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Traviata de glace pour Fenice flamboyante

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Venise. théâtre de la Fenice. 18-XI-2004. Direct Arte. « La Traviata » de Giuseppe Verdi. Mise en scène : Robert Carsen. Patrizia Ciofi (Violetta), Roberto Saccà (Alfred), Dmitri Hvorostkovsky (Germont), Orchestre de Chœur de la Fenice, direction musicale : Lorin Maazel.

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Saluons Arte qui ose ce que les autres chaînes ont oublié depuis longtemps : l'opéra en heure de grande écoute, de surcroît en direct et à partir de 19h, avec dans le temps des entractes, des reportages cousus main en parfaite entente avec le sujet diffusé. 

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Ici, une enquête maison de grand style sur la rénovation du théâtre de la Fenice qui nous accueille ce soir, où rien ne vous est caché : les peintres et les décorateurs, les menuisiers et les sculpteurs… où l'on apprend – merci la seule chaîne culturelle du PAF ! –, que la salle a été reconstruite à l'identique de son dernier état perdu lors de l'incendie de 1837 (avant le dernier de 1996) toute faite de bois de mélèze (vieilli s'il vous plaît), constituant une idéale caisse harmonique … que la surabondance des ornements (en papier mâché compressé) fonde l'identité du lieu : par ses références néo classiques et néo versaillaises, qui accumulent l'esprit du rocaille Français et l'élégance de l'Empire, elle exprime l'idée de la gloire Vénitienne. Et devant le résultat qui s'épanouit malgré la dimension de notre petit écran, nos yeux restent ébahis : les vénitiens ont relevé le défi. Tout y paraît indiscutable, digne de la ville qui créa l'opéra public (en 1637), à la mesure d'une scène qui vit la création d'une certaine … « Traviata » (et oui ! en mars 1853) ; prête (enfin) pour titiller sa concurrente italienne, la Scala de Milan ?

Donc une soirée comme on les aime où la culture vivante nous est donnée en partage ! Oui pour la télé qui rentre dans les temples de l'art et nous offre quelques instants de pure magie … Donc, plateaux-repas préparés, attention décuplée, en route pour une soirée lyrique qui nous rappelle ce que nous avions… il y a très (trop) longtemps, vécu, aimé et qui nous avait façonné le goût à nous pauvres adolescents encore jeunes mélomanes, – quand France 2 (à l'époque « Antenne 2 ») diffusait les opéras de l'été, Orange et Aix en Provence entre autres.

Magie, vous avez dit magie ? Hélas, cette Traviata, première production « inaugurant » une Fenice rutilante sous les ors et les lustres, nous inflige une vision désenchantée d'une histoire romantissime par excellence, d'après Alexandre Dumas. Où sont les rideaux de velours, les meubles Second Empire, les robes à panier, les coiffures, les grands trumeaux de glace dans le style Régence ? Où sont les images Zeffirelliennes qui continuent de bercer notre mémoire? Pas l'ombre d'une couleur chaude ! Rien que la froideur glaçante d'une galerie de portraits où la solitude le dispute à l'esprit de sacrifice. est fidèle à son « esthétisme » : lumières acides et crues, scène jetée dans le noir, décor à l'économie voire à l'austérité… Pourtant dans notre souvenir, ses mises en scènes pour l'Opéra de Paris, qu'il s'agisse des Boréades récentes à Garnier ou des Contes d'Hoffmann à Bastille (de loin ce qu'il a réalisé de mieux !), n'empêchaient pas quelques tableaux de poésie pure…

Ici, une vision déshumanisée de la vie, pas un indice de tendresse compassionnelle. Tout est régenté par l'argent : une manne maléfique qui tombe comme des feuilles mortes faisant tapis sur les planches (Acte II). Traviata est une victime à répétition qui meure entre une télé aveugle et des échafaudages de plâtriers (Acte III). Plus irritante de notre point de vue, cette volonté d'actualisation qui atteint ici comme ailleurs ses pics de vulgarité : avait-on réellement besoin de convoquer le Crazy Horse ou le Lido de Paris comme il vous plaira, pour le chœur des Gitans (fin du II)? Du sexe dans la mouvance du « porno chic » (bien qu'aujourd'hui démodé) pimente une lecture régénérée, dépoussiérée, agaçante à force de « sophistication tendance ». Tout cela fonctionne mal. Pour certains, nous paraîtrons « old fashion » : la Traviata reste un mythe de l'amour romantique et « l'attaquer » de cette manière, égratigne la patine qui fait son indicible attrait. Pour nous, Violetta ne peut mourir que sous d'immenses drapés, ce en quoi Zeffirelli avait touché juste.

Pour l'heure, l'attraction de la scène retransmise par le filtre télévisuel opère : plongés au cœur d'une histoire « chromo XIXeme » prenante, notre attention se fixe sur les voix. Le plateau est plutôt faible mais ne démérite pas : Dmitri Hvorostkovsky s'époumone souvent, forçant les accents d'un Germont plutôt caricatural sous ses faux airs de professeur bolchévique lunetteux ; Robert Saccà est un Alfred assez inconsistant, au style empoulé ; seule, la Violetta de Patricia Ciofi, à force d'émotivité sincère, nous émeut. Mais la voix a faibli – depuis sa première Traviata sous la baguette de Ricardo Muti en 1997 à la Scala de Milan, et le timbre éreinté atteint souvent ses limites… Si la chanteuse ne ralentit pas le rythme de ses engagements, sa longévité vocale pourrait en prendre un coup.

Nous l'avions entendue dans le Couronnement de Poppée au Théâtre des Champs Elysées (lire notre critique en cliquant ici) : sa « Poppée » était loin de convaincre. Dans la fosse, quant à lui, dévoile une intégrité à toute épreuve, insufflant à l'orchestre et au chœur locaux, le nerf nécessaire.

Qu'importe le flacon… si seule compte l'ivresse ? N'en déplaise aux oreilles les plus exigeantes, nous ne jouerons pas les critiques acerbes. Il nous reste de cette soirée le sentiment d'avoir vécu un direct parfaitement géré, avec pour accompagnatrice stylée, Anette Gerlach, pimpante et vive comme à son habitude maniant les langues et les interviews (dont celle de soi même), avec astuce et humour, toute galbée dans sa robe rouge. Pour elle, on en redemande. D'ailleurs, le rendez-vous est pris, le 1er janvier 2005, même lieu, même chaîne. Et c'est Georges Prêtre qui mènera la danse.

Crédit photographique © Michele Crozera

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