses débuts à 7 ans dans les plus importantes salles argentines et dans un programme télévisé. En 2001 et 2002 il est l'invité du Festival Martha Argerich de Buenos Aires et en 2003 du Festival Llao di Bariloche. La même année, il est nommé révélation dans la catégorie musique classique par les prix Clarìn. En 2004, il obtient une mention spéciale de l'association des critiques musicaux argentins, et le Premier Prix au VIIème Concurso Bienal organisé par les Festivales Musicales. En 2005, Martha Argerich l'invite à son Festival de Lugano.
Il propose les Second, Troisième et Quatrième Impromptus de Schubert, le Prélude en sol dièse mineur de Rachmaninov et les Études n°1 et n°12de Scriabine. Son jeu est empreint de clarté, de finesse et d'émotion. Des lignes d'une grande pureté, un phrasé subtil et élégant, une maîtrise technique impressionnante ont conquis le public. Avec pudeur, générosité, un profond respect du texte, sans effets d'aucune sorte, il fait briller et chanter les notes qui s'envolent dans la nuit étoilée. Un grand pianiste est né.
Martha Argerich a souhaité rendre hommage à Friedrich Gulda avec qui elle travailla à Vienne. Celui-là même qui lui imposa une discipline de fer grâce à laquelle elle progressa à toute vitesse, surmonta les pires difficultés et se forgea un répertoire impressionnant. Le Concerto pour violoncelle et ensemble de cuivres a été composé en 1980. Jazz, rock, pop, musique populaire, on retrouve des thèmes chers à Gulda. Et on se régale de l'humour, de la sérénité, de l'émotion aussi qui sous-tendent l'œuvre. Dirigés avec brio par Alexander Rabinovitch-Barakovsky, les vents de l'Orchestre Symphonique de Flandre accompagnent le violoncelle intense, brillant et vif de Gautier Capuçon qui, visiblement, a pris un réel plaisir à se lancer dans cette œuvre qui a charmé le public avec son final en feu d'artifice.
Le concert s'est achevé en beauté avec le Triple concerto pour piano, violon et violoncelle de Beethoven, chef-d'œuvre d'éternité composé en 1804 pour l'archiduc Rodolphe et dédié au prince Lobkowitz. Dans ces échanges de regards qui témoignent de leur grande complicité musicale, Martha Argerich, Renaud et Gautier Capuçon offrent ce dialogue à la fois frais, gai et sombre qui parcourt l'œuvre. L'échange des thèmes entre eux est d'un équilibre parfait, d'une élégance et d'une subtilité que Beethoven n'aurait pas renié. L'orchestre les met en valeur par un accompagnement qui ne prend jamais le pas sur les instruments solistes. Intimité du premier mouvement Allegro, poésie délicate du court Largo où le violoncelle est prépondérant, rythme en polonaise et bonheur du Rondo final, tout concourt pour que le public réponde par une longue standing ovation.
Un seul regret : la direction quelque peu haletante, parfois désordonnée de la Symphonie n°1 en ré majeur de Prokoviev qui a ouvert cet exceptionnel concert.
Crédit photographique : © Patrick Villanova
Festival de la Roque d'Anthéron du 22 juillet au 24 août 2005 : tous les programmes
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La Roque d’Anthéron, Parc du Château de Florans, 29. VII. 2005 ; Sergeï Prokofiev (1891-1953) : Symphonie n°1 en ré majeur opus 25 « Classique », Concerto pour piano et orchestre n°1 en ré bémol majeur opus 10 ; R. Schumann (1810-1856) Sonate pour violon et piano n°1 en la mineur opus 105 Friedrich Gulda (1930-2000) : Concerto pour violoncelle et ensemble de cuivres ; Franz Schubert (1797-1828) : Second Impromptu en mi bémol majeur D 899 ; Troisième Impromptu en sol bémol majeur D 899 ; Quatrième Impromptu en la bémol mineur D 899 ; Sergeï Rachmaninov (1873-1943) : Prélude en sol dièse mineur opus 32 n°12 ; Alexandre Scriabine (1872-1915) : Étude en ut dièse mineur opus 2 n°1, Étude en ré dièse mineur opus 8 n°12 ; Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Triple Concerto pour piano, violon, violoncelle et orchestre en ut majeur opus 56. Martha Argerich (piano), Renaud Capuçon (violon), Gautier Capuçon (violoncelle), Adriel Gomez Mansur (piano). Orchestre Symphonique de Flandre, direction : Alexander Rabinovitch-Barakovsky