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Georges Tzipine interprète Honegger

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Arthur Honegger (1892-1955) « les rarissimes de Arthur Honegger » : Une cantate de Noël, Cris du monde, Nicolas de Flüe, Rugby, Pacific 231. Berthe Monmart, Jeanine Collart, sopranos. Michel Roux, baryton. Jean Davy récitant. Maurice Duruflé, orgue. Petits Chanteurs de Versailles, Chorale Elisabeth Brasseur, Orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire, Chœurs et Orchestre National de la Radiodiffusion Française, direction : Georges Tzipine. 2 CD EMI classics 5864772. ADD mono enregistrés à Paris en 1953, 1954, 1957, premier report sur CD. Notice bilingue français-anglais. TT : 78’39’’et 77’57’’

 

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« Mes préférences vont aux jeunes qui ont quelque chose à dire, et bien que j'admire profondément les grands maîtres du passé, j'estime que mon devoir est de faire connaître les œuvres de notre temps ». Tel était le credo du grand chef d'orchestre français d'origine russe (1907 – 1987) qui se consacra définitivement à la direction d'orchestre en 1941, après avoir été l'élève de Reynaldo Hahn.

DHonegger_Tzipineans les années 1950 et 1960, Pathé-Marconi avait sous contrat des chefs remarquables qui avaient noms André Cluytens, Pierre Dervaux et . Si le premier cité fut le plus célèbre, les deux derniers se dévouèrent surtout à la musique française contemporaine, et surtout Tzipine qui imposa en premières discographiques essentiellement les œuvres de son ami (1892 – 1955), sans toutefois oublier nombre d'enregistrements idiomatiques, la plupart en première mondiale au disque, d'œuvres de Rivier, Roussel, Schmitt, Auric, Milhaud, Poulenc qui ont toujours fait autorité. En avril 1955, le Festival Jacques Ibert lui fut confié : c'est à cette occasion qu'il enregistra, avec l', l'épopée chorégraphique Le Chevalier Errant d'Ibert.

Jusqu'il y a peu, fut scandaleusement négligé par le CD : hormis une réédition par EMI de musiques de la Révolution française, et plus récemment de deux disques, l'un consacré au film français (dont le Mermoz d'Honegger) et l'autre au Chevalier Errant d'Ibert, rien n'était vraiment accompli. Et puis, miracle! La création par EMI d'une nouvelle série – «Les Rarissimes» – fut le point de départ de ce que l'on peut espérer être enfin une exploration systématique du répertoire du chef d'orchestre : après un superbe premier album consacré à Schmitt, Roussel et au Groupe des Six, en voici un autre tout aussi remarquable, «Les Rarissimes d'», qui réunit avec autant de bonheur que de logique tout ce que Tzipine a gravé d'œuvres chorales du maître suisse pour la Columbia française : l'oratorio Cris du Monde, la légende dramatique Nicolas de Flue et la Cantate de Noël, le tout complété généreusement par les mouvements symphoniques Rugby et Pacific 231, qui constituaient la quatrième face de l'album original microsillon de Nicolas de Flue. fut l'un des tout grands compositeurs du XXe siècle, un musicien privilégié qui sut évoquer dans le langage de son temps les aspirations et les angoisses de l'Homme de son époque. Il sut tout à la fois satisfaire le musicien le plus exigeant par son art souvent audacieux et toujours original, sans concession aucune, et l'Homme du peuple le plus humble par son lyrisme le plus sincère et empli d'humanité.

Cris du Monde (1931) est un vaste oratorio d'une cinquantaine de minutes rédigé sur un poème de René Bizet dont l'idée est venue suite à la lecture de l'Hymne à la Solitude de Keats. Le sujet en est le sens de l'existence de l'Homme face au «souffle des usines et le halètement des machines», à sa propre solitude, aux guerres, à l'appel de la nature, de l'inconnu. Sujet qui, en vérité, est toujours d'une troublante actualité! L'œuvre se subdivise en quatre périodes : le désespoir de l'Homme incapable de communiquer et se heurtant à l'abrutissement des machines, des cris de la foule et des clameurs des soldats ; l'évocation des grands espaces et l'appel de la nature, la mer, la montagne ; l'appel du large et les «voix des villes inconnues» ; et finalement une fresque puissante de la vie ouvrière sur laquelle la misère étend son manteau. À l'issue de chaque partie monte une prière ou un appel à la délivrance chaque fois non exaucé, anéantissant définitivement la foule épuisée sous le désespoir. Honegger reprendra les idées essentielles de cette œuvre dans sa symphonie n°3 «Liturgique» qui, elle, s'achèvera sur un message éthéré d'espérance.

Il est à peine croyable que, toujours en 2005, cet oratorio très audacieux n'ait connu en studio que ce seul enregistrement de 1957 ; unique concurrent, le label Praga a par ailleurs publié une version (dans une traduction tchèque) en concert public plus récente avec Serge Baudo à la tête de musiciens tchèques, mais il est indéniable que Georges Tzipine et ses interprètes exclusivement français (Berthe Monmart, Jeannine Collard et Michel Roux, tous impeccables) sont nettement préférables par la qualité de leur diction, vu l'importance primordiale accordée par Honegger à la scansion particulière du texte. Avec la symphonie n°4 «Deliciae Basilienses», la légende dramatique Nicolas de Flüe est très certainement l'œuvre la plus «suisse» d'Arthur Honegger, du moins quant à son sujet qui, sur un texte aussi sobre que poétique de Denis de Rougemont, exalte le parcours de Nicolas de Flüe qui, après avoir servi son pays par les armes contre l'Autriche, se retira dans un ermitage au fond de la gorge de Ranft. Suite aux luttes de la Suisse contre Charles le Téméraire et aux intrigues politiques qui suivirent la victoire suisse et faillirent la compromettre en menaçant l'unité de la Confédération helvétique, Nicolas de Flue, en apôtre de la paix, usa de son influence pour que la Convention de Stans rétablisse une paix durable entre les cantons.

