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Poissy. Théâtre. 9-V-2005. Gioachino Rossini (1792-1868) : La Scala di seta, farsa comica en un acte sur un livret de Giuseppe Maria Foppa. Version de concert. Avec : Laura Alonso, Giulia ; Marisa Martins, Lucilla ; Eugenio Favano, Dorvil ; Riccardo Novaro, Germano ; Antonio Abete, Blansac ; Fabrice Mantegna, Dormont. Freiburger Barockorchester, direction : Attilio Cremonesi.
Fidèle habitué du Théâtre de Poissy, l'Orchestre baroque de Fribourg y présentait cette année le scintillant chef-d'œuvre d'un Gioachino Rossini de vingt ans, dont les merveilles ne se résument pas, tant s'en faut, à sa célèbre ouverture.
Sur un livret aussi conventionnel qu'efficace (mariage secret, tuteur dupé, rendez-vous nocturne, quiproquos en série), le compositeur sait déjà créer une musique théâtrale entre toutes, et signe entre autres l'une de ses plus poétiques arias pour soprano (« Il mio bene sospiro e chiamo » et son superbe solo de cor anglais introductif), l'un de ses duetti les plus endiablés (entre la rusée Giulia et l'obtus domestique Germano), l'un de ses airs bouffes les plus efficaces (l'incroyable « Amore dolcemente » du même Germano) et l'un de ses ensembles les plus étourdissants (le quatuor qui termine la première partie, au surprenant fugato initial). Au début de l'ouverture, un solo de cor naturel à la justesse calamiteuse a suscité quelques craintes sur la capacité de nos baroqueux à affronter les périls de l'écriture rossinienne ; mais le premier trait des violons a vite corrigé cette première impression : les Fribourgeois se révèlent le plus souvent irréprochables de cohésion et de légèreté, et leurs sonorités aériennes sont indiscutablement idéales dans ce répertoire. Attilio Cremonesi est un chef vif et précis, et nous offre une ouverture pleine de finesse. On sera plus réservé sur sa prestation dans les récitatifs, qu'il accompagne au pianoforte : continuiste de René Jacobs tout comme Nicolau de Figueiredo, Cremonesi se place dans la mouvance inaugurée par son confrère et extrapole sans relâche, s'offrant moult improvisations beethovéniennes au début voire au milieu des récits, charge aux chanteurs de caler tant bien que mal leurs phrases sur ses arpèges, avec des effets harmoniques parfois inattendus. Même parti pris d'ornementation maximale chez les chanteurs : on peine souvent à identifier comme telles les reprises de thèmes tant la ligne est modifiée, parfois au mépris de tout naturel mélodique. On concèdera toutefois volontiers aux intégristes de l'authenticité stylistique que ces agréments étaient monnaie courante chez les interprètes de l'époque, puisque, selon la petite histoire, c'est justement pour brider l'imagination (et pallier le goût douteux) de ses chanteurs que Rossini devait prendre l'habitude, l'année suivante, d'écrire lui-même tous les ornements !
Le plateau vocal est très hétérogène. Il n'y a hélas rien à sauver de la Giulia de Laura Alonso : voix minuscule au timbre terne et aux aigus plafonnés, vocalises laborieuses et d'une justesse aléatoire, ligne de chant inexistante, tentatives de caractérisation se limitant à des effets de parlando assez vulgaires. On n'est pas peu surpris d'apprendre dans le programme de salle que la soprano espagnole compte à son répertoire rien de moins que Mimi, Gilda, Zerbinetta et Lucia ! La charmante Marisa Martins possède des moyens vocaux peut-être plus modestes encore… mais la brièveté du rôle de Lucilla limite les dégâts, et la mezzo, dans ce personnage déluré, se rachète en partie par un jeu fort piquant. Sans être idéale, la distribution masculine se situe quelques crans au-dessus. Antonio Abete, bien connu dans le répertoire baroque, tire son épingle du jeu dans son personnage de vieux beau, sans susciter l'enthousiasme sur le plan vocal : l'émission est bien métallique, et la tendance marquée de la basse italienne à chanter la bouche tordue sur le côté nuit sérieusement à la clarté de son élocution. Acteur sympathique et ténorino au timbre pas désagréable, Eugenio Favano fait plutôt bonne figure dans les ensembles mais se montre totalement dépassé par l'air « Vedrò qual sommo incanto », réclamant les mêmes moyens que Lindoro ou Ramiro, où il ne peut offrir que des vocalises sans soutien et de douloureux aigus en voix mixte mal maîtrisée. Le second ténor, Fabrice Mantegna, est quant à lui suffisamment sonore dans les brèves interventions de Dormont.
Dans un rôle particulièrement payant de valet sentencieux, lubrique et gaffeur, Riccardo Novaro est l'unique révélation de la soirée. Doté d'une voix saine et homogène aux aigus aisés et aux réserves de puissance appréciables, aussi virtuose dans les vocalises que dans le chant sillabato rapide, le jeune baryton italien (30 ans) fait preuve d'une parfaite musicalité et se montre comédien élégant, spirituel et imaginatif. On ne devrait pas tarder à voir cette haute silhouette dégingandée se promener sur les scènes les plus huppées ; pour ce soir, le public de Poissy lui a réservé à l'issue de son aria une ovation méritée autant que spectaculaire. La relève d'Alessandro Corbelli est assurée !
Crédit photographique : © Peter Kanneberger
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Poissy. Théâtre. 9-V-2005. Gioachino Rossini (1792-1868) : La Scala di seta, farsa comica en un acte sur un livret de Giuseppe Maria Foppa. Version de concert. Avec : Laura Alonso, Giulia ; Marisa Martins, Lucilla ; Eugenio Favano, Dorvil ; Riccardo Novaro, Germano ; Antonio Abete, Blansac ; Fabrice Mantegna, Dormont. Freiburger Barockorchester, direction : Attilio Cremonesi.