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Giulio Cesare in Egitto, tous les chemins ne mènent pas à Rome…

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Zurich Opernhaus. Le 2-IV-05. George Frideric Haendel (1685-1759)  : Giulio Cesare in Egitto, opéra en 3 actes sur un livret de Nicola Francesco Haym. Mise en scène : Cesare Lievi, assisté de Daniela Schiavone ; décors : Margherita Palli ; costumes : Marina Luxardo ; lumières : Jürgen Hoffmann. Avec : Franco Fagioli, Giulio Cesare ; Gabriel Bermúdez, Curio ; Charlotte Hellekant, Cornelia ; Anna Bonitatibus, Sesto Pompeo ; Cecilia Bartoli, Cléopâtre ; Martín Oro, Tolomeo ; Alan Ewing, Achilla ; José Lemos, Nireno. Violon solo : Ada Pesch ; cor solo : Glen Borling. Orchestre « Statisverein » de l’Opéra de Zurich, « Orchestre La Scintilla » de l’Opéra de Zurich, direction : Marc Minkowski.

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Jules César dans un beau complet blanc de la marine, des blindés en carton et des fusées de pacotille tractées par des chars pour l'armée romaine ; des costumes haute-couture avec coiffes pseudo-pittoresques pour les égyptiens ou des fracs complètement ridicules pour Achille et Nireno.

Des lumières colorées mais mattes, façon loundge bar, avec des reflets de catelles de salle de bain en prime. Pour l'Egypte, des mosaïques bariolées, des pyramides et des sculptures géantes de sphinx laqués avec un kitsch voulu, évocateur des lupanars de Las Vegas. Qui tire les leviers de la machine à sous nécessaire à l'éclosion de telles conceptions ? Quoi qu'il en soit, ces éléments jonchent çà et là, aléatoirement, le plateau et demeurent tout juste suffisamment épars pour éviter l'écueil de la vulgarité. Certains tableaux sont certes réussis en soi, mais pour eux-mêmes et non au service de l'œuvre. La volonté affirmée des auteurs de ce décorum déconcertant est de retrouver l'esprit « maraviglioso » du théâtre baroque mais dans un contexte contemporain. On connaît cette rengaine à l'argumentaire fallacieux pour la subir trop souvent. Il ne s'agit pas –comme cela est parfois réalisé à bon escient– d'utiliser des moyens modernes, tels la vidéo, pour les mettre au service d'une lecture intelligible et intelligente d'une œuvre ancienne, mais bel et bien d'une volonté obstinée de transposer tout à n'importe quel prix. Au final, le travail semble coupablement dépourvu de toute dramaturgie et saucissonne malencontreusement l'action en une suite de saynètes qui voient défiler une galerie de personnages en guenilles high-tech difficilement identifiables. Ce fatras scénique n'est aucunement merveilleux. Le public subit pendant près de quatre heures (une durée qui paraît pharaonique) un alignement de scénographies toutes plus ineptes les unes que les autres, sans humour autre que celui que, contre toute attente, les protagonistes parviennent à glisser par leurs mimiques et jeu. Mais dans quel but ? Afin de mieux distraire le public pris en otage par ces conceptions théâtrales soit-disant originales? Ce souci de réactualisation, ces créneaux esthétiques sont hélas devenus une convention en soi pour bon nombre de productions actuelles allant dans un non-sens similaire. Lievi et son équipe alignent tous les poncifs de ce genre iconoclaste. Ils brouillent les pistes de la compréhension pour chercher bien inutilement quelque équivalent moderne à Jules César et Cléopâtre.

La direction d'acteur est au surplus caricaturale. Au terme de leurs airs, les chanteurs n'ont souvent pas d'autres choix que de quitter le plateau d'un pas de course aussi leste et efficace que possible. L'opéra apparaît pour l'essentiel comme une succession d'airs da capo, alors que la musique de Händel est dans le cas précis d'une richesse sans équivalent dans sa production pour le théâtre. Le « Caro Sassone » accompagne l'action d'une partition pensée avec faste, audace et faisant état d'une créativité aussi développée qu'inouïe pour son temps. Les airs et ensembles sont ainsi musicalement très fortement caractérisés par la musique y afférente et l'ensemble offre un vaste champ expressif qu'heureusement, sert avec brio dans la fosse de l'opéra de Zurich. Le noble pathos ou la verve baroque de la musique de Händel s'y fait entendre fort avantageusement. Le musicien français ménage des tempi bien dosés et sans exagération, conférant souplesse, nuances et une dynamique jamais brutalement crénelée. Sur scène, les musiciens solistes brillent par leur subtile musicalité. La scène 1 de l'acte II qui se déroule dans un bosquet, avec musique de scène, est un ravissement absolu. Des mentions particulières vont au corniste Glen Borling qui accompagne l'air « Va tacito » de César, ainsi qu'à Ada Pesch qui laisse chanter son violon dans le solo obbligato qui lui incombe aux côtés de Sexto.

La distribution rattrape elle aussi, et avec tout autant de bonheur que la fosse, les dérapages de la mise en scène. Cléopâtre est confiée à la grande Bartoli, exceptionnelle par sa technique et sa musicalité une fois encore. A l'instar de l'italienne, bon nombre de chanteurs font leur début dans leur rôle. Parmi eux, qui campe un César d'une grande souplesse, mais d'une couleur un peu trop féminine. L'empereur romain gagnerait parfois à déployer un chant plus acéré, plus saillant dans l'extrême aigu. Les soprani (Cornelia) et (Sesto) font partie du haut du panier de la distribution. Leur duo « Son nata a lagrimar » donne la mesure de leurs possibilités expressives, notamment dans des pianissimi éblouissants. , qui fait pour sa part également ses premiers pas dans ce rôle, sait rendre dans son chant la détermination et l'amour filial ressenti par son personnage. Elle fut l'une des chanteuses les plus applaudies de la distribution, à juste titre. Nireno (José Lemos) est d'une candeur et d'une fraîcheur bienvenue. Face à lui, le Ptolémée de Martín Oro laisse apparaître une vigueur et un mordant tout à fait opportuns qui se marient sans faire ombrage à un chant élégamment projeté, nuancé et solaire. La basse (Achille) convainc pleinement et fait montre de noblesse vocale malgré le costume le plus difficile à défendre de la distribution.

Dommage que les écueils de la mise en scène soient légion. Après des salves d'applaudissements pour les musiciens et chanteurs, les scénographes ont daigné se montrer et ont échangé entre eux des sourires complices lorsqu'il s'est agi d'essuyer les « Bouh !! » retentissants qui se sont fait entendre en maints endroits du théâtre. Rendre à César ce qui est à César, dit le proverbe …

Crédit photographique : © Suzanne Schwiertz

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