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Montréal. 12-III-2005. Salle Wilfrid-Pelletier. Agrippina, dramma per musica en 3 actes de George Frideric Haendel (1685-1759) sur un livret attribué à Vincenzo Grimani. Mise en scène : Jacques Leblanc ; décors et costumes : John Conklin et Jess Goldstein ; éclairages : Matthieu Gourd. Avec : Lyne Fortin, Agrippina ; Krisztina Szabo, Nerone ; Phillip Addis, Pallade ; Michelle Sutton, Narciso ; Étienne Dupuis, Lesbo ; Daniel Taylor, Ottone ; Karina Gauvin, Poppea ; Kevin Burdette, Claudio. Les Violons du Roy, direction : Bernard Labadie.
L'opéra baroque fait une entrée remarquée sur la scène montréalaise avec la production d'Agrippina. Parmi les trente neuf opéras de Haendel, celui-ci tient une place privilégiée, ne serait-ce que par l'abondance des récitatifs et la prédominance théâtrale du livret de Grimani.
Composé par un tout jeune homme de vingt-quatre ans, le dramma per musica renoue avec l'Incoronazione di Poppea, un des premiers chefs-d'œuvre lyrique et autre vision de l'histoire romaine gouvernée par les passions. D'emblée, le «Caro Sassone», acclamé par les Vénitiens au lendemain du succès d'Agrippina s'inscrit comme l'un des plus grands dramaturges, entre Monteverdi et Mozart. On pourrait résumer l'intrigue fort complexe de l'opéra de Haendel par les ruses des femmes de pouvoir et les hommes intoxiqués par l'amour. Certes, la musique nous ensorcelle pendant plus de trois heures et son chef Bernard Labadie sait insuffler aux Violons du Roy fougue et retenue, donnant des ailes à une phalange de chanteurs fort crédibles dramatiquement et vocalement très en forme. L'orchestre joue dans la fosse que l'on a quelque peu rehaussée pour les représentations, ce qui permet de voir et surtout de mieux entendre les instrumentistes. Le résultat est étonnant, tous se fondent dans cette musique jouissive, excessive à souhait, au lyrisme exacerbé. Au sommet, Lyne Fortin, sans jamais être outrancière – on lui reprochera sans doute d'être trop mesurée pour incarner ce personnage incandescent – campe avec habileté une Agrippine intrigante, assoiffée de pouvoir pour son fils Néron. Sa prestation est remarquable du début à la fin, on relèvera le grand monologue «Pensieri, voi mi tormentate !», alors qu'elle est plongée dans de sombres ruminations. Pas tout à fait sorti de l'enfance, toujours dans les jupes de son ambitieuse mère, Krisztina Szabo insuffle au fils la dimension juvénile idoine, jusqu'à dans sa démarche un peu gauche, bien loin de l'image que l'histoire laissera du futur empereur.
Poppée, «poupée» superficielle de Karina Gauvin est l'autre grande héroïne de la soirée. Il y aurait sans doute beaucoup à dire sur les relations entre l'impératrice ambitieuse et la courtisane abusée, avant que celle-ci – comme une chatte qui retombe sur ses pattes – assimile la leçon toute féminine du mensonge et de la perfidie. Son entrée très remarquée dans sa baignoire est tout à fait à propos avec son premier air, «Vaghe perle» admirable d'insouciance et de sensualité.
Le contre-ténor Daniel Taylor donne la pleine dimension au personnage d'Othon, dans son air «Voi ch'udite il moi lamento». L'amoureux langoureux, éconduit par la belle Poppée, déchu par Claude et délaissé de tous, est un être sensible, sentimental, préférant les beaux yeux de son amante au sceptre impérial. Il est aussi le seul personnage sincère, fidèle en amour et dévoué à l'empereur. Mais tous les hommes restent en retrait dans cet opéra. Claude, interprété par Kevin Burdette, personnage falot malgré la pompe romaine, est toujours dupe des intrigues où les «dessous féminins» le mènent par le bout du nez. On aurait souhaité une voix d'une autorité «impériale» sinon impérieuse pour ce rôle. Malgré certaines coupures inévitables – l'opéra fait tout de même trois heures vingt minutes sans les entractes – Agrippina est une grande réussite, sans doute plus vocalement que scéniquement.
Les décors amovibles et les changements à vue donnent une impression de mouvement incessant. Par contre, on se serait passé de l'écran qui diffuse les nouvelles d'»Agrippina Network» ou encore de la une de «The Roma Times». Ces insignifiances ne rajoutent pas grand-chose à la compréhension de l'intrigue. Il en est de même de l'arrivée de Claude à la fin du premier acte avec la foule qui l'observe avec des jumelles. Peut-être peut-on établir un lien ou un passage, de la tête de l'empereur Claude à celle de Néron. Décors modernes quelque peu aseptisés – il en est de même des costumes – mais efficaces qui permettent une mise en situation et mettent en valeur le jeu jamais statique des principaux protagonistes.
Mais retenons surtout les premières qualités que recèle ce spectacle. Elles sont dues aux voix remarquables de Lyne Fortin, de Karina Gauvin et de Krisztina Szabo qui nous offrent toutes les trois, des prestations de très haut calibre. La palme revient sans doute à son chef, gourmet et gourmand qui visiblement prend un plaisir fou auprès de la fascinante et luxuriante impératrice romaine. Le bonheur sous la baguette inspirée de Bernard Labadie est contagieux et il est à consommer sans modération. Et il se pourrait bien qu'il en soit le véritable héros.
Credit photographique : © Yves Renaud
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Montréal. 12-III-2005. Salle Wilfrid-Pelletier. Agrippina, dramma per musica en 3 actes de George Frideric Haendel (1685-1759) sur un livret attribué à Vincenzo Grimani. Mise en scène : Jacques Leblanc ; décors et costumes : John Conklin et Jess Goldstein ; éclairages : Matthieu Gourd. Avec : Lyne Fortin, Agrippina ; Krisztina Szabo, Nerone ; Phillip Addis, Pallade ; Michelle Sutton, Narciso ; Étienne Dupuis, Lesbo ; Daniel Taylor, Ottone ; Karina Gauvin, Poppea ; Kevin Burdette, Claudio. Les Violons du Roy, direction : Bernard Labadie.