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Paris. Maison de radio-France, salle Olivier Messiaen. 19-III-2005. Jean-Yves Daniel-Lesur (1908-2002) : la Reine Morte, opéra en 3 actes d’après Henry de Montherlant (création mondiale – version de concert). Béatrice Uria-Monzon, l’Infante de Navarre ; Anne-Marguerite Werster, Ines de Castro ; Laurent Naouri, Ferrante ; Fabrice Mantegna, Pedro ; Nicolas Courjal, Egas Cœlho ; Thierry Félix, Batalha ; un soliste de la Maîtrise de Radio-France, Dino del Moro. Chœur de Radio-France (chef de chœur : Daniel Bargier), Orchestre Philharmonique de Radio France, direction : Lawrence Foster.
Que connaît-on de Jean-Yves Daniel-Lesur, feu membre de l'Institut? Son Cantique des Cantiques, cantate à 12 voix mixtes a capella est parfois donné et enregistré. Œuvre séductrice, par sa sensualité sonore et sa lointaine influence du chant grégorien avec ses accords parallèles. Elle est l'emblème d'un compositeur qui sut affirmer son indépendance de langage dans une génération située à mi-chemin entre les Groupe des 6 et Pierre Boulez. La même luminosité, la même finesse semblent être sa signature sonore dans son Cantique des Colonnes ou dans sa Messe du Jubilé, que l'on peut trouver en cherchant longuement dans les bacs des disquaires. Mais cette grâce faite dans la concision des œuvres courtes, la trouve-t-on dans des partitions plus longues? La réponse, apportée ce soir par Radio France, semblerait être négative.
La création lyrique française depuis 1945 semble être en panne. Du Dialogues des Carmélites à Saint-François d'Assises aucune œuvre ne s'est réellement inscrite au répertoire – si ce n'est la Voix Humaine. Une politique actuelle de commandes et reprises tente d'y pallier, mais pour combien d'opéras signés Henri Sauguet, Darius Milhaud, Charles Chaynes, Henri Tomasi, Jean Prodomides ou Marcel Landowskiqui sont maintenant dans un irrémédiable purgatoire? Les trois opus lyriques de Daniel-Lesur ne font pas exceptions. Andrea del Sarto, après sa création en 1969 à l'Opéra de Marseille connut quelques reprises les années suivantes en province, puis disparut. Ondine (1983) – à l'instar de la Celestine de Maurice Ohana- œuvre d'un compositeur reconnu et pilier du milieu musical n'eut qu'un succès d'estime et ne fut jamais remontée. Pour la Reine Morte, ce fut pire. Commande de l'Etat pour l'Opéra de Paris, ce dernier finit par se désister en déprogrammant la production prévue pour 1987. Une création au festival de Montpellier en 1996 dut être ajournée sine die. Le compositeur est décédé en 2002 sans avoir pu, à son désespoir, voir naître sa Reine Morte. Radio-France ne fait donc ici que son devoir de mémoire en rendant justice à un acteur majeur de la vie musicale française de la 2nde moitié du XXe siècle. Et pourtant…
Malgré quelques passages remarquables par leur progression dramatique et musicale, la Reine Morte s'apparente plutôt à un long pensum de 2h20, entracte non comprise. L'action se déroule à Lisbonne. L'infante de Navarre, une jeune femme de 17 ans résolument indépendante, est promise à Don Pedro, fils du roi Ferrante. Mais le prince héritier a épousé en cachette une bâtarde issue de la noblesse, Inès de Castro. Le roi est partagé entre son devoir de monarque et son humanité envers les jeunes gens, bien qu'il n'ait que du mépris pour son fils. Le sombre conseiller Egas Cœlho conseille à son souverain d'éliminer Inès. Le roi hésite, puis accepte, d'autant plus que l'Infante, outragée, est repartie en Navarre, non sans avoir tenté de sauver la future jeune mère (Inès attend un enfant de Pedro). Mais vieux et malade, aux portes de la mort, Ferrante se repent devant son peuple, laissant à son fils toute liberté de vengeance face à Cœlho.
En refusant toute concession à un Portugal baroque de pacotille –ce qui est tout à son honneur- Daniel-Lesur nous inflige une partition grise, terne, parfois inutilement tapageuse. L'harmonie surchargée en tierces et secondes mineures nous ferait penser en écoute à l'aveugle à une œuvre du dernier Honegger ou du jeune Landowski, ce qui pour une composition datée de 1987 est plutôt gênant.
