Un Chef ou un musicien parmi les musiciens ?
Christian Merlin (Le Figaro), Marie-Aude Roux (Le Monde), Michel Parouty (Les Echos) offrent un concert de regrets et d’hommage. Les quotidiens français célèbrent unanimement la mort du chef italien Carlo Maria Giulini, décédé ce mardi 14 juin à l’âge de 91 ans.
Tous reconnaissent dans celui qui avait quitté l’estrade en 1998, le grand directeur lyrique laissant avec Don Giovanni de Mozart, – l’opéra des opéras-, (gravé pour la firme EMI en 1959), une version inégalée à ce jour.
« Avec Carlo Maria Giulini disparaît l’un des plus grands chefs d’orchestre du XXe siècle », déclare tout d’abord, Christian Merlin. Un musicien au charisme inévitable dont « chacun de ses concerts était une expérience spirituelle et musicale ». Ce que le poids des années semblait davantage écraser, la musique l’aura gagné en élévation et en hauteur d’inspiration : « Ses épaules se voûtaient un peu plus chaque année, à mesure que le tempo ralentissait, mais sa silhouette longiligne garda toujours la même élégance ». L’homme suscite aux côtés de l’artiste, un semblable respect : « très affecté par la mort de sa femme, dont il accompagna la maladie avec une abnégation de chaque minute. Il s’était alors retiré à Milan où il dispensait son enseignement à de jeunes musiciens ».
Suit l’itinéraire d’un altiste d’orchestre (au sein de l’Augusteo de Rome) dont l’acuité visionnaire sut observer les plus grands chefs de l’heure : « Furtwängler, Toscanini, Klemperer ou Bruno Walter, celui dont il se sentait le plus proche. » Humble même humaniste, soucieux d’égalité et de respect, le musicien devenu chef, aimait à dire aux orchestres qu’il dirigea : « «Je ne suis pas là pour vous diriger, mais pour faire de la musique ensemble», nous rappelle notre confère du Figaro.
Privilégiée, Marie-Aude Roux du Monde évoque un entretien que lui avait consenti en mars 2004, le chef italien dans son appartement près de la Scala de Milan (ndlr : dont il fut le directeur musical de 1953 à 1955). Pour lui qui n’a « jamais rien demandé à personne », la musique fut une affaire d’amour et de certitude. La direction ? d’abord une expérience personnelle qu’il faut suffisamment intérioriser afin que l’œuvre « puisse jaillir de vous avec la force de s’incarner dans les sons ». Voilà tracée la marque d’une personnalité intransigeante, entrée désormais dans la légende. Une légende précédemment tissée par d’illustres confrères : « Karajan, Bernstein, Celibidache, Solti. »
Pour Marie-Aude Roux, Giulini a « réalisé la rare synthèse des héritages italien et germanique », en dirigeant les opéras italiens, surtout Verdi (- à l’exception d’Aïda-), et le « grand domaine symphonique germanique ». Le secret de sa direction ? Une alliance inclassable entre « la puissante force dramatique de Toscanini, la fluidité du phrasé de Victor de Sabata, osant les tempos larges de Furtwängler. » Ainsi aura-t-il laissé de la 9 ème symphonie de Mahler, et de la 8 ème symphonie de Schubert, des versions incontestables (gravées chez DG).
Il fut aussi celui qui reçut l’hommage de ses pairs, du jeune Simon Rattle et aussi de Claudio Abbado. Notre consœur reconstruit le fil d’une carrière vécue « à pas de géant » : de son premier opéra, Il Mundo della Luna de Haydn, à la production qui le révéla au public, une certaine Traviata, « mise en scène en 1955 par Luchino Visconti à la Scala de Milan avec Maria Callas ». Son exigence se mesure aussi à de fracassantes prises de position : à partir de 1967, il décidera de cesser toute production lyrique et ce jusqu’en 1982 (pour reprendre un Falstaff d’anthologie, à Los Angeles et à Londres) : « trop de metteurs en scène mégalos, pas assez de répétitions ». Une déclaration acerbe qui n’a pas perdu de son acuité. Du chef, devenu de plus en plus rare, et ne dirigeant que des phalanges rigoureusement choisies (Symphonique de Vienne, Philharmonique de Los Angeles…), Marie-Aude Roux précise le dernier concert parisien qui comme chacune de ses apparitions, fut un « événement » : « Ainsi son dernier concert à Paris, salle Pleyel, le 29 janvier 1998, avec l’Orchestre de Paris et Julia Varady dans le Requiem de Verdi est-il resté proprement inoubliable. »
Pour sa part, Michel Parouty dans Les Echos, rappelle le dernier verdien dont un Requiem « flamboyant » qui aura marqué les Chorégies d’Orange. Mais notre confrère insiste sur les liens qui s’étaient tissés entre le public français et le chef, devenus même « affectueux avec l’Orchestre de Paris ».
Un « seigneur » au pupitre : sa direction « au fil du temps dépouillée, épurée » semblait nous parler depuis l’autre monde, comme s’il souhaitait nous transmettre une vérité que seuls, au terme de leur carrière, certains élus peuvent exprimer. Michel Parouty relève avec justesse un détail : « il dirigeait souvent les bras très bas, comme s’il voulait faire naître le son des profondeurs, l’élevant peu à peu en un cérémonial dont la lenteur n’avait d’égale que l’élévation spirituelle. »
Compte-rendu effectué à partir des articles parus dans la Presse, à partir du 16 juin 2005.