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Johann Sebastian Bach (1685-1750) : cantates. Volume 8 : « Bremen/Santiago ». CD1 : Cantates BWV 138, BWV 99, BWV 51, BWV 100. Solistes : Malin Hartelius (soprano), William Towers (Alto), James Gilchrist (ténor), Peter Harvey (Basse). Enregistrement live, Unser Lieben Frauen, Bremen, 28/9/2000. Durée : 72’02. CD2 : BWV 161, BWV 27, BWV 8, BWV 95. Solistes : Katharine Fuge (soprano), Robin Tyson (alto), Mark Padmore (ténor), Thomas Guthrie (basse), the Monteverdi choir, the english baroque soloists, direction : John Eliot Gardiner. Enregistrement live, Santo domingo de Bonaval, Santiago de Compostela, 7/10/2000. Durée : 73’03. (2 cds- Soli Deo Gloria, réf. SDG 104)
Soli Deo GloriaSuite de la première livraison de l'intégrale des cantates d'église de Johann Sebastian Bach par Sir John Eliot Gardiner (lire notre critique du volume 1 : ici).
Les options du chef, qui a convaincu tout autant dans le répertoire romantique avec son « orchestre romantique et révolutionnaire » (songez à Berlioz par exemple et précisément ses « Troyens » parus en DVD), s'imposent d'emblée comme les clés d'une vision expurgée, limpide, d'une pureté poétique qui écoute avec une indiscutable sensibilité l'inquiétude, le doute, l'humanité bouleversante des partitions. Une lecture en forme d'incise et d'épure : à l'image de son interprétation du « Couronnement de Poppée » de Monteverdi (paru chez Archiv) dont le dépouillement de l'orchestre qui profitait à la projection des voix solistes, contredit l'orfèvre Jacobs qui au contraire, enrichit une matière musicale des plus ouvragées. Avec Gardiner, nous voici dans l'intimité. Il semble s'intéresser à la lisibilité de la voix (avec un casting de rêve !), ciseler l'émotivité des instruments solistes, ici, un hautbois d'amour, là une flûte obligato, ailleurs, une trompette à l'insolence festive ; nuancer le frottement des timbres mêlés : hautbois et flûtes par exemple. Une proximité expressionniste qui émerveille l'oreille et émeut le cœur.
Comme pour le volume 1, les qualités version Gardiner se dévoilent sans artifice : maturité « économe » du geste, maîtrise qui se concentre sur l'accomplissement de la prière, sens des « dosages », clarté du texte et des lignes instrumentales qui se dévoile particulièrement dans les cantates doloristes. De façon générale, la ferveur de Bach oscille entre la lumière d'un chœur qui descendant du paradis, illumine ceux qui l'entendent, et, à l'inverse, l'ombre du doute, l'angoisse d'un cœur abandonné, en proie au vertige de sa seule prière. Il y a aussi une autre voie, celle d'une confiance sereine, d'une mort pleinement acceptée, comme une délivrance. C'est cette ultime expérience qui colore ce deuxième volume. Gardiner a choisi les cantates du 15e dimanche après la Trinité et les sublimes évocations funèbres du 16e dimanche, invitations apaisées au dernier voyage et comme illuminées par ce que Tintoret a peint dans son cycle de la Scuola di San Rocco à Venise, les feux réconfortants d'un soleil noir.