L'orchestration chargée sait parfois se faire fine, mais reste très traditionnelle dans l'emploi du jeu instrumental. La seule concession est un court passage de percussions frottées avec des archets de contrebasse. Le compositeur se refuse à toute caractérisation musicale de ses personnages, si ce n'est un accord sec de clavecin évoquant le rasguedo d'une guitare lors des interventions de l'Infante. L'écriture vocale -toute en récitatifs libres- est souvent heurtée, signe des tourments intérieurs des protagonistes, et se souvient tout aussi bien de Monteverdi (que l'on redécouvrait alors réellement) que de Pelléas et Mélisande. Il y a du Golaud dans le personnage de Ferrante, partagé entre le remord, le mépris pour son fils, son devoir d'honneur de roi du Portugal et son humanité qu'il ne sait exprimer envers Inès de Castro. Il y a de la Mélisande aussi en cette jeune fille, tout juste enceinte, innocente et qui semble dépassée par les évènements dont elle est l'enjeu central, sans parler de Dino del Moro, jeune page qui écoute aux portes, à l'instar d'Yniold.
Malgré de trop nombreuses longueurs et une monotonie trop envahissante, la Reine Morte est ponctuée de passages réellement inspirés. Les deux airs d'Inès sont de douces mélopées sur un accompagnement cristallin de harpes et cordes, et le début du troisième acte, celui ou la jeune fille court vers son destin de reine morte et ou Ferrante est de plus en plus en proie au délire, est de façon dramaturge le plus abouti par ses basses chromatiques mouvantes, ses éclairs mélodico-rythmiques dans le suraigu et le traitement quasi-instrumental du chœur. Le tout aurait été moins éprouvant si le plateau vocal réuni était de taille à défendre l'œuvre. Seuls Béatrice Uria-Monzon, malgré un manque évident d'implication et un vibrato excessif, et Laurent Naouri sont compréhensibles. Le baryton-basse se sort comme il le peut d'un rôle écrasant –on se prend à rêver d'y écouter un Gabriel Bacquier ou un José Van Dam dans leurs années fastes – mais ne peut compenser une certaine fatigue à la fin de l'ouvrage. Nicolas Courjal défend ses courtes interventions par une certaine présence au détriment de la prononciation, mais la ligne vocale prévue par Daniel-Lesur pour ce rôle est particulièrement chaotique. Fabrice Mantegna et Anne-Marguerite Werster ont pour point commun une voix hétérogène, aux aigus tirés et souvent criards. Enfin il aurait été de bon aloi de nommer dans le programme le « soliste de la Maîtrise de Radio-France » qui assurait le rôle de Dino del Moro. Heureusement il reste l'orchestre et les chœurs (bien peu mis en valeurs dans cette partition), admirablement conduits par Lawrence Foster, tout à fait à l'aise dans ses vastes pages lyrico-symphoniques (son enregistrement d'Œdipe d'Enesco chez EMI en témoigne).
Non, Radio-France n'a pas donné une naissance posthume d'un chef d'œuvre. Mais si l'enfant était déjà mort-né, ce n'était que devoir de mémoire et hommage à faire en l'honneur de celui qui, de l'ORTF à l'Institut en passant par la Schola Cantorum, aura marqué de son empreinte tout un demi-siècle de politique culturelle et musicale. Espérons que cette Reine Morte ne sera pas pour le futur synonyme de l'œuvre de Daniel-Lesur, qui a su créer bien d'autres partitions d'une valeur autrement plus importante.
Ce concert sera diffusé sur France-Musiques le mercredi 6 avril 2005 à 20h00.
Credit photographique : © DR
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Paris. Maison de radio-France, salle Olivier Messiaen. 19-III-2005. Jean-Yves Daniel-Lesur (1908-2002) : la Reine Morte, opéra en 3 actes d’après Henry de Montherlant (création mondiale – version de concert). Béatrice Uria-Monzon, l’Infante de Navarre ; Anne-Marguerite Werster, Ines de Castro ; Laurent Naouri, Ferrante ; Fabrice Mantegna, Pedro ; Nicolas Courjal, Egas Cœlho ; Thierry Félix, Batalha ; un soliste de la Maîtrise de Radio-France, Dino del Moro. Chœur de Radio-France (chef de chœur : Daniel Bargier), Orchestre Philharmonique de Radio France, direction : Lawrence Foster.