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Présente-t-on encore Renata Scotto ? Depuis sa première Traviata sur la scène de l'opéra de Savona en décembre 1952 (elle avait alors 18 ans), la soprano n'a cessé de récolter les succès.
On se souvient de la production de la Sonnambula de Bellini à Edimbourg en 1957 avec Maria Callas dans le rôle d'Amina. Devant le succès, une représentation supplémentaire est projetée. Fatiguée, Callas refuse de chanter. Renata Scotto, alors âgée de 23 ans, s'acquitte triomphalement de remplacer la diva grecque. Ce sera le début d'une carrière internationale de plus de quarante ans durant lesquels elle chantera dans environ quarante-cinq opéras et créera une centaine de rôles. La soprano italienne avoue aujourd'hui ses soixante-dix ans. Toujours très active, elle donne des Master classes au Met ainsi qu'à la Juilliard School in New York, comme en Europe et au Japon. Depuis une vingtaine d'années, elle poursuit ses activités dans le monde du théâtre lyrique aussi comme metteur en scène. C'est à ce titre qu'elle était de passage à Berne (Suisse) pour diriger une nouvelle production de la Wally de Catalani. Elégamment vêtue d'une robe de soirée noire, souriante, affable, cultivant l'humour, c'est dans le foyer du Stadttheater de Berne, quelques minutes avant l'ouverture du rideau que la diva a répondu aux questions de ResMusica.
« Il faut des chanteurs avec de l'émotion et de l'enthousiasme. »
ResMusica : Quand vous dirigez une production, vous sentez-vous le besoin de donner des conseils aux chanteurs ?
Renata Scotto : Quand vous chantez, vous ne devez vous occuper que de votre voix, de votre comportement scénique et des conseils du metteur en scène. Un metteur en scène s'occupe de tout. Des lumières, des costumes, des décors, des chœurs, des chanteurs, des figurants, du chef d'orchestre. De tout. S'occuper de la mise en scène est une grande responsabilité.
La musique est à la base de toute ma carrière. Elle me guide. Connaissant mon expérience de chanteuse, les chanteurs me font confiance. Alors, bien sûr, parfois, on me demande un conseil sur un phrasé, sur une couleur de voix. C'était mon métier. J'ai des réponses à bien des problèmes pour les avoir rencontrés moi-même. Je les donne donc bien volontiers.
RM : Comment devient-on metteur en scène quand on est Renata Scotto ?
RS : Un peu par hasard. Au Metropolitan Opera de New-York, la direction me proposait pour l'énième fois de chanter Madama Butterfly. J'en avais assez de chanter ce rôle dans une production dont les décors, les costumes étaient poussiéreux. Je voulais autre chose. Alors, un peu excédés, mes directeurs m'ont dit : « Eh bien, dirige-la ! ». C'est ainsi que j'ai débuté dans la mise en scène. Au Met, c'était relativement facile parce que j'avais à ma totale disposition leurs équipes de costumiers, d'éclairagistes, de décorateurs. Absolument tout ce dont j'avais besoin. C'était en 1986.
L'année suivante, j'ai assuré la mise en scène de Madama Butterfly aux Arènes de Vérone. C'était moins facile et j'en ai gardé un souvenir mitigé. La scène de Vérone est immense, et les productions qui y sont montées demandent beaucoup de figurants pour la remplir. Je devais diriger pas moins de quarante-cinq geishas ! Et des geishas « italiennes » avec tout ce que cela comporte de tiraillements artistiques, humains et syndicaux. En plus d'un chœur démesuré et des ballerines partout. Un vrai cauchemar. Cette production m'a fait perdre cinq à six kilos… que j'ai repris depuis !
RM : Pourtant la mise en scène est un métier en soi. Comment expliquez-vous que vous ayez pu vous y insérer ?
RS : Je pense que « ma » Butterfly du Metropolitan a plu à quelques directeurs de théâtre qui m'ont engagé pour certaines de leurs productions. Comme c'est le cas pour cette production de la Wally de Catalani qui se joue ici à Berne avant d'être présentée dans la saison du Teatro Comunale de Bologne.
RM : « La Wally », c'est un opéra mythique pour vous ?