Le cd1 débute avec la BWV 138 dont la section initiale implique tout l'effectif, orchestre, chœur et solistes dans une dramaturgie de l'affliction. De notre point de vue, Gardiner convainc à l'image du premier volume, grâce à une direction extrêmement cohérente qui sait ciseler chaque épisode sans diluer la corde tendue de la tension. D'abord, saluons la BWV 51, cantate festive construite autour de la voix de soprano (sensible Malin Hartelius, rompue à toutes les exigences souhaitées par Bach) par laquelle le Cantor de Leipzig qui ajoute une trompette des plus jubilatoires (incontestable Niklas Eklund) exprime sa tendresse pour sa seconde épouse Anna-Magdalena Bach, elle-même parfaite kammersängerin. Les atouts de ce deuxième album, outre le reste des effectifs tout aussi superlatifs, sont les deux voix masculines, la basse Peter Harvey dont le timbre chaud rassure dans un programme globalement sombre voire inquiétant (« Auf Gott steht mein Zuversicht », BWV 138, plage 5, cd1). Mais le chanteur sait tout autant incarner les tourments de l'âme inquiète aux bords du précipice (« Gute Nacht… », BWV 27, plage 11, cd2). Bénéfice de cette lecture de l'ombre, le sentiment d'accomplissement dans une totale sérénité aux portes de la mort : tel se dévoilent les quatre joyaux du cd2 que sont, l'aria pour alto de la BWV 161 : « Komm, du sübe Todessstunde » (« viens douce heure de la mort », en fait réflexion sur la mort à trois, pour alto et deux flûtes : plage 1, cd2) ; l'aria pour ténor « Mein Verlagen » de la même cantate (plage 3, cd2) : supplication hallucinée grâce à un Mark Padmore au sommet de son art ; puis le chanteur impose une même grâce communicative sur le sujet de la délivrance sur les mots « Ach, schlage doch bald » (« ah, puisses-tu bientôt sonner… »), répétés à l'infini comme une question sans réponse (BWV 95, plage 23, cd2) : la notice qui accompagne les cds, reprenant une bonne part du journal qu'écrivit Gardiner pendant son périple musical, éclaire avec détails, la riche texture de la musique mise en regard des textes très inspirés. Il témoigne comme l'auditeur, de la force suggestive voire hypnotique dans le cas de cet aria, des partitions de Bach. Ici, on interrogera toujours les images affleurant dans le balancement mécanique de l'orchestre qui pourrait évoquer la mécanique d'une horloge, autre forme d'un temps compté s'écoulant vers son inéluctable fin. Ainsi, sept minutes disent cette transfiguration haletante, hallucinée (les cordes en pizzicati battent le rythme d'une mécanique séraphique, elles entament une course contre le temps, suspendu au souffle du fervent). Gardiner nous donne une leçon de simplicité et de sincérité : ni séduction ni discours ni même calcul mais le sentiment du sacré qui s'écoule naturel et libre. Grâce à l'articulation agissante du texte, grâce à l'incandescence mesurée des instruments d'une mordante justesse (hautbois savoureux), le chanteur murmure sa lancinante question, interrogeant le vain pouvoir de la musique et du chant à rompre son angoisse suspendue.
De son côté, le Monteverdi choir est fidèle à ce que nous en avons dit. Et pour terminer sur cette évocation pacifiée des tourments de l'âme, en son heure ultime, le chœur lumineux qui introduit la BWV 8 (« Liebster Gott… », plage 13, cd2) nous transmet l'idée d'un monde céleste dans lequel chacun de nous aurait sa place… (tendresse des flûtes espiègles). Que pourrions-nous rêver (et entendre) de plus accompli ?
Guidés par un Gardiner étincelant, nous voici à présent auditeurs impatients d'une nouvelle intégrale qui, à l'image de ses deux premiers opus, s'annonce décidément passionnante. Les visuels sont à la mesure de la gravure musicale et de l'intérêt éditorial du livret. Moins connu que les yeux de cette jeune fille qui, Une de National geographic, a fait le tour de la planète, le visuel du volume 1 est tout aussi fascinant : un afghan de Kabul fixé par le photographe Steve Mc Curry. Serait-ce un subtil hommage à Rembrandt et plus loin au Caravage … ces peintres illuminés dont la lumière sauve ceux qu'elle tire de l'ombre ? Seule réserve : le texte du livret n'est pas traduit en français. Pour approfondir l'expérience Gardiner, et lire en particulier son journal de bord, visitez le site du label créé par le chef Britannique, vous pourrez lire la notice très documentée qui accompagne les cantates du 16e dimanche après la Trinité qui nous ont tant convaincu.
Lire aussi l'entretien que Sir John Eliot Gardiner nous a accordé à l'occasion de la parution de ses premiers volumes Bach :
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Johann Sebastian Bach (1685-1750) : cantates. Volume 8 : « Bremen/Santiago ». CD1 : Cantates BWV 138, BWV 99, BWV 51, BWV 100. Solistes : Malin Hartelius (soprano), William Towers (Alto), James Gilchrist (ténor), Peter Harvey (Basse). Enregistrement live, Unser Lieben Frauen, Bremen, 28/9/2000. Durée : 72’02. CD2 : BWV 161, BWV 27, BWV 8, BWV 95. Solistes : Katharine Fuge (soprano), Robin Tyson (alto), Mark Padmore (ténor), Thomas Guthrie (basse), the Monteverdi choir, the english baroque soloists, direction : John Eliot Gardiner. Enregistrement live, Santo domingo de Bonaval, Santiago de Compostela, 7/10/2000. Durée : 73’03. (2 cds- Soli Deo Gloria, réf. SDG 104)
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