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Felicity Lott une grande Duchesse au Châtelet

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Paris. Théâtre du Châtelet. 05-X-2004. Jacques Offenbach : La Grande-Duchesse de Gérolstein. Felicity Lott (La Grande-Duchesse), Sandrine Piau (Wanda), Yann Beuron (Fritz), Franck Leguérinel (Baron Puck), Éric Huchet (Prince Paul), François Le Roux (Général Boum), Boris Grappe (Baron Grog), Alain Gabriel (Népomuc), Christophe Grapperon (Le Notaire, Chef de chœur). Chœurs et Orchestre des Musiciens du Louvre – Grenoble, Marc Minkowski (direction). Laurent Pelly (mise en scène et costumes), Chantal Thomas (décors), Laura Scozzi (chorégraphie), Joel Adam (lumières).

L'opéra-bouffe « La Grande-Duchesse de Gérolstein », comédie du pouvoir et de la guerre emblématique du Second Empire, revient sur la scène du Châtelet après vingt-trois ans d'absence. La dernière production en 1981 signée Robert Dehry avait vu briller Régine Crespin. Cette fois c'est avec qu'elle fera les beaux soirs de l'automne et des fêtes de fin d'années.

© M.N. RobertElle prend, en regard de l'actualité, un relief particulièrement savoureux.

De contenu moins poétique que « La Belle Hélène » dont le spectacle réalisé en 2000 par le Châtelet et repris deux fois avec un égal succès grâce au travail d'une équipe reconduite pour ce nouveau destin, « La Grande-Duchesse de Gérolstein » est indissociable de son contexte historique. Créée à Paris en 1867, année de la deuxième Exposition Universelle, trois ans avant le désastre de 1870 dans un Second Empire finissant qui mourra par les armes, la comédie grinçante de Meilhac, Halévy et Offenbach avec dans le rôle-titre la mythique Hortense Schneider, fit courir autant public et souverains que le Palais de l'Industrie et le Pavillon de l'Empereur qui s'élevaient sur le Champs de Mars. Jean-Pierre Brossmann, directeur du Châtelet, a bien fait de reconduire son équipe soudée et gagnante, , et , ainsi que quasiment les mêmes chanteurs, pour cette nouvelle entreprise, car le résultat est à la hauteur des espérances, encore meilleur que pour « La Belle Hélène » : un spectacle drôle et grinçant, d'une perfection scénique absolue, et qui, malgré les quelques faiblesses inhérentes au genre, captive l'intention à chaque seconde. L'œuvre avec ses trois actes comporte des intermèdes qui sont, on ne veut rien dévoiler au spectateur et à l'acheteur du futur DVD potentiels, de petits bijoux de pantomime. Les scènes d'ensemble sont désopilantes comme le grand final du II, le délirant Carillon de ma grand-mère dansé comme un cancan dans la grande tradition offenbachienne par une troupe déjantée selon une chorégraphie réglée par à la manière d'un horloger suisse. Rarement on a pu voir un travail réalisé avec autant de minutie, de perfection, fonctionnant de façon aussi efficace et ce dès la première représentation. Il est vrai que le spectacle avait subi comme rodage, une semaine avant l'inauguration de la nouvelle Maison de la culture de Grenoble (MC2). Le décor de évoque des paysages militaires désolés et surtout le palais ce grand-duché de fantaisie totalement délabré, schizophrène même, à l'image de cette souveraine écervelée et tyrannique, satyre des roitelets de l'Europe fractionnée du XIXe siècle finissant et encore Ô combien efficace dans le contexte politique actuel !

Ces représentations bénéficient des plus récents progrès de la musicologie offenbachienne car la partition utilisée est celle réalisée par notre spécialiste national Jean-Christophe Keck, dite partition « originelle », reprenant l'exact contenu de la soirée de la création avant les modifications réalisées pour les suivantes. Cela nous vaut un acte III plus complet avec ses deux grands volets séparés par un galop et des airs dont la Méditation de la Grande-Duchesse au début du III, probablement jamais entendue depuis la première de l'œuvre, ajoutant un plus indéniable à la psychologie du personnage. L'air de la plume au II ainsi que le trio de la conjuration qui est une parodie de la Bénédiction des poignards des « Huguenots » de Meyerbeer, sonneront aussi comme nouveaux aux habitués de la version dite « de Paris » ou de celle dite « de Vienne », utilisées jusqu'alors.

C'est qui incarne avec un charme infini, sans aucune concession au style « diva d'opérette » qui a fait long feu, avec un bonheur apparent et un instinct qui est celui des grands artistes, le personnage de cette Grande-Duchesse blasée, capricieuse et nymphomane. Beaucoup plus à l'aise que dans « Hélène » qui forçait son naturel humoristique et sa grande simplicité, elle se tire avec honneur d'un rôle dont elle n'a pas vraiment les moyens vocaux, avec un panache et un charme qui forcent l'admiration. L'ensemble de la distribution est à la hauteur, même si vocalement on peut globalement déplorer une insuffisance de format vocal. Le trio burlesque des conspirateurs, (Puck), (Paul) et surtout (Boum), est irrésistible et incarne le touchant personnage de Fritz obligé d'évoluer au grès des caprices de la Grande-Duchesse avec une sincérité sur le fil du rasoir. accompagne tout ce monde à la tête de son ensemble – Grenoble avec le savoir-faire qu'on lui connaît dans cette musique Ô combien fragile dont il s'est fait une spécialité. On peut cependant déplorer qu'il ait trop étoffé son orchestre d'instruments tous romantiques de trente-cinq musiciens soit, à ses dires, un peu supérieur à ce dont Offenbach disposait au Théâtre des Variétés, et surtout de les diriger à un niveau sonore qui couvre trop souvent les chanteurs dont on a dit les limites vocales. Mais, chapeau bas à une équipe dont on espère qu'elle fera encore longtemps autant pour la bonne santé de notre riche patrimoine dans ce répertoire qui semble, en ce début de siècle, ne plus être l'enfant sacrifié qu'il a trop longtemps été.

Crédit photographique : © M.N. Robert

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Paris. Théâtre du Châtelet. 05-X-2004. Jacques Offenbach : La Grande-Duchesse de Gérolstein. Felicity Lott (La Grande-Duchesse), Sandrine Piau (Wanda), Yann Beuron (Fritz), Franck Leguérinel (Baron Puck), Éric Huchet (Prince Paul), François Le Roux (Général Boum), Boris Grappe (Baron Grog), Alain Gabriel (Népomuc), Christophe Grapperon (Le Notaire, Chef de chœur). Chœurs et Orchestre des Musiciens du Louvre – Grenoble, Marc Minkowski (direction). Laurent Pelly (mise en scène et costumes), Chantal Thomas (décors), Laura Scozzi (chorégraphie), Joel Adam (lumières).

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