La Scène, Opéra, Opéras

L’opéra dans son plus simple appareil

Plus de détails

Montréal. Théâtre Maisonneuve. 9-II-2005. « Une nuit à l’opéra ». William Walton (1902-1983) : The Bear. Antonio Salieri (1750-1825) : The Little Harlequinade. Peter Schickele (1935) : A little Nightmare Music. Mise en scène : Alexandre Marine et Anne-Catherine Lebeau. Direction technique et éclairage : Anne-Catherine Simard-Deraspe. Scénographie et conception des costumes : Jasmine Catudal. Tableaux : Natasha Turovsky. Répétitrice (piano) : Emily Hamper. Avec  : Allison Angelo, soprano ; Michelle Sutton, mezzo-soprano ; Nils Brown, tenor ; Phillip Addis, baryton ; Marc Belleau, basse. I Musici de Montréal, direction : Yuli Turovsky.

L'excellente initiative de l'ensemble de Montréal de proposer des opéras rarement joués ou ne faisant pas partie du répertoire courant revient à son chef . On se souvient que l'an dernier, le même ensemble avait connu un franc succès avec l'opéra Alexandre Bis de Bohuslav Martinu.

Yuli Turovsky - Photo (c) DR

Cette année, trois opéras de dimension modeste avec peu de personnages et d'ambiance fort différente meublent agréablement deux petites heures de musique. En première partie, une œuvre du vingtième siècle, The Bear de , après l'entracte, deux œuvres issues de la même époque, Eine Kleine Nachtmusik de Mozart et The Little Harlequinade de Salieri. Mais si toutes les musiques sont authentiques, les deux dernières ont subi une transposition, une adaptation par des mains étrangères. Ces petits opéras en un acte ne réclament pas obligatoirement de décors spécifiques – quelques coussins, un lustre, des chaises, une toile peinte font l'affaire – la mise en scène quant à elle, se joue des poncifs et exige que les comédiens/chanteurs déploient toute la palette de leur art. Si les trois opéras sont chantés en anglais et donnent du moins par l'idiome utilisé, une unité apparente, on retiendra, surtout dans la deuxième partie, – a déserté la fosse d'orchestre et joue sur scène – le jeu parfois insolite de l'ensemble, décentré et éloigné de sa source pour le petit opéra comique de Salieri, et carrément iconoclaste pour Mozart.

Ensemble I Musici - Phot (c) DRLa première œuvre au programme, The Bear (L'Ours) de sur un livret du compositeur et de Paul Dehn d'après la pièce d'Anton Tchekhov, se limite à trois personnages : Popova, une jeune veuve, Smirnov, un propriétaire terrien qui court après ses débiteurs pour rembourser ses propres créanciers et Luka, le valet de Popova. C'est un petit opéra comique, le plus consistant de la soirée, une œuvre rafraîchissante et sans prétention. On retiendra l'excellente prestation de la mezzo-soprano Michelle Sutton qui campe le personnage haut en couleur de la veuve, bien entourée par en Smirnov, belle voix de baryton et la basse Marc Belleau dans le petit rôle du valet de madame. L'opéra fait à peine trois-quarts d'heure, le temps que Smirnov mette un terme au délai de viduité et découvre sous les crêpes noirs et les voiles austères qui recouvrent la charmante silhouette de la veuve, les beaux bras blancs et un cœur plein d'amour. Pour apprivoiser cette jeune femme qui s'obstine à vivre recluse dans ses souvenirs – pourtant les lettres d'anciennes maîtresses retrouvées, confirment qu'elle fut copieusement trompée pendant son mariage – il avouera son amour tandis qu'elle le provoquera en duel. L'œuvre n'est pas dépourvue d'humour : restée fidèle, elle s'emmure chez elle mais n'oublie jamais de se maquiller le matin ! Quelques motifs dans l'écriture orchestrale rehaussent cette partition, avec des clins d'œil à Poulenc dans la ligne vocale, jusqu'à la citation musicale de La Danse des sept voiles de lorsque l'on évoque la princesse Salomé. Mais surtout, ce sont les airs de Popova que l'on retient. Dès son entrée sur scène, toute vêtue de noir, c'est la sensualité de la jeune femme qui transparaît. Michelle Sutton, qui a le physique de l'emploi, se joue des états d'âme, passant sans transition de la tristesse feinte à l'exaltation la plus débridée. Il est dommage que l'opéra n'ait pas de ressorts dramatiques assez puissants pour en faire une œuvre viable, particulièrement au finale, où le spectateur reste interdit et se demande si la pièce est vraiment terminée. Univers très éloigné de Troilus and Cressida, le seul opéra plus ou moins connu du compositeur anglais ou mieux, l'oratorio Belshazzar's Feast.

