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Requiem originel et indivisible d’Olivier Greif

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Olivier Greif (1950-2000) : Requiem. BBC Singers, direction : John Poole. 1CD Triton Edition TRI 331150. Enregistré à la BBC Radio, en 2001. Notice bilingue (français et anglais). Durée : 54’53 »

 

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Ce pianiste et compositeur remarquable est mort brusquement le 13 mai 2000 à son domicile, au 35 rue de Seine. L´autopsie n'a pas permis de déterminer la cause de sa mort. Qui est ? Ce qu'il écrit un jour au sujet d'un autre compositeur, aurait certainement pu le décrire lui même : « créateur chez qui la musique ne suffit plus à exprimer toute la vie si toute la vie n´est pas en elle. Un créateur pour qui la musique n'est pas une finalité mais un outil au service de la vie. Un outil de dérèglement des genres et des catégories ».

Né en 1950 à Paris d'un père polonais survivant des camps de concentration d'Auschwitz, il joue sa première composition à l'âge de 9 ans, Nausicaa, pièce perdue. Il étudie chez les plus grands maîtres, Lucette Descaves pour le piano, pour la composition, pour l'orchestration, et à dix-neuf ans poursuit sa formation avec Luciano Berio à la Juillard School de New-York. Dès 1970, sa double carrière de compositeur et de pianiste le conduit aux quatre coins du monde, aux États-Unis, au Japon, en Allemagne, en Pologne, en Finlande et en France. En janvier 1999, il obtient un Diapason d´Or pour son enregistrement consacré à la musique de piano de Francis Poulenc.

Parmi sa production, il écrit 23 Sonates pour piano et 23 Etudes pour piano, des Sonates pour violon et piano, un oratorio Eloïse sur des textes de l'Ancien Testament, une Sonate de Requiem pour violoncelle et piano, œuvre créée à Barcelone par D. Raclot et l´auteur lui-même. Il écrit également une petite messe noire pour voix, chœur d´enfants, quatuor à cordes et piano, ainsi qu'un opéra de chambre intitulé  ; une cantate pour chœur mixte : Hiroshima/Nagasaki, et un cycle de lieder nommé Le rêve du Monde, sur des poèmes de Hölderlin. On trouve également une sonate pour deux violoncelles The Battle of Agincourt et une Symphonie n°1 pour voix et orchestre sur des poèmes de Paul Celan. L'Office des Naufragés, pour soprano, quatuor, clarinette et piano créée à Berlin. Un quadruple concerto La Danse des Morts, pour piano, violon, alto, violoncelle et orchestre. Un concerto pour violoncelle Durch Adams Fall créé à Notre Dame de Paris. Les Chants de l'Âme, est certainement l'œuvre la plus intense de sa carrière ; quinze années de travail et de recherche.

Clair et lyrique, son langage laisse l'empreinte de ses premiers maîtres comme . , dit que sa musique « en appelle à une forme d'art total, non pas totalité des arts, mais bien totalité de l´homme : de ses joies et peines, espoirs et désillusions. (… ) Semblable position humaniste et spiritualiste interdit, on s'en doute, de trier l'inspiration inédite de la chanson de rue ou du cantique multicentenaire : seule importe la vision de l´artiste et sa manière de laisser remonter à la surface l'humus qui a nourri son Moi profond ». Il est enterré au cimetière de Montparnasse.

Le Requiem composé en 1999, est une œuvre qui marie le profane et le religieux. Fruit de vingt ans de retraite spirituelle, il est le témoignage des niveaux de conscience qu' souhaitait atteindre par la méditation. Hélas, comme W. A. Mozart, il n'eut pas le temps d´entendre sa création. Ce Requiem est écrit pour double chœur mixte a cappella, sans basse continue, tel le Vox Domini d' (1549-1609) ou Assumpta est Maria de (1587 ? – 1643 ?). O. Greif aborde déjà le thème de la mort avec Une petite Messe noire, et poursuit ici sa description d'une mort allégée de sa charge de tristesse et de souffrance si souvent associés. Il hésite même à destiner ce Requiem aux enfants, en hommage aux Folk-Songs de Benjamin Britten. Au lieu du sombre noir, l'harmonie revêt la couleur intérieure d'une douleur, celle de l'illusion de la séparation, ou bien d'une sérénité méditative, temps éternel et lisse de la paix. C'est pour lui, une étape, une « expérience autrement plus importante pour l'âme, celle de l'indivisible des choses ». Son écriture dénote d'une connaissance approfondie des techniques du plaint chant, des polyphonies anciennes, de la modalité, des principes d'imitation. Il redécouvre la simplicité des bourdons, des teneurs, révélant la relativité de notre conscience liée à la chronologie du temps et non à sa perception immédiate. La relativité est aussi présente dans le texte qui est écrit en latin et en anglais. Deux langues qui se complètent, se commentent, se font écho du sens. Comme un serpent qui se mort la queue, le passé et le présent sont dévoilés : phénomènes de perception, mais inexistants dans la méditation et la spiritualité.

Les dissonances du Kyrie frottent sur des secondes mineures, rappelant les Gurrelieder d'Arnold Schœnberg. Le Dies Irae, comme une marche qu'on ne peut arrêter, se déroule sur un ré autour duquel un court chromatisme accentue le caractère de courage et de volonté directionnelle. Le Benedictus, doux, léger, pour voix de femmes, aux couleurs proches du Codex de Montpellier, sensation de fragilité. Le moment le plus intense est sans doute le Rex Tremendae, basses d´hommes en simples accords parfaits mineurs et 7ème majeure, sur lesquels se déploie un motif mélodique plein de douleur et de peine.

Sanctus suggère un balancement, comme si l'âme était suspendue à un fil alors qu'Agnus Dei, est déjà dans l'au-delà, entre polyphonie médiévale et influences des Ayres anglais, la paix dans laquelle s'évanouit comme un rêve ce passage est en dehors du temps, intime et touchant. En intermède de cet album, une lettre, lue par , esquisse la personnalité d', à travers anecdotes, souvenirs et rencontres. Puis, Trois portraits pour piano, joués par Olivier Greif lui-même, terminent l´album. C'est l'occasion pour lui de dépeindre les traits de personnalités forts différentes, les caractères et les humeurs de l'esprit. Fioritures baroques et humour léger dans le n°4 aux traits de J. S. Bach, alors que rythmiques jazz et cadences médiévales éclairent le n°8. Un album qui interroge la composition sur sa quête effrénée de nouveautés. C'est le recul sur le temps qui divise, la sensation inaltérable de l'âme : retrouver l'originel et l'indivisible.

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Olivier Greif (1950-2000) : Requiem. BBC Singers, direction : John Poole. 1CD Triton Edition TRI 331150. Enregistré à la BBC Radio, en 2001. Notice bilingue (français et anglais). Durée : 54’53 »

 
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