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Saïd El Meftahi : le Melhoun ou la mélodie naît du verbe

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Dans une approche toujours plus régulière des grandes musiques du Monde, ResMusica s'intéresse ici au travail d'un des Maîtres actuels du Melhoun.

« Les Maîtres du Melhoun sont poètes, chanteurs, musiciens ou chercheurs – ceux qui rassemblent et expliquent les textes -, la difficulté réside dans l'écriture d'une complexité d'interprétation poétique »

Cet art purement marocain de la poésie chantée instrumentale associe dorénavant la tradition orale à un enseignement universitaire dont est un des plus grands représentants. Après avoir conquis tout le Maghreb par l'intermédiaire des chaînes câblées, le voici prêt à séduire ce qu'il considère lui-même comme une des plus grandes places culturelles au Monde : Paris et ResMusica accueillent le Maître et s'intéressent alors à son art…

ResMusica : Qu'est-ce que le Melhoun ?

 : C'est un genre musical dont l'apprentissage s'inscrit dans la tradition orale et qui s'adresse à toutes les couches de la société, même s'il reste très raffiné dans son élaboration. Son approche est surtout littéraire mais avec des interprétations qui peuvent être entendues à tous les niveaux de compréhension. Il détient de ce fait une poétique de très grande valeur artistique et est aussi une invitation permanente à l'élévation spirituelle.

RM : Dans cette approche littéraire, quelle est la technique d'écriture des textes du Melhoun ?

SEM : Il existe des textes en prose, « aux ailes brisées », « Moqsor Jnâh'» ou bien rimés, « Lmbiet », et les « Interprétations » « Tarjamat » destinées à l'édification de l'être humain, comme dans la poésie arabe classique. La Poésie arabe a un code d'écriture de seize pieds avec des règles très précises. Le Melhoun en contient davantage encore lui conférant ainsi une richesse plus grande.

RM : Comment alors discerner le Melhoun de la poésie arabe classique ?

SEM : La particularité du Melhoun s'inscrit dans l'utilisation de l'arabe dialectal qui n'est pas le langage courant, il est métaphorique et intellectuel. Un texte s'écoute avant de le comprendre, vous le recevez comme un tableau qui vous envoie des tâches de couleurs avant de discerner le sens des formes. Le poète va choisir trois niveaux d'accessibilité : les grandes paroles ou « Kalame Kebir » sont pour l'élite culturelle, les paroles blanches « Kalame Lebid » s'adressent par contre à tout le monde et la troisième est exclusivement réservée au dialogue avec les représentants de la religion.

RM : Votre art n'est donc pas issu que de la tradition orale ?

SEM : Il y a toujours un auteur pour un poème, et nous connaissons presque toujours l'identité véritable de cette signature. Il existe beaucoup d'auteurs depuis des siècles. Mais il faut savoir que les Maîtres du Melhoun sont soit poètes, chanteurs, musiciens ou chercheurs – ceux qui rassemblent et ceux qui expliquent les textes -, la difficulté réside dans l'écriture d'une complexité d'interprétation poétique.

RM : Quand devient on Maitre du Melhoun ?

SEM : Au moins après dix ans d'études au Conservatoire de Musique, c'est une vie entière dédiée à l'entente mutuelle ; l'élève s'instruit et s'imprègne de l'enseignement et ce n'est alors que quelques jours après la mort du professeur que l'élève ose prendre son titre. Ceci est symboliquement très important. Je n'aurais jamais pu être chef d'orchestre avant la mort du Cheikh. Sans professeur un musicien ne peut accéder au titre de Maître et je me souviens que quand j'ai reçu mon premier salaire de chef, j'ai offert à mon Maître un superbe costume traditionnel en reconnaissance de son enseignement et pour qu'il sache que j'étais toujours son élève et ne me dégagerai jamais de son obéissance.

RM : Votre art est-il enseigné au conservatoire ?

SEM : Oui, beaucoup d'élèves s'intéressent à ce style, mais comme partout il n'en reste qu'une poignée qui perdure à la fin de notre cycle d'enseignement.

RM : Ce style de musique est-il particulier au Maroc ? ou bien s'étend-il à toute la Méditerranée ? 

SEM : Le berceau original est le Maroc. Mais le Melhoun s'est étendu par exemple à l'Algérie avec le « Chaâbi » ou à la Tunisie où on l'appelle le « Malouf » et dans la péninsule arabique le « Fan el Hakki ». Il faut aussi rappeler que l'empire Ottoman a régné cinq siècles dans les pays arabes du Maghreb à l'exception toutefois du Maroc. Il y persiste un lien réciproque musical, comme dans la musique arabo-andalouse actuelle. Nous pensons qu'il est temps de reconnaître nos racines originales culturelles et de défendre une identité musicale propre. Par extension, les supports comme l'Internet ou la télévision câblée diffusent nos musiques avec un risque de dilution culturelle qui nous ferait à terme perdre un patrimoine précieux.