The Little Harlequinade d', livret adapté de l'original par Fritz Schröder, traduit en anglais par Greta Hartwig, est une saynète musicale de douze minutes dans la tradition de la commedia dell'arte (Harlequin, Brighella et Columbine), intégrée dans l'opéra Axur, Rè d'Ormus (1788), adaptation viennoise de Tarare (1787), opéra français en 5 actes sur un livret de Pierre Augustin Caron de Beaumarchais. Il y a peu à retenir de ce «sketch lyrique», où Arlequin et Brighella font une cour assidue à la belle et séduisante Colombine. Mais lorsque celle-ci se déguise en une vieille femme laide, aucun des deux prétendants ne lui accorde la moindre attention. Moralité de cette pochade : «l'honnêteté et la sincérité dans les affaires du cœur sont plus importantes que l'aspect extérieur qui n'est que superficiel». L'œuvre est ténue comme les pailles que les deux prétendants préparent pour le tirage au sort. Allison Angelo en Colombine possède une belle voix de soprano. La musique, loin d'être exceptionnelle, appartient à la tradition des intermezzi, elle reste peu élaborée et assez conventionnelle.

Peter Schickele – celui qui a sorti malencontreusement du fond d'un puits un «compositeur prodigieusement absurde» le dernier et certes le moindre de la très nombreuse progéniture, et honte de la famille de J. S. Bach – le P. D. Q. Bach (1807-1742 ?) en question, ose superposer la ligne vocale irrévérencieuse au Eine Kleine Nachtmusik, intitulé A little Nightmare Music. Il s'agit de deux airs, d'un duo et d'un final. Nous savons que la concision est souvent garante de succès. Cette miniature ne fait pas exception à la règle. Cela se veut parodique à souhait et «s'inspire» si l'on peut s'exprimer ainsi «d'un rêve qu'aurait fait P. D. Q. Bach dans la nuit du 4 décembre 1791, la nuit où est mort et où est demeuré vivant». Alors, toute la vérité sur les circonstances entourant la mort du grand compositeur autrichien nous sera-t-elle enfin révélée ? La seule chose authentique, c'est la musique de Mozart sur laquelle le texte plus loufoque qu'irrévérencieux de Schickele devient paraît-il, une petite musique de cauchemar. On apprend ainsi que Mozart n'avait aucun sens pratique, que les contingences matérielles ne l'intéressaient pas. Salieri, qui lui avait le sens de la mesure, donne une leçon hautement philosophique par des paroles toutes remplies de sagesse : «Pour réussir dans la vie, il faut coucher avec les bonnes personnes, il faut savoir qui embrasser et où !» Mais P. D. Q se voit dans le rôle ingrat d'un serviteur malhabile, versant le vin – plutôt le poison – à Mozart. On aurait pu le deviner ! Le mauvais goût mène au crime.

À l'instar des Marx Brothers dont le film emblématique – A night at the opera de Sam Wood, – rappelle par quelques traits caricaturaux cette autre nuit à l'opéra, il est utile voire impérieux en ce temps maussade de février de retrouver le temps d'une soirée, la bonne humeur, de se médicamenter contre tous les maux. Cette nuit à l'opéra offre de la vitamine C contre la grippe virale, de l'énergie pour combattre l'anémie et le temps gris qui nous assaille.

Il reste donc à espérer que et persistent et signent dans cette voie qui leur restera ouverte pendant plusieurs années, et proposeront encore, hors des sentiers battus, des perles – dans tous les sens du terme – pour notre plus grand plaisir.

Crédit photographique : © DR

(Visited 201 times, 1 visits today)

Plus de détails

Montréal. Théâtre Maisonneuve. 9-II-2005. « Une nuit à l’opéra ». William Walton (1902-1983) : The Bear. Antonio Salieri (1750-1825) : The Little Harlequinade. Peter Schickele (1935) : A little Nightmare Music. Mise en scène : Alexandre Marine et Anne-Catherine Lebeau. Direction technique et éclairage : Anne-Catherine Simard-Deraspe. Scénographie et conception des costumes : Jasmine Catudal. Tableaux : Natasha Turovsky. Répétitrice (piano) : Emily Hamper. Avec  : Allison Angelo, soprano ; Michelle Sutton, mezzo-soprano ; Nils Brown, tenor ; Phillip Addis, baryton ; Marc Belleau, basse. I Musici de Montréal, direction : Yuli Turovsky.

Mots-clefs de cet article

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Reproduire cet article : Vous avez aimé cet article ? N’hésitez pas à le faire savoir sur votre site, votre blog, etc. ! Le site de ResMusica est protégé par la propriété intellectuelle, mais vous pouvez reproduire de courtes citations de cet article, à condition de faire un lien vers cette page. Pour toute demande de reproduction du texte, écrivez-nous en citant la source que vous voulez reproduire ainsi que le site sur lequel il sera éventuellement autorisé à être reproduit.