Cédant à quelque manie touristique, on aurait pu, pour débuter cette chronique, vous dépeindre les charmes bucoliques de la campagne gersoise, ses vallons fertiles aux sillons se perdant à l'horizon, ses collines boisées d'où émerge, de loin en loin, la flèche du clocher de quelque village caché entre les arbres ; vous parler du mystère des ruelles médiévales d'Auch, de la magnificence de sa cathédrale du XV° siècle ; ou alors vous mettre l'eau à la bouche en décrivant… par le menu l'art du bon vivre et du bien manger en Armagnac, foie gras, bon vin et eau-de-vie. Mais voilà, Res Musica ce n'est pas le guide bleu et le guide vert réunis ; aussi, parlons musique!
Quoique largement centrée sur le répertoire romantique, d'où un curieux intitulé « Romantique Attitude », cette édition 2005 du festival Eclats de voix s'ouvrait par un concert des Singphoniker dont le programme résolument sans concession faisait avant tout la part belle à la Missa pro fidelibus defunctis de Pierre de La Rue. Idée étrange a priori, et finalement tout à fait concluante (il faut toujours se méfier de ses a priori) : entre chaque mouvement de la messe venait s'intercaler une pièce vocale contemporaine d'Einojuhani Rautavaara, Vytautas Miskinis, Knut Nystedt ou Kurt Weill. Loin de détonner, ces œuvres trouvaient une vraie résonance dans la musique de La Rue, que, par contrecoup, elle rendait plus proche à nos oreilles. La seconde partie, résolument romantique, elle, faisait entendre trois chœurs de Schubert, dont le fameux Chant des esprits sur les eaux dans une première version de 1817 (D 538) et non la plus célèbre de 1821 avec accompagnement de cordes (D 714), puis les Chants spirituels de Hugo Wolf alourdis par l'austère contrepoint de Max Reger ainsi que deux chœurs de Richard Strauss, pas la meilleure part de son œuvre prolifique. Assez étrangement, malgré leur immense réputation dans le répertoire romantique, c'est surtout dans la première partie que les Singphoniker ont le plus convaincu. La rigueur de leur approche donnait en effet sa pleine mesure dans la polyphonie franco-flamande et les œuvres plus contemporaines, très extatiques, alors que leur Schubert très sérieux manquait ici un peu de charme.
La suite du festival, brossant un large panorama du Romantisme, permettait d'entendre les Requiem de Brahms et Fauré, un concert Chausson/Brahms de l'Ensemble Musique Oblique accompagnant Guillemette Laurens dans La Chanson perpétuelle ; le Trio Talich dans Martinu, Schubert, Schumann, Kozeluch et Haydn ; le Chopin lassé de Cyprien Katsaris et même un concert de Fado, qui a remporté un grand succès. Mais après, tout, fado vient bien du latin fatum, destin, mot cher aux Romantiques, voir un certain Tchaïkovski…
Cependant, le concert de clôture était à bien des égards l'un des plus intéressants. La Capella Istropolitana, originaire de Bratislava, a acquis une relative célébrité par des disques souvent intéressants, mais sa découverte en concert a été une excellente surprise. On savait l'attention portée par l'ensemble à la qualité de la mise en place, impeccable, mais on n'attendait pas sonorité à ce point nourrie et ample, mordorée et chaude. En effet, la puissance de cet ensemble de quatorze cordes est étonnante, de même que l'ampleur du registre grave, pourtant limité à deux violoncelles et une contrebasse. Mais l'homogénéité et la qualité d'intonation sont telles que l'on a véritablement l'impression d'entendre un ensemble imposant, foisonnant. Ajoutons à cela une interprétation très engagée de la Suite pour cordes de Janacek et, surtout, une Sérénade pour cordes de Tchaïkovski lyrique à souhait, et l'on obtiendra une certaine idée du Romantisme, très « slave » (slave va de soi). Curiosité, et même plus que cela, la belle orchestration pour cordes de Sept Chant bibliques de Dvorak par Robert Marecek, interprétée par la mezzo Éva Garajova, voix ample et profonde mais parfois inégale et interprétation plus extérieurement opératique que réellement inspirée.
Mais, Eclats de voix n'est pas que la réunion de concerts plus ou moins réussis, c'est aussi un point de rencontre et d'échanges vivants autour de la voix : conférences, masterclass des Singphoniker au Conservatoire de Toulouse, fête des chœurs amateurs, spectacle pour et par des jeunes. Cette dimension, largement ignorée de festivals plus huppés, est pourtant primordiale : créer une vraie dynamique autour de l'événement, inclure les amateurs et passionnés, bref créer un festival, non dans un lieu mais pour ses habitants. Il n'en reste pas moins vrai que le succès artistique du festival n'a pas été vraiment relayé par un succès public, sans doute y a-t-il encore beaucoup à faire pour assurer la pérennité de cette manifestation. Mais, la qualité et la variété de la programmation, surtout l'absence de toute prétention et le véritable amour de la musique que l'on sent dans l'équipe de ce festival chaleureux et convivial, méritent d'être encouragés : après tout, Auch n'est qu'à une heure de Toulouse!