RM : Votre art se rapproche-t-il de la musique arabo-andalouse ? 

SEM : La musique arabo-andalouse est une musique savante écrite pour les Palais raffinés où les textes en arabe classique y sont au second plan. Le Melhoun est issu de cette culture mais à la différence que le chant poétique est écrit en arabe dialectal très littéraire, et la partie musicale est de ce fait mise au deuxième plan sans être toutefois négligée.

RM : Le monde arabe a été présent durant sept siècles en Espagne, et comme les Séfarades, les Musulmans ont été obligés de partir, comment cette culture musicale a-t-elle eu une pérennité ?

SEM : La musique juive a joué un rôle important certes au Maroc dans l'implication culturelle au même titre que la musique arabo-musulmane. Notre identité musicale est de ce fait très imprégnée de cet héritage. Les textes juifs ou musulmans sont écrits pour la même musique. Les plus grands chanteurs du Melhoun peuvent aussi être de religion juive et considérés comme de véritables références historiques et musicales par exemple Cheikh Zouzou, Saoud Daoud, Albert Souissa, Zahra el Fassia, et Salim El Hilali, Samy El Maghreby plus connus sous nos latitudes etc … Tous ont interprété des poésies ou « Qasaîds du répertoire melhounien.

RM : Avez vous une recherche d'authenticité pour la re création musicale comme peuvent le faire les musiciens baroques ou bien votre démarche s'imprègne d'une évolution musicale européenne ?

SEM : Il est intéressant de constater qu'en Europe les gens qui s'y intéressent font partie de l'élite intellectuelle. Nous n'avons pas besoin de faire des recherches particulières sur l'instrumentation ou sur la technique musicale, nos instruments sont ceux qui ont toujours été utilisés et notre façon de chanter s'inscrit sans interruption dans la tradition orale.

RM : Le Melhoun qui se différencie des musiques séfarades et andalouses par une approche plus littéraire voir intellectuelle, a-t-il aussi dans sa vocation spirituelle un fort rôle de transmission de la pensée religieuse ?

SEM : Les poèmes traitent tous les sujets relatifs à l'être humain, que ce soit social, politique, amoureux ou religieux, et notre Art est – plus que tout – un art qui invite à la Tolérance, seule prime la musicalité du poème.

RM : Pour en revenir à la musique : Au Maroc, avez vous des Maîtres qui s'occupent de vos instruments ? Comme en Europe certains facteurs se sont spécialisés dans la réplique exacte d'instruments d'époque…

SEM : Au Maroc il existe des lieux spécifiques pour trouver un instrument. Ces lieux ne sont toutefois pas érigés de la même façon qu'en Europe. En entrant ici (la France), je suis émerveillé, et je pense qu'il faudrait qu'au Maroc on puisse faire une opération de sauvetage de la profession des facteurs d'instruments, il sont âgés et leur savoir est forcément en train de disparaître. Faire par exemple une exposition en Europe de leurs fabrications. Certains grands Maîtres travaillent chez eux, et par exemple un des plus grands représentants de la facture instrumentale ne fabrique qu'un seul oud par an.
Il est important de connaître cette situation, en Europe la musique a l'air facile d'accès, mais quelque fois la motivation n'est pas orientée dans le même sens.

RM : Avez vous des rendez vous musicaux à nous proposer dans les mois qui viennent ? 

SEM : Si je suis actuellement en France et ai envie de m'y installer durablement c'est que je pense que Paris est une capitale culturelle incontournable et que la France saura m'aider à trouver les moyens de diffuser plus largement un savoir qui mérite de l'être. J'ai dans l'optique de développer plusieurs actions. La première est de contribuer au rassemblement des textes. Le deuxième est d'offrir une traduction de ces textes en français et notamment à travers les livrets des enregistrements que je serai amené à réaliser bientôt. Une troisième action consisterait en la réalisation d'un site Internet où tous les grands acteurs du Melhoun trouveraient leur place. On peut imaginer que les textes traduits soient disponibles ainsi que des échantillons sonores garants de la représentativité de cet art. Pour commencer, un CD est tout juste sorti ce mois-ci en France !

Propos recueillis le 03 novembre 2004 à Paris et avec l'aide de Michaël Chik, traducteur.

Crédits photographiques : © DR

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