Deborah Voigt : perdre conscience… volupté suprême
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Toulouse. Théâtre du Capitole le 03-II-2005. Richard Wagner (1813-1883) : Ouverture de Tannhäuser, Mort d’Isolde. Richard Strauss (1864-1949) : Quatre derniers Lieder. Arnold Schönberg (1874-1951) : Pelléas et Mélisande, poème symphonique d’après Mæterlinck. Deborah Voigt, soprano. Orchestre National du Capitole de Toulouse, direction : Daniel Klajner.
Magnifique programme allemand, présenté un peu abusivement comme un récital Deborah Voigt alors que la partie chantée n'occupait guère plus d'une trentaine de minutes, et dont la pièce de résistance était le trop rare Pelléas et Mélisande composé en 1903 par un Schönberg qui n'avait pas encore cédé au dodécaphonisme ; musique tonale, d'une incroyable luxuriance harmonique et polyphonique, sorte de symphonie en quatre mouvements imbriqués suivant pas à pas le déroulement du drame et dont l'idée lui avait été suggérée par Richard Strauss.
Daniel Klajner, dont les qualités de chef ont été très modérément appréciées par le public toulousain dans le Don Giovanni donné au théâtre du Capitole, montre ici une bonne volonté évidente – il a d'ailleurs dirigé par cœur, ce qui est certes un détail mais aussi un exploit étant donné la longueur et la complexité de la partition. L'œuvre est émouvante, belle, d'une expression intense, parfois austère ; son pouvoir émotionnel est si fort que, seulement mise en place, elle ne peut que toucher. Et cela n'a pas manqué d'arriver : malgré un manque de tenue orchestrale nettement audible dans certains solos guère soignés, et une direction sans grand relief ni sens de la progression dramatique – d'où un certain enlisement dans le Quasi adagio – ce Pelléas a sans doute été une heureuse découverte pour la plupart des spectateurs. Assez, sans doute, pour faire oublier une Ouverture de Tannhäuser moins que banale, lourde et poussive. La direction de Klajner appelle ici les mêmes réserves que pour son Don Giovanni. D'abord, une sorte de legato continuel gomme les accents et alourdit les phrases – l'aplatissement des staccatos transformait le thème du Venusberg en parodie de marche militaire teutonne. Dans le même temps, ce sostenuto mal maîtrisé masque les carrures et la netteté rythmique -la pulsation reste flasque- tandis que l'absence de discipline orchestrale tend à écraser les plans sonores : la reprise du motif des pèlerins, pourtant jouée par toute l'harmonie, perçait à peine les gammes des violons censés l'accompagner.
Dans les Quatre derniers Lieder, cette absence de plans sonores produisait un résultat fâcheux : un crépuscule éclairé au néon. D'autant que la voix de Deborah Voigt, puissante, marmoréenne, n'est pas nécessairement de celles que l'on attend dans l'œuvre. Depuis Flagstad -la créatrice pourtant- les grandes voix wagnériennes semblent n'avoir jamais vraiment percé le secret des subtilités de cette poésie ; la lumière et la gloire de cette voix athlétique produisent un curieux effet mariées aux vers nostalgiques de Hesse et Eichendorff :
« Ô vaste et silencieuse paix,
Si profonde au couchant !
Comme nous sommes las d'errer –
Est-ce cela, peut-être, la mort ? »
Pas le moindre frémissement, un chant hiératique, lisse, long et puissant, beau sans doute, mais dont la lumière sans ombre paraissait bien peu en situation. Ce sentiment nocturne, Deborah Voigt en trouvait le frémissement intime dans l'abandon d'Isolde à l'inconscience, au désir qui la submerge, à la mort. Nuancée ici, parce que le support du théâtre lui convient sans doute mieux, la voix profite de sa longueur pour développer les phrases dans un souffle incroyable, exprimant la succession de flux et reflux dans lesquels se noie Isolde, laissant l'auditeur pantelant et enivré. Et le legato de la direction de Klajner, grâce aussi aux belles couleurs de l'orchestre du Capitole, paraissait en situation.
Mais dix minutes de vrai bonheur musical, n'est-ce pas un peu chiche ? Cette voix véritablement, profondément, wagnérienne, aurait mérité qu'on l'entende plus et mieux, dans un répertoire qu'elle sert excellemment – on aurait rêvé d'une Immolation de Brünnhilde pour notre plus grand bonheur.
Crédit photographique : © théâtre du Capitole, Patrick Riou
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Toulouse. Théâtre du Capitole le 03-II-2005. Richard Wagner (1813-1883) : Ouverture de Tannhäuser, Mort d’Isolde. Richard Strauss (1864-1949) : Quatre derniers Lieder. Arnold Schönberg (1874-1951) : Pelléas et Mélisande, poème symphonique d’après Mæterlinck. Deborah Voigt, soprano. Orchestre National du Capitole de Toulouse, direction : Daniel Klajner.