RS : En effet, j'ai débuté à la Scala de Milan en 1953 dans cet opéra. Je faisais le rôle de Walter, l'ami de Wally. J'avais alors 19 ans. Je ne me souviens plus de la mise en scène, mais d'après les quelques photographies que j'ai pu voir, cela ne devait pas être délirant ! Ce dont je me souviens par contre, c'est que je chantais à côté de la « déjà » immense Renata Tebaldi et de Mario del Monaco. C'était très impressionnant. Cela fait déjà cinquante ans… Mon Dieu, comme c'est déjà loin tout cela !
RM : Avez-vous abandonné le chant ?
RS : Oui. Bastà ! J'en ai fini avec le chant. On m'a encore proposé le rôle de la Comtesse dans la Dame de Pique. Mais je ne le ferai pas. Pourquoi faire un rôle de vieille ? Je suis déjà vieille. J'ai mis fin à ma carrière de chanteuse en créant le rôle de Klytaemnestra (Elektra) à l'Opéra de Baltimore en 2000. Maintenant, çà suffit ! J'ai laissé des documents sur ma voix alors qu'elle était intéressante, je ne vois pas l'utilité de la montrer telle qu'elle est aujourd'hui. Pour chanter, il faut le ressentir dans son corps. Je n'ai plus envie de me lever le matin pour vérifier si ma voix est encore là. J'ai envie de vivre ma vie de femme. D'être la grand-mère que je suis.
RM : Que pensez-vous de l'état du chant aujourd'hui ?
RS : Il n'y a aucune comparaison possible entre hier et aujourd'hui. Je ne suis pas de celles qui affirment que c'était mieux hier. Aujourd'hui les chanteurs manquent de temps pour se préparer. Il n'y a plus de concours pour qu'ils puissent se mesurer aux autres. Plus de théâtres de troupe dans lesquels ils peuvent apprendre leur métier avant de se présenter sur de grandes scènes. Pourtant, les chanteurs existent. Je pense à Renée Flemming, à Deborah Voigt ou au merveilleux ténor Marcello Giordani.
RM : Bien sûr, mais qui chante Verdi ?
RS : Le chant baroque est devenu un « marché porteur » et une mode. Beaucoup de chanteurs se sont engagés dans cette voie. On a ainsi réduit le nombre de candidats à la tradition du chant verdien ou à l'opéra italien en général. Et c'est aussi plus facile de chanter des œuvres baroques que d'interpréter les rôles verdiens ! Mais, il s'agit certainement d'une crise passagère. On reviendra à l'opéra italien et les chanteurs feront surface. Mais cela ne pourra se faire qu'à travers l'éducation. Pas du public, ce serait un peu difficile, mais avec les enfants.
RM : Comment jugez-vous les metteurs en scène actuels ?
RS : Beaucoup d'entre eux viennent du théâtre. Ils ne connaissent pas la musique et, avec leurs idées souvent farfelues, ils dénaturent les œuvres musicales, les compositeurs. Ces choses ne vont malheureusement pas changer du jour au lendemain.
RM : Que faudrait-il pour que l'opéra italien retrouve sa popularité ?
RS : Il lui faut des chanteurs « italiens » avec des nuances, des couleurs de voix, de l'émotion et de l'enthousiasme. Aujourd'hui, on s'attache trop au respect total de la partition. Les chefs d'orchestre dépiautent les partitions des compositeurs dans leurs plus petits détails, allant jusqu'à regarder au verso de celles-ci pour voir si le compositeur n'y aurait pas ajouté une note ou un accord ne figurant pas au recto ! Occupés à cette vénération quasi religieuse du compositeur, la note n'exprime plus le mot, l'intention, l'accent. On ne joue plus la musique des opéras pour en exprimer l'émotion. Elle s'extériorise avec la « longue note », cette note comme Franco Corelli, par exemple, la chantait. La note qu'on applaudit, c'est si bon et si expressif.
Pour que l'opéra italien retrouve sa vérité, il faut qu'il redevienne italien. Avec ses excès. Alors il déclenchera l'enthousiasme. Et de l'enthousiasme des foules renaîtront les chanteurs. Il faut moins s'en tenir à la forme et plus s'intéresser au fond. Ne jamais oublier que l'opéra est du théâtre lyrique. Et dans théâtre lyrique, il y a théâtre et lyrique. La parole ET la musique !