Malgré sa noblesse et sa grandeur, la légende dramatique Nicolas de Flüe, composée en 1939, est relativement peu connue chez nous et la raison en est probablement son sujet, étroitement lié à l'histoire nationale suisse. À l'origine pour chorale d'amateur et orchestre d'harmonie, cette œuvre fut conçue dans un esprit de fraîcheur populaire, simple et dépouillée ; Honegger la transforma immédiatement en un oratorio pour récitant, chœur mixte, chœur d'enfants et orchestre symphonique, version qui connut également en première mondiale la splendide et toujours unique gravure début des années 1950 de l'ami fidèle d'Honegger, Georges Tzipine, dont la direction fervente et puissante, alliée à la superbe diction du récitant Jean Davy et aux chœurs impeccables, en font une version de référence absolue : la Chorale Elisabeth Brasseur alterne avec une maîtrise confondante âpreté dramatique et simplicité pastorale, fraîcheur magnifiquement restituée par les Petits Chanteurs de Versailles.

Il existe au moins deux autres versions en CD de Nicolas de Flüe sous des labels suisses, qui ont tenté de revenir à une version pour harmonie, ce qui est louable, mais il ne s'agit pas hélas de la version originale pour grande harmonie du compositeur, ce qui est évidemment plus contestable et étrange, vu que le compositeur en savait plutôt un brin au sujet de l'orchestration!… De toute façon, quelles qu'en soient leurs qualités partielles, ces versions ne peuvent prétendre atteindre la perfection et l'homogénéité de la vision Davy-Tzipine que l'on n'est pas prêt d'oublier après la première audition.

Ce sont les interprètes identiques à ceux de Nicolas de Flüe qui défendent la merveilleuse Cantate de Noël, hormis bien entendu le récitant Jean Davy qui fait place ici au baryton Pierre Mollet, tout admirable de simplicité fervente. Née d'esquisses d'une passion qui ne vit jamais le jour, suite à la mort de son inspirateur, le poète César Von Arx, la Cantate de Noël, datant de 1953, est une œuvre au pouvoir émotionnel extraordinaire, dont la structure se développe sous forme d'arche sonore partant de la désolation la plus totale pour aboutir à l'annonce de la bonne nouvelle de la Nativité par le baryton – telle une berceuse pour le nouveau-né – et finalement à la jubilation la plus exaltée qui soit. Immense vaisseau d'amour et de joie semblant quitter la terre en se dissolvant en une extase éthérée, elle s'achève comme elle a commencé, sur de simples accords pianissimo du grand orgue. Ayant tenu à jouer les quelques accords d'orgue qui ouvrent et ferment l'œuvre, Maurice Duruflé, l'admirable organiste qui participa à la création parisienne, tout comme les autres interprètes rassemblés sur cet enregistrement, dit tout simplement «Comme c'est beau, le génie!…»

Tout au long de cette réédition qui ne comprend pas moins de l'équivalent de sept faces de microsillon, Georges Tzipine, spécialiste indiscuté de l'œuvre honeggérienne qu'il connaît en profondeur et qu'il ressent avec intensité, conduit ses solistes, chœurs et orchestres avec une puissante maîtrise et coordonne de manière homogène les ensembles avec un sens inné de la grandeur allié à une simplicité foncière. On notera particulièrement le vibrato et le mordant de certains vents (notamment des trompettes) si caractéristiques des orchestres français de cette époque. Cette réédition, de la plus haute importance, justifie le rôle culturel du CD ; et on apprécierait vraiment que ce rôle soit bien plus important, en souhaitant, avant que les bandes originales ne s'abîment irrémédiablement, le transfert en «Rarissimes» de l'œuvre purement orchestrale d'Honegger par Tzipine, comprenant les trois concertos (pour piano, pour flûte et cor anglais, et pour violoncelle) (FCX665), ainsi que la symphonie n°3 «Liturgique» (FCX336), la n°4 «Deliciae Basilienses» et leMouvement symphonique n°3 (FCX337).

Et puis, mettons-nous à rêver, car le fonds Tzipine est loin d'être épuisé! D'autres «Rarissimes» attendent leur réalisation : le Concerto n°4 de Saint-Saëns et Le Carnaval d'Aix de Milhaud (CLP1149) ; Trois suites d'orchestre de Fauré (FCX463) ; L'Œuf à la coque, La croqueuse de diamants de Jean-Michel Damase (FC1060) ; Le tombeau de Chateaubriand, Offrande de Louis Aubert, et la Symphonie de nuances d'Henry Barraud (FCX597) ; la Rapsodie malgache et Hop-Frog de Raymond Loucheur (FCX596) ; les symphonies n°3 et 5 de Jean Rivier (DTX286) ; La Femme sans passé de Marcel Landowski (DT1134) ; symphonie n°4, Suite en Fa (P8104), Sinfonietta et Petite Suite (FCX413) d'Albert Roussel etc…etc…

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